Pierre Laurent : « C’est le cap de Valls qui met la gauche en danger »

lundi 23 juin 2014.
 

Les mobilisations sociales – cheminots, intermittents… – sont sur le devant de la scène. Est-ce un tournant dans un climat dominé jusqu’alors par le désarroi chez les électeurs de gauche  ?

Pierre Laurent : Ces mouvements montrent que persiste dans le pays une demande très forte de réformes de progrès social. Je mets en garde le gouvernement  : il passe son temps à diviser, à opposer les Français alors qu’en vérité, c’est lui qui est isolé. Sa politique d’austérité, de mise en concurrence et de libéralisation n’est pas acceptée, singulièrement par les forces sociales et populaires qui ont voulu le changement en 2012. Manuel Valls dit que la gauche peut mourir, mais ce qui la met en danger, c’est un gouvernement qui prétend parler en son nom tout en menant une politique qui lui tourne le dos. La mobilisation, qui s’exprime à nouveau avec force, est porteuse de propositions. Les intermittents luttent pour la pérennisation de leur régime d’indemnisation et pour la défense des budgets culturels. Les cheminots se battent pour une réforme de la SNCF qui reconstruise l’unicité du service public et favorise les investissements publics. Alors que la politique du gouvernement nous enferme dans une logique de dépression économique, sociale et démocratique, ces mouvements sont d’intérêt national, et montrent que les forces existent pour la relance d’un projet alternatif à gauche.

Le plan d’économies de 50 milliards du gouvernement va être débattu avec les lois de finances rectificatives au Parlement, la semaine prochaine. Au moment où des oppositions se manifestent chez les socialistes, est-ce réellement là une occasion de se faire entendre  ?

Pierre Laurent : La politique gouvernementale est désavouée dans le pays. Et il existe au sein même du Parti socialiste et chez les écologistes une prise de conscience que le discours de François Hollande du 14 janvier sur le pacte de responsabilité a été une rupture grave. Désormais, des députés issus de toutes les familles de la gauche refusent d’engager le pays dans cette voie. Car, non seulement elle ne permettra pas de combattre le chômage, mais elle va l’aggraver. Dans cette situation peut s’ouvrir un dialogue nouveau entre tous ceux qui refusent la logique du plan Valls pour reconstruire les grands axes d’un nouveau projet de gauche pour la France. Des forces nouvelles sont disponibles. Toutes ne sont pas d’accord sur les solutions à mettre en œuvre. Mais, ce qui est nouveau à cette heure, c’est que toutes peuvent entrer en discussion et construire des convergences pour chercher ensemble une issue. Il faut ouvrir en grand ce dialogue en lien avec les luttes, avec toutes les forces vives de la société, avec tous ceux qui expriment les urgences populaires pour leur permettre de définir des objectifs communs. Il y a aujourd’hui une occasion unique d’engager ce débat. Il ne faut surtout pas manquer ce rendez-vous.

Le PS aussi tend la main aux formations de gauche en souhaitant, au nom du danger FN, un candidat unique de la gauche en 2017. Ce scénario est-il envisageable  ?

Pierre Laurent : Miser sur le scénario d’un tripartisme en 2017 avec la droite, le Front national en épouvantail, et le PS censé rassembler toute la gauche derrière les orientations actuelles de François Hollande et Manuel Valls est voué à l’échec. Oui, le danger FN existe, mais face à lui, la politique gouvernementale actuelle ne peut pas être le point de rassemblement à gauche. Le seul scénario qui peut conjurer le danger qui plane, c’est un rassemblement de gauche sur une politique alternative à l’austérité. C’est vers la construction de ce projet que tous les efforts doivent être tendus. De surcroît, le présidentialisme exacerbé de la vie politique est un piège tendu aux forces démocratiques. Il est invraisemblable qu’un premier ministre prétendument de gauche puisse dénoncer le surparlementarisme, comme vient de le faire Manuel Valls. Il faut rompre avec cette logique et redonner du pouvoir au Parlement. Je fais une proposition  : en 2017, inversons le calendrier électoral et commençons par les élections législatives à la proportionnelle, cela permettrait un débat sur le projet et non sur le choix, piégé et instrumentalisé, d’un candidat à l’élection présidentielle.

L’appel de votre Conseil national évoque un projet de gauche que vous voudriez voir est-ce déjà la manifestation d’une volonté de rassemblement en vue des élections  ?

Pierre Laurent : Il est prématuré de débattre des conditions politiques précises des échéances de 2017. Mais si nous voulons les préparer, il faut reconstruire les conditions pour qu’émergent un projet de gauche et le rassemblement des forces susceptibles de le porter. Pour rendre crédible cette perspective, ce mouvement doit être capable d’imposer des changements avant 2017. De vraies politiques de développement de l’emploi au lieu de la surenchère permanente d’exonérations de cotisations sociales qui alimente la rentabilité du capital, une vraie transition écologique qui s’appuie sur la reconquête industrielle et qui n’oppose pas l’une et l’autre… Ces propositions, ces combats doivent s’amplifier pour marquer des points dans les consciences et dans les choix politiques concrets au plan local, régional, national, voire même européen. C’est ainsi que nous créerons des dynamiques politiques susceptibles de gagner en 2017.

Comptez-vous poursuivre votre campagne contre le coût du capital  ?

Pierre Laurent : Bien sûr. Un mensonge permanent est asséné sur le coût du travail. Le niveau des salaires, des pensions de retraite, du pouvoir d’achat prend des coups de plus en plus violents. Nous sommes devenus, dans des pans entiers de l’activité économique, un pays de travailleurs pauvres. Continuer à culpabiliser le travail de cette manière, c’est se priver des moyens du redressement national. À l’inverse, l’explosion du coût du capital est en permanence camouflée. Pourtant, les fortunes d’une petite minorité de privilégiés prospèrent. Le rendement de l’impôt sur la fortune supérieur à ce qui était prévu le montre. Les fraudeurs fiscaux qui régularisent leur situation confirment qu’il y a bien plusieurs dizaines de milliards d’euros qui échappent chaque année à l’impôt. Dans l’affaire Alstom, personne ne parle non plus de l’opération juteuse réalisée par Bouygues qui a tiré de son entrée au capital de l’entreprise plus d’un milliard d’euros de dividendes. C’est à ces coûts, sans cesse masqués, qu’il faut s’attaquer.

Vous avez promis d’être présent partout où se discutent des alternatives de gauche à la politique menée. Comment entendez-vous y associer tous les déçus de la politique de François Hollande  ?

Pierre Laurent : Oui, j’irai partout où des forces de gauche se lèvent pour imaginer une autre voie que celle empruntée par le gouvernement. Je veux saisir toutes les occasions d’ouvrir ce dialogue, même s’il suscite des débats entre les forces présentes. Tout vaut mieux que de rester dans la dispersion, l’impuissance et le sentiment de découragement actuel. Nous devons envoyer des signaux politiques qui redonnent confiance aux forces populaires et sociales qui cherchent une autre voie. Comment  ? En démultipliant les espaces de rencontres, en étant à l’écoute de toutes les propositions, en portant les nôtres sans complexe et avec audace. L’apport de nos propositions sera extrêmement profitable à ce débat. Des étapes nationales seront nécessaires pour que convergent toutes ces initiatives. Il faut d’abord laisser du temps à cette démarche pour qu’elle s’enracine dans le pays, au moins jusqu’à l’été 2015.

Quel rôle est appelé à jouer le Front de gauche dans ce contexte  ?

Pierre Laurent : Le Front de gauche doit être relancé en se transformant. Il est un lieu précieux, parce qu’il a initié cette démarche. Ses composantes ont elles-mêmes mené ce processus de confrontation et de propositions. Aujourd’hui, nous proposons que le Front de gauche devienne l’un des animateurs les plus dynamiques de ce travail de rassemblement, en se tournant vers toutes les forces disponibles pour la construction de ce projet commun. Le Front de gauche doit aussi favoriser l’engagement des citoyens qui veulent participer à cette dynamique. Nous allons y travailler. Il doit, en somme, se projeter dans la construction d’un front large qui dépasse ses frontières actuelles.

Pour rassembler toutes ces forces, le Front de gauche ne doit-il pas commencer par se rassembler lui-même après les tensions qu’il a connues aux dernières élections  ?

Pierre Laurent : Le Front de gauche a besoin de procéder à une évaluation des obstacles qui ont contrarié sa démarche de rassemblement. Toutes ses composantes constatent avec nous que l’arc des forces disponibles s’élargit. Nous devons poursuivre notre discussion sur l’ambition du Front de gauche dans cette nouvelle étape, l’évolution de la situation politique nous y oblige.

Le Conseil national du PCF a convoqué une conférence nationale des communistes les 8 et 9 novembre prochains, quels en sont les objectifs  ?

Pierre Laurent : Sans l’investissement considérable des communistes pour construire des rassemblements de résistance aux politiques d’austérité, les capacités de rebond de la gauche auraient été gravement compromises. Leur effort a donc été essentiel, et ils ont maintenant besoin de tirer toutes les leçons de l’année écoulée pour construire un front large de rassemblement sur un projet de gauche. Avec cette conférence nationale, nous nous donnons le temps de la réflexion, mais nous n’attendrons pas pour passer à l’action. Notre Conseil national a pris des initiatives immédiates pour lancer le débat, relancer nos campagnes en faveur de grands axes d’une politique de gauche et soutenir les mobilisations sociales. Notre conférence nationale se projettera vers l’avenir en faisant le point des trois mois de luttes intenses qui s’annoncent avec, comme point d’orgue, la tenue de la Fête de l’Humanité, à la rentrée.

Entretien réalisé par 
Sébastien Crépel et Julia Hamlaoui


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