Agriculture : hold up sur les semences

jeudi 22 mai 2014.
 

Premier maillon de la chaîne de production alimentaire, les semences sont au cœur d’enjeux commerciaux, politiques et écologiques majeurs.

L’hégémonie des multinationales

10 multinationales contrôlent plus de 70% du marché des semences. Monsanto caracole en tête avec 27% du marché, suivi par Dupont (15%), et Syngenta (9%) (données 2009). La reconfiguration du secteur a été très rapide depuis les années 90, avec de nombreuses fusions-acquisitions et des politiques commerciales agressives pour imposer progressivement les semences brevetées. Les moyens financiers mobilisés sont colossaux, la concentration des acteurs se traduit par l’intégration des différentes branches de l’agroindustrie (semences, engrais et produits phytosanitaires). Les semenciers nouent même des alliances entre eux pour accéder à des technologies brevetées. Afin de consolider leur pouvoir de marché, ils commercialisent aux agriculteurs des paquets techniques qui combinent semences et intrants.

Cette évolution du secteur ne serait pas possible sans un cadre juridique favorisant l’appropriation privée des ressources génétiques. Elle est également indissociable des bouleversements technologiques dans le domaine du génie génétique. Depuis une vingtaine d’années, les biotechnologies élargissement le champ des possibles en matière de transformations du vivant et d’augmentation de la vitesse de sélection variétale. C’est le cas des organismes génétiquement modifiés (OGM) obtenus par transgénèse (en intégrant dans le génome de la plante un gène provenant d’un autre organisme) mais aussi des variétés sélectionnées par mutagénèse (en provoquant des mutations aléatoires dans le génome de la plante avec des agents mutagènes chimiques, des rayonnements ionisants ou UV).

Sur le plan juridique, c’est une marche forcée, parfois insidieuse ou pleinement assumée, vers le renforcement des droits de propriété intellectuelle concernant les ressources génétiques. Le brevet est étendu au vivant dès les années 80 aux Etats-Unis. En Europe, les techniques de modification, d’isolement et d’introduction de gènes dans un autre génome sont brevetables. La législation sur les certificats d’obtention végétale (COV), système de protection des obtentions végétales, a été progressivement durcie en encadrant l’utilisation des semences de fermes et en limitant l’accès aux variétés protégées à d’autres sélectionneurs. Il y aurait également fort à dire sur les dispositions en matière d’évaluation des variétés pour la mise en marché et l’inscription au catalogue officiel. Elles constituent un verrou technico-juridique qui écarte toute forme alternative de sélection végétale et impose une vision très restrictive du « progrès technique ».

Offensives européennes

Une réforme européenne de la production des semences et de leur commercialisation est en cours. La Commission européenne a déjà soumis au Parlement une proposition. Arguant la nécessité de simplifier une législation complexe, elle propose en fait un durcissement de la législation. Le texte prévoit d’une part de limiter les droits des paysans pour ressemer leurs propres semences et échanger leurs graines. Il entend ensuite modifier les critères de reconnaissance des variétés en facilitant l’accès au marché pour des nouvelles variétés brevetées en dehors de tout contrôle public. Il s’agit bien sûr de renforcer la force de frappe des semenciers. Leurs lobbies sont particulièrement actifs à Bruxelles ! A ce stade le Parlement européen s’est opposé au texte de la Commission. Les débats se poursuivront après les élections européennes. Il va s’en dire qu’un parlement majoritairement libéral serait une mauvaise nouvelle pour la défense des droits des paysans et l’écologie.

Si la question des OGM mobilise la société civile, d’autres types d’innovations biotechnologiques dans le domaine de la sélection variétale sont tout aussi préoccupantes et se développe à mots couverts. C’est le cas des variétés tolérantes aux herbicides (VTH). Celles-ci se distinguent des OGM par leur mode d’obtention (par mutagénèse et non par transgénèse). En France, les VTH connaissent actuellement un développement très important : plusieurs milliers d’hectares sont cultivés, en particulier de tournesol et de colza. Ces cultures ne sont pourtant pas encadrées faute de relever des mêmes dispositions que les OGM. Les VTH sont censées répondre à des impasses techniques où les agriculteurs rencontrent des difficultés pour maîtriser les adventices (« mauvaises herbes »).

Les risques pour l’environnement en terme de dissémination des gènes de tolérance aux herbicides sont pourtant bien tangibles. L’exemple du colza est emblématique. Le colza VTH se dissémine, se ressème très facilement tout en conservant son caractère de tolérance à l’herbicide. Avec un risque de croisement avec d’autres plantes sauvages ou cultivées.

Mais la bataille sur les OGM n’est qu’une succession de victoires suivies de déconvenues. L’arrêté interdisant la culture de maïs OGM MON810 et la commercialisation de semences pourrait à nouveau être retoqué par le Conseil d’état, qui s’était déjà prononcé contre cette interdiction par deux fois en 2011 et 2013. Les lobbies de l’agro-industrie (semenciers et producteurs de maïs) ont d’ores et déjà attaqué l’arrêté d’interdiction.

Changeons de modèle agricole !

Que ce soit pour les OGM ou les VTH, leur développement s’accompagne de l’apparition de plantes résistantes qui obligent à consommer plus d’herbicides ou de recourir à d’anciennes molécules plus toxiques pour l’environnement. C’est une course en avant technologique, un contre-la-montre qui consiste à créer à chaque fois de nouvelles chimères qui combinent une puis deux puis de multiples résistances aux produits chimiques. Pourtant, la solution est ailleurs : la transition écologique de l’agriculture, qui n’est ni un vain mot ni une incantation irréaliste. Il faut repenser les systèmes de productions agricoles pour s’affranchir de la dépendance à la chimie et renouer avec les principes de l’agro-écologie. C’est à ce prix que l’on pourra à la fois répondre aux défis alimentaires actuels et assurer l’avenir des agriculteurs.

Anne Toscas


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