Lettre à mes amis de gauche sur mon vote dès le 1er tour de la présidentielle pour Mme ROYAL (Gérard Perrier, Bouches du Rhône, Conseil national de PRS)

samedi 24 février 2007.
 

Chers amis.

Comme le désordre à gauche incite plusieurs de mes collègues, traditionnels électeurs de gauche, à voter F. Bayrou, M.-G. Buffet, José Bové... et à me dire tout le mal qu’ils pensent de Mme Royal, je leur réponds collectivement ici.

La gauche a raté la préparation de la présidentielle. Pas de programme commun des partis de la gauche classique, explosion des collectifs anti-libéraux. Des morceaux entiers du PC font campagne pour J. Bové, des parties de la LCR de même, des militants de la gauche du PS, dont je fais partie, ne font de campagne que contre la droite et l’extrême-droite... Bref la confusion est grande à gauche et dans les esprits de militants de gauche aussi.

Pourtant depuis la dernière présidentielle en 2002, tout indique un rejet puissant de la droite dans notre pays : grèves d’une puissance inédite dans l’enseignement contre la réforme des retraites et la décentralisation en 2003, ras-de-marée électoral contre la droite aux régionales et cantonales de 2004 qui met le PS à la tête de 20 régions sur 22, victoire du NON au TCE en 2004 malgré la mobilisation médiatique, celle de la droite et celle de la direction du PS, grèves et manifestations monstres pendant près de deux mois l’an passé de la jeunesse et des salariés contre le CPE... et Mme Royal vint comme candidate désignée par le PS...

Là est tout le paradoxe qu’on essaiera ici de comprendre : au moment où la société "pousse" à gauche à travers l’activité publique rappelée plus haut, les adhérents du PS choisissent une candidate imprévisible, confuse, peu liée à un programme de gauche malgré ses efforts à Villepinte (rien sur la redistribution des richesses, l’impôt, la taxation des revenus financiers... Pas rien pour une candidate PS !).

Mme Royal l’a emporté sur L. Fabius qui avait un programme plus clair et plus à gauche. Pourquoi ? La mobilisation de l’appareil du PS pour Mme Royal, comme les nouveaux adhérents à 20 E n’expliquent pas tout. Ce qui domine parmi les adhérents tient d’abord au fonctionnement de la Ve République lui-même : pour le vote sur le TCE en 2005 pas de personnalisation et pour cause. A l’inverse de ce qui est le propre d’une élection présidentielle au suffrage universel depuis 1962 : la personnalisation extrême de la politique. C’est pourquoi, entre autres, il faudra, d’une façon ou d’une autre, en finir avec ce carcan de la République et de la démocratie que sont les institutions de la Ve République.

Une femme qui affiche sa distance avec les " éléphants " du parti, par ses " Comités désirs d’avenir " avec le parti lui-même, incarnerait la volonté de battre la droite et de " changer " la façon de faire de la politique ? Tandis qu’un Fabius, malgré sa courageuse position pour le Non au TCE , reste prisonnier de l’ image son passé de 1er Ministre, de ministre des baisses d’impôts...

C’est regrettable mais c’est ainsi : ces formes peu rationnelles expriment pourtant, au regard du contexte, une volonté de battre la droite.Ce qui ne signifie pas pour autant une adhésion aux 35 h pour les enseignants et à l’encadrement militaire des jeunes délinquants !

Le vote pour Mme Royal n’a qu’un seul sens : battre la droite, dans le cadre légal ,réel de la Ve République. De Gaulle avait décidé cette forme " directe "entre le peuple et lui pour se passer des partis et concentrer l’essentiel des pouvoirs entre ses mains,réduisant le Parlement ,depuis lors à un rôle marginal (celui-ci n’a même pas la maîtrise de son propre ordre du jour !). Mais me dit-on Me Royal mènera une politique blairiste désastreuse ; préserver la Ve et mieux arrimer la France à l’Europe libérale. Ce sont les objectifs de Hollande et autres dirigeants du PS sans conteste possible. Alors ?

Que ceux qui ne comprennent pas ce que la victoire de Sarkozy aurait comme conséquences sur la Sécu, la précarité, les retraites, le communautarisme à la place de la loi de 1905, les services publics... se souviennent du gouvernement Jospin et des cinq années Chirac que nous venons de connaître... " Avec la gauche on était loin d’avoir ce qu’on voulait, avec la droite on a vraiment tout ce qu’on ne veut pas. " Qui peut dire le contraire ?

Quant au blairisme avéré de Mme Royal, on se souviendra que M. Blair vint après Mme Thatcher. Il n’y eut guère de protestation (sauf contre la guerre du Royaume Uni en Irak) vis à vis des mesures du gouvernement Blair car celui-ci prit le pouvoir dans le parti travailliste puis dans un pays démoralisé, avec un salariat atomisé par la longue grève et la défaite des mineurs au milieu des années 1980. Blair n’a pas interdit le droit de grève il ne l’a pas rétabli.Est-ce du pareil au même ? Une S. Royal victorieuse qui tenterait d’imposer un programme blairiste se heurterait aux rapports de force sociaux issus des mobilisations de 2003 et 2006. On aurait alors des manifs d’une autre ampleur que celles des enseignants qui ont viré Allègre. A l’inverse Sarkozy vainqueur c’est un mur en face des salariés, de leurs syndicats et associations. Une accélération assurée de ce qui est en cours : des contre réformes dans tous les domaines.Ce que Sarkozy lui-même résume par ce mot qui tombe comme un couperet : " la rupture ".

Il faut bien réfléchir aux rapports complexes entre élections et luttes sociales. Ne pas se " réfugier ", comme le font trop de mes bons camarades syndicalistes enseignants, sur le seul terrain des luttes sociales,au motif que les " politiques " au fond se valent et que seul le rapport des forces établi par les luttes compte. Ne pas perdre de vue que l’histoire est riche de ces relations constantes et interdépendantes. Ainsi pour le Front Populaire de 1936 :élection puis grève générale qui oblige ce gouvernement au programme vague à des avancées sociales inouïes .de même pour la période de l’immédiat après guerre :des acquis dont nous bénéficions encore grâce au rapport des forces issu de la Résistance. Et encore : la grève générale de mai et juin 1968, le raz-de-marée paradoxal à droite aux élections de juin, qui résulte du vide politique pendant la grève, fermement encadrée par PCF et CGT qui protègent de Gaulle " allié " parce qu’anti-atlantiste à la stratégie de Moscou. Enfin se souvenir de ce qui s’est passé durant la même période dans deux pays : l’Angleterre : des années Thatcher et la France des années Mitterrand ... Je n’ai pas brusquement découvert que Mme Royal est la clef de la situation. Juste le moyen électoral de battre la droite en avril, et l’amplifier aux législatives qui suivent. Et, peut être, ouvrir les vannes de la mobilisation sociale et de l’espoir qu’une défaite électorale de la droite susciterait. Je ne dis pas l’adhésion à la politique que la victoire de Mme Royal susciterait. Je n’adhère pas plus qu’hier au " pacte présidentiel " de la Jeanne d’Arc de Villepinte !

Si Sarko gagne, à l’inverse, c’est le reflux et la démoralisation durablement installés, après quelques noyaux de résistance vite circonvenus. C’est pourquoi, et compte tenu de ce qu’est ce scrutin, je vote dès le 1er tour pour Mme Royal, sans adhésion ni enthousiasme, afin qu’elle ait une chance de battre la droite au second tour. Après avoir battu l’extrême droite au premier. Et de ne pas nous retrouver en mai 2002 !

Gérard Perrier


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