Ce gros travail d’ introspection qui attend le Front de gauche (Le Monde)

mardi 3 juin 2014.
 

Comment rebondir après cet échec ? Pour le Parti communiste et le Parti de gauche (PG), il y a urgence à tirer le bilan des municipales et des européennes. L’enjeu est que la coalition de la gauche radicale ne se retrouve pas marginalisée dans les scores qui étaient les siens avant la création du Front de gauche.

Il y a bien sûr cette évidence qui s’est imposée le 25 mai : un FN en tête à des élections nationales, à 24,95 %. Pour Jean-Luc Mélenchon, qui avait fait de la lutte contre l’extrême droite l’un des axes majeurs de sa campagne présidentielle de 2012, le coup est rude. « C’est un événement considérable, a-t-il déclaré, visiblement très ému, dimanche soir. Il atteste du fait que l’hégémonie culturelle, l’idée dominante, n’est pas que les financiers sont les responsables de la crise. Par toute sorte de moyens, d’aucuns ont réussi à imposer l’idée que c’étaient les immigrés, les mœurs, la nature du mariage qui posaient problème. »

Il y a aussi ce score, celui du Front de gauche (6,33 %), quasiment identique à celui de 2009 (6,05 %), année de sa création. Seuls trois parlementaires contre quatre auparavant, siégeront au Parlement européen. Un coup de semonce pour ceux qui voulaient « rompre et refonder l’Europe ».

La progression de M. Mélenchon est elle-même faible : s’il est élu, il passe de 8,16 % en 2009 à 8,57 % cinq ans plus tard. Pire : en 2009, le Nouveau Parti anticapitaliste avait recueilli près de 5 % des voix quand il ne pèse aujourd’hui que 1,60 % des suffrages avec Lutte ouvrière. Et le différentiel ne s’est pas porté sur le Front de gauche. « Quand on sait que la masse de leurs militants sont venus chez nous, ça a de quoi nous inquiéter », note André Chassaigne, président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine à l’Assemblée nationale.

Dimanche soir, les dirigeants du Front de gauche ont cherché à limiter l’impact de la crise. « Nos résultats montrent une force de gauche qui maintient ses résultats même si nous attendions plus », a souligné le numéro un du PCF, Pierre Laurent. « Le PS entraîne toute la gauche dans sa dégringolade, a affirmé également Corinne Morel Darleux, une dirigeante du PG. On n’a pas su se distancer suffisamment pour ne pas être entraînés. »

Pour Clémentine Autain, porte-parole de Ensemble, troisième force du Front de gauche, l’argument est un peu court. « Jeter la responsabilité sur le PS ne suffira pas à répondre à la question qui nous est posée », prévient-elle. Non seulement la coalition de la gauche radicale n’a pas réussi à dépasser le PS comme le PG se l’était fixé mais les électeurs la renvoient à ses scores initiaux comme si les 11,10 % de la présidentielle n’avaient jamais existé.

Le constat est simple : depuis deux ans, le Front de gauche n’est pas parvenu à attirer les déçus de François Hollande. « A l’inverse du FN, on pâtit d’être en dehors du système, note Mme Morel-Darleux. Et on a un discours trop radical pour des électeurs PS et EELV : on perd sur les deux tableaux. » Les divisions internes qui sont apparues aux municipales ont aussi handicapé une dynanique qui, dans le contexte d’euroscepticisme fort, aurait pu trouver un écho. Eric Coquerel, chargé des élections au PG, renvoie les communistes à leurs responsabilités, eux qui ont opté pour des alliances à géométrie variable aux municipales avec le PS. « L’absence de stratégie globale ne nous a pas aidés en terme de lisibilité », tacle-t-il. M. Chassaigne a lui une autre explication. « On est apparu comme replié sur nous-mêmes, se désole-t-il. Et comme des organisations en concurrence entre elles. »

« ARCHITECTURE NOUVELLE »

Le message que viennent de leur infliger les électeurs est d’autant plus cinglant qu’ailleurs en Europe la gauche radicale parvient à réaliser une percée non négligeable. En Grèce, Syriza termine même en tête du scrutin. Au Front de gauche, l’objectif reste donc de rassembler au-delà de ses propres forces, en se tournant vers les socialistes et écologistes critiques. « Si on n’est pas capable de s’allier avec ceux qui refusent cette politique, on ira droit dans le mur », insiste le secrétaire national du PG, Eric Coquerel.

Mais pour y parvenir, le Front de gauche doit déjà « commencer par balayer devant porte » souligne Mme Autain. « On n’a pas su transformer l’élan de la présidentielle et on a un Front de gauche qui s’est replié sur un tête-à-tête entre le PCF et le PG », insiste celle qui plaide pour une « architecture nouvelle » et des adhésions directes. « Tant qu’on pensera qu’une petite armée en campagne et la magie du verbe suffisent, on avancera pas », juge également un responsable du Front de gauche.

Déjà, au PCF, des critiques ont commencé à viser M. Mélenchon. M. Chassaigne estime ainsi que « le Front de gauche ne peut être incarné par un seul homme, aussi talentueux soit-il ». « Le meilleur allié de Hollande, c’est Mélenchon, lâche un autre dirigeant communiste. Sa stratégie de jouer l’effondrement du PS pour lui substituer un Front de gauche dominé par lui-même est contre-productive. »

Une date est déjà retenue. Les 4 et 5 juin, la direction du PCF se retrouve en séminaire pour discuter de l’avenir du Front de gauche. L’occasion que certains ne rateront pas pour lâcher leurs coups.


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