Elections européennes : « L’effet Tsipras » donne des ailes à la gauche de la gauche européenne

dimanche 25 mai 2014.
 

La scène se passe début avril à Palerme, en Italie. Une foule compacte se précipite pour toucher « l’ami Alexis », lui glisser trois mots d’encouragement ou l’embrasser dans des accolades fraternelles. Le chef de l’opposition grecque, Alexis Tsipras, bien que visiblement fatigué par des semaines de tournée européenne, se prête au jeu et distribue sourires et poignées de main, encore un peu étonné de rencontrer la même ferveur dans tous ses déplacements européens. « C’est comme ça dans chaque ville où nous nous rendons. Je suis reçu comme une star du foot », raconte-t-il. Un tourbillon dans lequel il est pris depuis que le Parti de la gauche européenne (PGE) a décidé d’en faire son candidat à la présidence de la Commission européenne.

A Palerme, Alexis Tsipras venait pour quelques heures soutenir « L’Altra Europa con Tsipras » (« L’Autre Europe avec Tsipras »). Une initiative de la gauche radicale italienne qui, en portant le Grec Tsipras à la tête de sa propre liste pour les européennes, essaie de dépasser ses divisions internes.

Encore inconnu en dehors de la Grèce, il y a deux ans, Alexis Tsipras a fait la « une » des journaux du monde entier et surgi dans un anglais balbutiant sur les écrans de CNN après que son parti Syriza eut récolté 27 % des suffrages, lors des législatives de 2012. Depuis, il a fait des progrès et peut tenir un entretien dans la langue de Shakespeare. Il est surtout devenu la principale force d’opposition en Grèce et l’enfant chéri de la gauche de la gauche européenne à la recherche d’un porte-drapeau capable à la fois d’incarner l’opposition au dogme de l’austérité et en mesure de porter un parti de gauche radicale au pouvoir.

Pour les élections européennes, le Syriza est en effet au coude-à- coude dans les sondages avec les conservateurs au pouvoir de la Nouvelle Démocratie (ND). Et M. Tsipras l’affirme à longueur de meeting : « Si nous passons devant la ND avec une large avance aux européennes, alors nous réclamerons des législatives anticipées en Grèce et nous prendrons le pouvoir. » Un rêve inaccessible pour la plupart des autres partis de gauche radicale européens qui ont fait de M. Tsipras leur champion, porteur de tous leurs espoirs.

D’Athènes à Bruxelles, en passant par Madrid, Rome, Berlin ou Paris, ce presque quadragénaire sillonne le continent pour défendre son projet pour l’Europe et pour la Grèce. Un projet qui tient en trois grandes lignes : annulation des dettes au-delà du seuil de 110 % du PIB, abrogation des plans d’austérité et lancement d’un plan Marshall pour relancer la croissance. « On doit comprendre que le modèle de l’Europe n’est pas celui de Weimar, mais celui du New Deal de Roosevelt », expliquait-il lors d’un passage à Paris.

HÉRITIER D’UN COURANT COMMUNISTE PROEUROPÉEN

Très sollicité, Alexis Tsipras a du mal à tenir le rythme de son emploi du temps et accumule les retards et les annulations de dernière minute, notamment avec la presse. Les télés et journaux du monde entier se battent auprès de son service de presse, débordé, pour obtenir un entretien. « Tous ont bien compris que se joue en Grèce l’avenir de la gauche européenne », affirme sans complexe un responsable de Syriza. « Cela a fait de Tsipras un symbole qui le dépasse un peu et sans grand rapport avec son image auprès des Grecs eux-mêmes », ajoute, un poil ironique, cet homme souhaitant garder l’anonymat.

Il est vrai que le héros européen a parfois du mal à convaincre en Grèce et surtout au sein de son propre parti. Syriza est une coalition turbulente qu’Alexis Tsipras, héritier d’un courant communiste proeuropéen, a jusqu’ici réussi à contenir. Il doit aujourd’hui souvent ferrailler avec une minorité plus radicale hostile à l’Europe et à l’euro, dont les positions sont abondamment répercutées dans les médias grecs. Les récentes négociations internes, longues et difficiles, pour l’établissement des listes pour les scrutins municipaux et européens ont révélé ses divisions. Plus largement encore, sa base électorale la plus à gauche lui reproche ses compromissions pour devenir un parti de gouvernement européen.

Ces contradictions l’empêchent, pour l’instant, de surpasser son score de 2012 dans les sondages. Et le très rigide Parti communiste grec attire des déçus du Syriza. « On ne peut pas dire que Syriza a réussi à capitaliser après notre succès de 2012 », se désole cet interlocuteur critique du parti. « Si Nouvelle Démocratie est devant Syriza, alors Tsipras sera contesté en interne », confirme le politologue Elias Nikolakopoulos.

« PRÊT À PRENDRE LE POUVOIR »

La personnalité d’Alexis Tsipras n’a jamais véritablement fait l’unanimité au sein du parti, mais son réel talent d’orateur et sa capacité à verrouiller les conflits internes à Syriza en ont fait la figure politique incontournable du parti.

Agé de 39 ans, cet ingénieur civil, père de deux enfants, est déjà un politicien de carrière, un apparatchik de la gauche radicale. Encore lycéen, ce fils d’un petit entrepreneur en bâtiment s’est enrôlé dans les rangs du Parti communiste avant de rejoindre Syriza. Ses premiers talents d’orateur et de dirigeant apparaissent lors de la mobilisation lycéenne de 1990-1991. Il rejoint le comité central du parti en 2004 et en prend la tête en 2008. Une ascension qui ne plaît pas toujours aux plus anciens, qui se sentent aussi menacés par l’équipe de jeunes conseillers ambitieux dont s’est entouré Alexis Tsipras.

Ces hommes du président forment une garde rapprochée qui décide de tout. Et notamment de la tonalité de la campagne pour les européennes. « Pour la première fois, la gauche », « La Grèce montre la voie »… autant de slogans imposés par le jeune directeur de campagne, Alexandros Bitsis, et qu’Alexis Tsipras décline à l’envi.

Il les a utilisés lors du grand débat l’opposant aux quatre autres candidats pour la présidence de la Commission, jeudi 15 mai. Si la pétillante candidate des Verts Ska Keller lui vole désormais l’argument de la jeunesse, il a plutôt réussi son examen de passage, en interpellant directement ses adversaires à plusieurs reprises sur leur collaboration aux politiques d’austérité appliquées en Europe ces dernières années.

Tout l’enjeu pour Alexis Tsipras est de montrer aujourd’hui qu’il est « prêt à prendre le pouvoir », comme il l’affirme. Et surtout de trouver avec qui il peut gouverner – à l’intérieur comme à l’extérieur de son parti – pour mettre en place cette autre politique qu’il promet à la Grèce et à l’Europe.

Adéa Guillot (Athènes, correspondance) et Alain Salles, Journalistes au Monde


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