« Prévenir la traite des êtres humains en s’attaquant à ses causes profondes »

vendredi 23 février 2007.
 

Par Thomas Hammarberg

Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe

La traite des êtres humains suscite beaucoup de discours mais pas assez d’actions. L’Unicef et Terre des Hommes ont récemment fait rapport sur l’insuccès des efforts visant à protéger les enfants de trafiquants en Europe du Sud-Est. Ils ont demandé que des initiatives plus vigoureuses soient prises pour s’attaquer aux causes profondes et aux structures de l’offre et de la demande qui régissent le cycle. Ils affirment, à juste titre, que la campagne contre la traite des enfants comme des adultes doit s’intensifier pour devenir plus efficace. La Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains est, à cet égard, un instrument clé que tous les Etats membres devraient ratifier sans délai.

La traite est une grave infraction pénale, difficile à démasquer. Les contours flous de ce trafic, la pratique de l’omertà, ou loi du silence, appliquée aux réseaux criminels, ainsi que la peur des victimes d’être exposées à des représailles si elles font connaître leur situation, ont pour effet de rendre particulièrement difficile l’estimation de l’étendue et de la nature précise de cette ignoble activité. Le degré de coercition et de duperie inhérent à cette exploitation varie également d’un cas à l’autre.

Toutefois, ce que nous savons, c’est que la traite est une source majeure de revenus pour les groupes criminels organisés et que le nombre de victimes est incroyablement élevé. Nous savons également quels sont les pays et régions d’origine, de transit et de destination les plus touchés.

Une partie de la traite est liée à l’exploitation sexuelle, mais pas toute. Nombre de victimes sont réduites à la mendicité, à des emplois de domestique ou d’ouvrier dans l’agriculture ou le bâtiment, par exemple.

Ces victimes ont en commun de devenir facilement tributaires des criminels et d’être fréquemment exploitées par les clients ou employeurs locaux. Un grand nombre de ces personnes sont des migrants sans papiers et donc particulièrement vulnérables. En fait, nombre d’entre elles vivent comme des esclaves.

Par conséquent, les normes en matière de droit de l’homme doivent être au centre de toutes les stratégies contre la traite. L’action de la police est essentielle mais seule, elle ne suffit pas ; elle doit être complétée par des mesures préventives concrètes et par une protection effective des droits des victimes ; cela vaut aussi, bien sûr, pour les victimes sans papiers.

Les migrants sans papiers ont droit à la sécurité et à la protection ; ils doivent être traités comme des victimes et non comme des criminels. Il faut, en effet, qu’ils puissent faire entendre leur cause équitablement, dans le cadre d’une procédure régulière. Il faut, en effet, qu’ils puissent obtenir un permis de séjour dans le pays d’accueil s’ils coopèrent avec les forces de l’ordre ou si leur situation personnelle le justifie.

Maintes victimes de la traite hésitent à prendre le risque de demander l’aide des autorités car elles craignent de ne pas être écoutées ou d’être tout simplement expulsées. Il est urgent que les gouvernements des pays de transit et de destination s’attèlent à la tâche de trouver des moyens humains et efficaces d’aider ces personnes.

Les trafiquants doivent être arrêtés et punis ; les employeurs et les clients qui exploitent sciemment les victimes de la traite doivent être traduits en justice ; quant aux victimes, elles doivent être bien protégées et aidées. Toutefois, il faut faire davantage encore pour briser la chaîne de la traite dès le début.

Les causes profondes de ce phénomène sont connues : pauvreté, inégalité entre les sexes, chômage, abus et marginalisation. Il est capital de s’attaquer à ces problèmes liés aux droits de l’homme. Certaines personnes se laissent attirer dans les filets des trafiquants parce qu’elles sont désespérées et que l’information sur les risques encourus n’est pas suffisamment bien diffusée dans le grand public. Il incombe à tous les Etats concernés par la traite de soutenir les pays d’origine pour faire évoluer la situation. Après tout, c’est un problème qui touche l’ensemble de la communauté internationale.

La Convention du Conseil de l’Europe est un traité général qui vise à prévenir la traite, à protéger les victimes et à poursuivre en justice les responsables de la criminalité organisée. Elle appelle à l’établissement de programmes d’information et d’éducation ciblés sur les personnes à risques ainsi qu’à l’adoption de mesures pour supprimer la demande dans les pays de destination.

La Convention n’est certes pas parfaite : les négociations et les compromis ont, à mon sens, quelque peu affaibli les règles de protection des victimes. Cependant, la Convention est le traité le plus progressiste et le plus ambitieux visant la traite des êtres humains. Elle revêt une dimension clairement centrée sur les droits de l’homme et prévoit de multiples mesures d’aide matérielle, psychologique et juridique aux victimes, dont des dédommagements pour les préjudices subis.

En outre, un groupe d’experts indépendants, le GRETA, assurera le suivi de la mise en œuvre de la Convention, ce qui renforcera sans aucun doute l’efficacité du système.

Malheureusement, le traité n’est pas encore entré en vigueur car un nombre trop restreint de gouvernements l’a ratifié à ce jour. Seules la Moldova, la Roumanie, l’Autriche et l’Albanie ont, à ce jour, accompli cette démarche.

Il est hors de question d’attendre plus longtemps pour prendre des mesures communes contre la traite des êtres humains. La Convention doit être considérée comme un premier pas en avant urgent et nécessaire. Il appartient aux gouvernements européens de veiller à ce qu’elle devienne applicable sans délai.

Thomas Hammarberg


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