Gauche, gauche…et gauche

vendredi 13 juin 2014.
 

A l’issue de la séquence électorale de 2014, l’ensemble des partis se classant à gauche se retrouvent à un plus bas niveau historique. Les élections municipales ont montré une accentuation dans des proportions considérables du rejet du PS. Mais pas seulement, puisque par indistinction peut-être injuste, le FG et plus largement la gauche radicale ont subi le même genre de rejet, même si ce fut partiellement atténué. Les européennes aggravent le constat. Le FG est stable et perd un élu. Mais si l’on se réfère à la somme FG plus NPA, c’est d’un très net recul qu’il s’agit, tout juste tempéré par le score estimable de Nouvelle Donne. En tout état de cause, l’effondrement du PS ne profite en rien au FG, voilà au moins un constat partagé. Au fondement de cette situation, disent nombre de camarades, est la référence à « la gauche », référence dévaluée et qui nous entraîne vers le bas au même rythme que le PS. Que l’on abandonne cette référence au plus vite serait donc le début du salut.

Je vais défendre dans ce texte qu’il s’agit là d’une pure esquive des problèmes réels. Qui concernent plus fondamentalement d’un côté la caractérisation du PS aujourd’hui ; de l’autre la recherche d’une voie à la fois radicale et nouvelle à gauche.

Oui le PS est la gauche pour le grand public. Tout ce qui est de gauche lui est donc assimilé. Vrai ou faux ? Vrai dans de très larges proportions. Mais que nombre de gens suivent ces assimilations veut-il dire qu’ils ont obligatoirement raison ? Le stalinisme est-il le communisme ? Qui, rencontré « dans la rue », fait-il la différence ? Mais est-ce juste de ne pas la faire ? Un peu ? Beaucoup ? Totalement ? Et dans quelle mesure cela conduit-il t-il quiconque parmi nous à abandonner le mot communisme, au moins entre soi ? Ou pire, la chose elle-même ?

Est-ce « la gauche » qui est en cause ou l’adieu du PS à celle-ci ? Et si c’est le cas, quelles conséquences en tirer ?

La gauche une fois

Ceci ouvre sur une première question majeure. « La gauche » c’est à la fois une histoire, et un fonds commun de système de valeurs. Au nom desquelles les luttes populaires (réelles, pas souhaitées dans un avenir incertain et fantasmé) se sont conduites depuis…1792. C’est un très vieux débat que de savoir si cette référence est purement « géographique » (elle provient comme on l’oublie souvent de la manière dont les élus se sont regroupés dans les premières Assemblées de la Grande Révolution) et masque en conséquence les vrais conflits de classe. Et donc mêle indûment les « vrais » (vrais républicains, vrais patriotes, vraiment à gauche…) et les « faux » (voire les traitres).

Ce classement en « droite » et « gauche » s’est révélé universel pour des raisons profondes et structurantes. Même aux USA, où Républicains et Démocrates sont évidemment deux partis de la bourgeoisie, cette division opère encore.

L’évidence du fait que le PS mène la même politique que la droite suffirait à nous faire rompre, nous, avec cette histoire ? La Social démocratie a déjà été en situation de mener une politique impérialiste, et avec quelle force, lors de la guerre de 14. On se tromperait gravement par effet rétrospectif en pensant que ceci s’est fait sans référence à « la gauche ». Au contraire, la grande majorité des membres survivants de La Commune, la grande majorité des socialistes (des opportunistes aux plus radicaux comme Guesde) et de la CGT ont soutenu l’Union Sacrée au nom justement d’une certaine filiation avec ce qu’ils considéraient être « la gauche » (ici, le patriotisme). Cela a conduit Lénine à abandonner le nom (la Social démocratie), mais pas la chose, et certainement pas la filiation historique avec « la gauche ».

Et remplacer cette filiation par quoi exactement ? Un « neuf » plus « neuf » que « neuf » ? L’endroit en Europe où la rupture avec la SD a été le plus loin, jusqu’à la marginaliser complètement, c’est bien en Grèce ; où ça s’est fait entièrement au nom des « vraies valeurs de la gauche ».

La gauche ne s’identifie ni ne se résume au mouvement ouvrier, et encore moins au socialisme et à la lutte des classes, c’est vrai. Dès l’écrasement des Journées de Juin 1848 c’est une affaire entendue. Mais (jusqu’à présent en tout cas) il n’y a pas non plus l’ombre d’un doute que le mouvement ouvrier lui est partie prenante de la gauche au sens large.

La gauche une deuxième fois

Certes les histoires ont une fin, et celle de la division héritée de 89 entre gauche et droite en aura une. Y est-on ? Peu probable. Car tant qu’une autre histoire ne remplace pas l’ancienne, cette dernière se poursuit. Cela dit il est tout à fait possible que les caractéristiques spécifiques de la lutte des classes en France, et donc de son mouvement ouvrier, aient montré des limites telles que c’est sa pérennité même qui soit désormais en cause. Vaste question, centrale certainement, mais qui ne suffit pas à rompre des liens d’une telle importance. « La gauche » s’est survécue en France dans des modalités changeantes, parfois (presque) du tout au tout, et ceci pendant plus de deux siècles [1].

Les conditions d’existence d’un combat « de gauche » sont certes aujourd’hui bouleversées. La réponse donnée à ces nouvelles caractéristiques par la Social démocratie (SD) provoque certainement une mutation profonde de cette dernière. Ne sont plus seulement en cause les modalités d’accès au socialisme (réformistes contre révolutionnaires). Ce projet lui-même a été abandonné il y a fort longtemps, à des rythmes différents selon les pays. Formellement, ce n’est pourtant qu’en 2008 que le PS français a adopté une nouvelle déclaration de principes qui confirme que le capitalisme est indépassable à ses yeux (jusque là, le PS était en principe pour « changer la vie » par le socialisme ; c’est vrai qu’on l’avait oublié…). C’est assurément déjà un point décisif, mais pas si nouveau dans l’histoire de la gauche, si on ne limite pas celle-ci à l’histoire du socialisme proprement dit. En France une large partie de cette gauche s’est contentée longtemps de la défense de la seule forme républicaine, sans obligatoirement toucher aux « questions sociales ». Sauf qu’au-delà des mots, les conditions dans lesquelles les changements liés à la globalisation ont eu lieu, font que la politique concrète suivie par la SD s’est distinguée peu (voire pas du tout) de celle de la droite (en France, depuis le tournant de la rigueur de 83). Avec Hollande puis Valls on a un pas de plus, dont il faut souligner l’importance. Non seulement les politiques libérales ne sont plus contestées, même à la marge ; non seulement il ne s’agit plus formellement de céder face à elles tout en maugréant et en assurant que la parenthèse aura une fin ; mais elles sont désormais assumées avec les termes même de la droite. On peut dire qu’il n’y a là aucune surprise, étant donné les politiques menées par le PS depuis des décennies. Et pourtant il y a une rupture : quand les mots rejoignent les actes, un cap est franchi.

Il ne sert pas à grand-chose de se demander si le PS est encore « de gauche ». En particulier parce que dans la définition de celle-ci il y a plusieurs composantes et qu’elles ne bougent pas toutes en même temps [2]. Les comparaisons ont leur limite, mais il est plus productif de se demander dans quelle mesure nous sommes rendus à la situation britannique, italienne ou même étatsunienne. Avec, dans ce dernier cas, certainement deux partis de la bourgeoisie (sur le terrain social, économique, financier, militaire, diplomatique…), mais quand même l’un « libéral » (au sens américain du terme) et l’autre conservateur. Ce n’est pas pour rien que le « tea party » fait pression sur les Républicains et pas sur les Démocrates.

Même si, encore une fois, les évolutions nationales s’ancrent dans des histoires différentes, il me semble qu’on peut avancer que pour le PS, on n’en est plus très loin, voire que c’est un fait accompli. Par méthode nous devrions désormais nous placer de ce dernier point de vue. Disons au moins que la période Hollande/Valls est de ce type même si, par prudence, on ne peut exclure que, la France étant ce qu’elle est, des modifications futures surviennent (après tout, la SFIO, quasiment détruite après ses compromissions, a quand même donné naissance au PS d’Epinay). Et laissons aux évènements à venir répondre à la question de savoir si cette évolution peut s’achever sans remous internes puissants, voire des scissions.

Mais la question peut aussi se poser autrement et plus fondamentalement. Dans quelle mesure l’évolution du PS est-elle soutenue par son électorat ? Pour celui de Hollande de 2012, on connaît globalement la réponse : effondrement de ce soutien. Mais parmi ceux qui continuent à voter pour eux ? Que reste t-il chez ces électeurs des références (directes, indirectes, fantasmées) à la gauche et à ses « valeurs » ? Or justement les définir est devenu un exercice périlleux. C’est une des racines des difficultés. Nous sommes en France dans une situation de crise de la nature et de la portée des références « de gauche ». Crise d’abord de la généralité (l’universalité) des valeurs de gauche (certes une « pétition de principe » incontournable), mise à mal par à peu près toutes les expériences d’émancipation réellement existantes….et remise en cause par tous les bouts (« universel » égal opprimant les minorités par exemple….). Dans l’histoire de la gauche, surtout en France, c’est assez nouveau il me semble. La réponse communiste classique consistait à expliquer ces « écarts » par ceux entre les valeurs « formelles » et la réalité pratique, s’appuyant elle sur les inégalités concrètes de tous ordres rudoyant l’égalité abstraite des citoyens. Mais justement c’est sous l’égide du « socialisme réel » que l’écart entre proclamations formelles et données effectives a atteint des sommets... Il y a désormais en conséquence un fait majeur nouveau : il existe de moins en moins de « valeurs » qui fassent spontanément consensus à gauche. Si c’est le cas encore très largement dans le rejet de certaines références du camp d’en face, c’est bien moins le cas quand il s’agit de se tourner vers du positif. Et au final, nous sommes démunis d’un consensus populaire suffisamment vaste sur la nature de la société souhaitable et alternative, fût-elle dessinée à grands traits (le socialisme démocratique) Et tout autant sinon plus sur les moyens d’y parvenir même parmi la minorité de plus en plus étroite qui y reste attachée. Ce qui bien entendu rend très difficile la possibilité de conquérir un appui pour des valeurs qui justement se présentent d’emblée comme si peu assurées. C’est donc, fondamentalement, une crise de l’hégémonie terme pris ici au sens de Gramsci. Sans que l’on arrive à faire la part dans ces divisions entre ce qui provient de l’offensive du bloc d’en face et ce qui provient du mouvement même de la gauche, des impasses et des échecs rencontrés [3].

Il n’est pas possible de se sortir de cette situation seulement par le débat théorique et l’élaboration approfondie, par la « finesse » des mots d’ordre, leur degré exact de « radicalité », etc. Il y faut une réponse nouvelle venue des masses elles mêmes quand elles seront de nouveau en mouvement [4]. Mais (c’est le cercle vicieux) cette mise en mouvement est freinée (empêchée ?) par la crise d’hégémonie...

Cela dit, dans le débat qui nous occupe ici, il ne faut pas s’y tromper. L’abandon de la référence à la gauche serait typiquement une prise de guerre hégémonique pour les forces bourgeoises. Car, comme nous le savons tous, une partie non négligeable de la guerre de position tient à des questions apparemment banales, de « vocabulaire ». Et on sait aussi que nommer les choses contribue à fonder et à légitimer leur existence. Sans le mot, c’est la chose elle-même qui est atteinte.

Reste la vraie question qui est celle du rapport au PS.

La gauche, troisième

Dans les débats de ces dernières années tout ceci a pris la forme d’une formule, « les deux gauches » dont il faut savoir si elle est encore valide. L’ayant proposée avec d’autres il y a longtemps maintenant lors des débats de la LCR, je sais qu’elle s’était imposée dans cette organisation (en particulier dans les deux campagnes de Besancenot), mais qu’une partie importante ne partageait ni la formule ni l’analyse qui la supportait. Cette formule prenait acte du tournant social-libéral de la direction du PS et en déduisait que (au moins pour une période indéfinie, mais certainement durable) toute stratégie « d’union de la gauche » était rejetée. Il y avait moins que jamais de possibilité de réconcilier même partiellement la gauche anticapitaliste (et même seulement antilibérale) et le social-libéralisme pour une majorité de gouvernement commun. La « gauche plurielle » était le dernier souffle de cette stratégie « d’union de la gauche », que la LCR avait combattue frontalement à partir de 1999, et qui s’était fracassée un certain 21 avril 2002. Je ne sais pas si les camarades qui trouvaient « gauchiste » la formule diraient la même chose aujourd’hui avec ce que nous avons sous les yeux. Et, à plus forte raison, ce qu’en pense maintenant le PCF dont une partie est toujours à la poursuite du rêve d’une gauche unie (comprenant la direction actuelle du PS) et ramenée sur de saines bases. Mais (fine dialectique) s’il y avait deux gauches, c’est que l’autre était aussi « de gauche » d’une certaine manière. Non certes au niveau de sa politique gouvernementale, mais déjà peut-être au niveau de ses politiques locales (est-ce encore vrai et dans quelles proportions ?), ou sur tel ou tel terrain n’engageant pas de choix économiques libéraux (le racisme étant le modèle de l’affaire, au moins en paroles). Et, surtout (surtout car c’est l’essentiel en fait) qu’elle demeurait distincte de la droite aux yeux des millions de personnes qui, bon an mal an, « vote utile » après « vote utile », continuaient à suivre le PS. Deux gauches, mais au sein d’une seule si l’on peut dire. Analyse sans doute compliquée, mais qui conduisait à maintenir une distinction entre gauche et droite non obligatoirement « en haut » mais « en bas », niveau autrement plus décisif du « peuple de gauche ». Ceci avec ses traductions en termes de votes de second tour, en solidarité avec ceux qui veulent s’opposer à la droite. C’est encore ce qui a conduit nos choix (les miens en tout cas) en 2012.

C’est ce qu’il convient de discuter maintenant. Est-on passé, du fait des ruptures assumées en pratique par le PS avec la référence de gauche et surtout de la manière dont elles sont reçues à l’échelle du peuple de gauche, ou au moins d’une part très significative de celui-ci, à l’idée que le PS n’est « plus de gauche » ?

Au-delà de la formule, et pour que ce que l’on discute soit plus clair (étant donné qu’il ne dépend nullement de nous, ou de quiconque, d’empêcher le PS de se dire « à gauche ») : est-ce que nos rapports avec le PS deviennent désormais comparables à ceux que la gauche nord américaine entretient avec les Démocrates ? Il en découlerait que non seulement la règle (qui suppose exceptions) voudrait qu’on ne dirige en général pas d’exécutif avec eux, mais que l’on soit même indifférent quant à l’issue d’un vote de second tour face à la droite [5]. A supposer que Hollande se qualifie pour le second tour en 2017 (rien moins qu’évident aujourd’hui) on voterait pour lui ? Difficile de l’imaginer à cette étape sous cette forme brute.

Il faudrait donc en finir avec des classifications rigides dépassées. En particulier celles liées à la recherche de la « base de classe ». Il est difficile de maintenir que le PS fait partie en bloc « du mouvement ouvrier ». Mais on sait par ailleurs que ce mouvement (ou le mouvement socialiste plus généralement) a deux racines. Le combat de classe d’un côté, celui « du mouvement de la société » de l’autre. Guesde et Jaurès. En gros (il me semble) l’idée concernant le PS fut que la première racine était perdue depuis longtemps, mais restait (plus ou moins) la seconde. Abandonner la seconde aussi et il n’y a plus rien de « gauche » au PS. Tout ceci est vrai. Et c’est ce qui nous fait hésiter. Mais considérons le parti d’Obama. Est-ce que vraiment sa caractérisation indubitable de « deuxième parti de la bourgeoisie » est incompatible avec le fait de le classer « à gauche » quelque part ? Pas seulement « plus à gauche » (que les Républicains, ce qui est évident) mais « à gauche » tout court ? Si on va par là comment comprendre la victoire du nouveau Maire de New York, incontestablement SD pur sucre ?

Voilà donc ce qu’on pourrait avancer. La mutation « démocrate » du PS est achevée pour l’essentiel (soit que ce soit ancien et que ses électeurs l’actent largement maintenant, soit que ce soit en train de se faire, avec des spécificités, mais de manière irréversible). Mais ça ne veut pas dire que la distinction gauche/droite n’opère plus, même à son propos.

Sauf que du point de vue du positionnement électoral et institutionnel, cela signifie que le cas par cas remplace le systématique et devient la règle.

Plus que la question abstraite « sommes nous de gauche », nous membres de la dite gauche radicale (je souhaite bonne chance à ceux qui défendront vraiment le contraire. Sur le fond, et pas juste parce que « les gens ne font plus la différence »), c’est celle-ci qui est centrale. Le FN est effectivement « hors système » non pour des raisons de « programme », mais politiquement, parce que, depuis des décennies maintenant il est tenu à l’écart de tout rassemblement politique à n’importe quel niveau et que lui-même s’en satisfait plus ou moins. Doit-on s’engager dans un positionnement symétrique ? La question est d’autant moins scandaleuse pour moi que c’est une position que j’ai envisagée très sérieusement avec François Sabado il y a quelques années, sans la retenir finalement. Mais la question continue à se poser.

Une telle orientation reviendrait à considérer que ce qui se passe « dans la sphère politique », à EE ou dans la gauche PS est sans intérêt et sans conséquences. Et ainsi et surtout, que la seule voie pour conquérir une majorité serait celle, « anti-institutionnelle », qui s’appuierait exclusivement sur un mouvement de masse radicalisé. En effet une position de rupture théorisée avec « la gauche » tout en restant dans ce champ « institutionnel » est intenable [6]. Outre que pour l’instant on ne voit pas en France la couleur d’un tel mouvement (mais ça peut changer) les expériences de cette ligne ailleurs (Indignés, Occupy, voire même les révolutions arabes de leur début) sont plus que parlantes. Nulle part le « mouvement » n’est arrivé à bâtir ses propres issues. Bien entendu la situation est bien meilleure quand ces mouvements existent, mais jamais jusqu’à maintenant il n’a pu aller au-delà de l’expression de la révolte et bâtir une perspective durable. Dans l’Etat Espagnol, Podemos, une des premières traductions politiques électorales des Indignés, a créé la surprise et obtenu d’emblée un excellent résultat. C’est plus que positif. On verra quel en sera l’avenir et si la possibilité existe réellement de structurer durablement un mouvement s’affirmant clairement comme « politique » tout en gardant ses caractéristiques « nouvelles ». A suivre de très près. Cela reste quand même sans comparaison dans l’immédiat avec ce qu’est parvenu à réaliser Syriza. Dont il faut parallèlement remarquer que la question de ses rapports avec le Pasok a disparu avec ce dernier… Et qui pourrait indiquer que la clé, plus que la discussion « dehors ou dedans » les procédures institutionnelles classiques, est dans l’affirmation claire et nette d’une nouvelle gauche, rompant les liens systématiques anciens avec les partis de la SD.

Au final je pense, comme on l’a compris et tout en me méfiant des conclusions hâtives, que la voie du PS est bien celle d’un parti Démocrate, même si le processus est inévitablement spécifique et non achevé, et que les rythmes de la compréhension définitive de cette évolution à une échelle de masse peuvent être décalés. Cela avancé sans préjudice de l’attention minutieuse qu’il faut porter aux fractions organisées qui s’en détacheraient. Et surtout à la fraction, certes plus réduite de jour en jour - mais qui reste plus nombreuse que celle qui nous soutient - et qui continue, elle, incontestablement, à considérer que la distinction gauche/droite vaut encore la peine, y compris en ce qui concerne le PS. Il faut en discuter sans a priori excessif. Il est possible qu’elle le fasse parce qu’elle se sera elle-même convaincue que la ligne social-libérale est devenue la seule possible. Et alors lui rester attaché est contre productif. Soit au contraire elle le fait en désespoir de cause en gardant tout ou partie de ses espoirs « de gauche ». Soit (plus probablement) un mélange des deux. Si c’est la deuxième issue qui s’impose au sortir de l’analyse, il est clair que notre comportement général doit viser à la gagner pour changer le rapport de force en son sein, pas à s’en couper. Sauf que rien n’étant simple dans la période, il est devenu difficile de s’y attacher sans prendre le risque, parallèle, de rompre avec les fractions de plus en plus nombreuses qui ne veulent tout simplement plus en entendre parler. Qui sont (très marginalement) tentées par le FN, mais surtout par un repli pur et simple. En tout cas qui ne donnent aucune indication en positif de ce qui pourrait les mettre en mouvement dans une perspective progressiste. Ceci manifestement doit être abordé en partie séparément, dans le cadre d’un débat qui mettrait en discussion, au-delà des formules toutes faites, la question de savoir où en sont exactement le pays et son peuple [7].

Samy Johsua

Notes

[1] Mais ces déclarations générales ne conduisent pas à rejeter un débat inévitable désormais, dont les conséquences stratégiques et pratiques sont majeures. Dans quelle mesure les « modalités changeantes » touchent-elles aux racines profondes de la gauche ?

Il faut ainsi mesurer l’impact de la « question écologique », une nouveauté décisive dans ce long chemin. La réponse, théorique, est comprise à mes yeux dans l’élargissement « écosocialiste ». En pratique toutefois ces liens entre le socialisme et l’écologie tardent à déployer tous leurs effets.

On sait aussi que nous ne sommes toujours pas sortis de la crise de la référence communiste au sens large, après un bilan qui ne passe toujours pas du « socialisme réel ».

Ajoutons-y trois caractéristiques supplémentaires nouvelles. Un, le basculement du monde et la fin de la puissance centrale de l’Europe. (on peut sans grande difficulté considérer que, jusqu’à maintenant, les USA eux-mêmes n’étaient qu’une extension de celle-ci).

Deux, la montée numérique définitive du prolétariat (la grande révolution sociologique de la fin du siècle dernier fut que nous sommes passés d’un monde majoritairement paysan à un monde urbain), mais en même temps celle de ses divisions internes. « Gagner une majorité » dans des combats émancipateurs revient désormais, stratégiquement, à unir le prolétariat par delà ses divisions de toute sorte, sans nier celles-ci et les appartenances multiples de chaque prolétaire concret.

Trois la globalisation. Autrement dit un « capitalisme sans dehors », très fragilisé en réalité par l’impossibilité où il est de sortir de ses contradictions comme dans le passé par la conquête de zones non capitalistes. Mais aussi ce que cette globalisation comprend, dont la quasi destruction des marges de lutte à l’intérieur des mécanismes démocratiques bourgeois – et donc dans les frontières nationales – et un pouvoir oligarchique/autoritaire liés aux multinationales et à la finance.

[2] En particulier elles bougent différemment sur le terrain « social » et « sociétal ». Encore que même sur ce second point le manque de courage soit de plus en plus patent (exemple le droit de vote pour les étrangers non communautaires). Dans certains secteurs on en arrive à reprocher au PS de remplacer le social par le sociétal. Que des tentations de ce genre existent (évidentes lors la mandature Zapatero par exemple) est une chose. Que l’on soit nous-mêmes conduits à refuser (ou même à négliger) le second niveau au nom du premier en est une autre, inacceptable. Eternelle reprise du débat entre Guesde et Jaurès lors de l’Affaire Dreyfus…

[3] Le rejet de termes connotés à droite est patent et se renforce. « Bourse », est un terme jugé négatif à 74% en 2012. Le « capitalisme » lui-même est rejeté à 62% (bien plus que les 50% de 1988). Les marqueurs libéraux sont affaiblis : la nécessité d’une puissance publique plus forte face aux forces économiques passe de 29% en 1988 à 55% en 2012. Contrairement à ce qu’on pense parfois, même sur les questions sociétales (avec des hauts et des bas) les données sont positives à l’échelle du demi-siècle.

Mais ces enquêtes ne mesurent jamais l’adhésion possible à un système alternatif. Et, de plus en plus, sur nombre de questions concrètes, « le peuple de gauche » est spontanément divisé (au hasard, disons l’Ukraine ; ou la récente sortie de Bové sur la PMA et les arguments qui l’accompagnent).

[4] « Pour expliquer la longue durée de régimes sociaux oppressifs, le partage des mêmes représentations entre dominants et dominés, constitue une force plus forte que le recours permanent à la force. » Maurice Godelier, Discours de la Médaille d’Or du CNRS, 2001

[5] Je laisse de côté le FN. Mais là aussi on voit bien le problème. Jusqu’à maintenant l’idée est de se refuser (en général) à voter à droite contre le FN (Front Républicain), mais de voter automatiquement PS dans ce cas.

[6] Voir l’exemple de LO et du NPA (du moins avec les positions en général défendues par ce dernier, ce qui n’a pas été le cas partout aux municipales). C’est d’ailleurs un point qu’il faut souligner : ces partis ont eu aux municipales les consignes que l’on connaît (pas de vote pour « la gauche » quelles que soient les conditions). On ne sache pas que cette « clarté » ait donné des effets électoraux éclatants, en encore moins aux Européennes (alors même que la popularité de Besancenot est intacte). De l’autre côté, les listes avec EE, bien moins « radicales » que beaucoup de celles du FG, ont souvent eu des succès notables. C’est donc plus compliqué.

[7] Il est toujours difficile de ne céder ni au simplisme ni à l’impressionnisme quand on aborde cette question. Mais il faudrait faire la somme des conquêtes idéologiques et culturelles de droite (et d’extrême droite). Même si, prudemment, il faut aussi prendre en compte les contre tendances. Dans nombre de domaines ce sont ces secteurs qui imposent désormais leurs cadres de pensée et leur agenda de priorités. Autrement dit, possiblement, des cadre hégémoniques au sens de Gramsci. Au pluriel car il y en a plusieurs à droite, et souvent contradictoires.

Par ailleurs il serait important de se demander pourquoi, jusqu’à présent, aucun mouvement comparable aux Indignés ne s’est manifesté en France. Peut-être finalement est-ce un des débats les plus importants


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