La finance : L’État au service des banques dans le scandale des prêts toxiques en France

mercredi 14 mai 2014.
 

Les prêts toxiques des banques en France constituent un exemple supplémentaire de la doctrine « trop grandes pour être condamnées ». Pour financer leurs investissements, les communes, les départements, les régions, les hôpitaux et les organismes de logement social ont recours à l’emprunt. Or, il y a une quinzaine d’années, au lieu de les financer comme par le passé avec des emprunts sans risques (les prêts à taux fixe et à taux révisable classiques), les banques ont proposé à ces acteurs des produits plus rémunérateurs pour elles (les fameux « produits structurés »), mais beaucoup plus risqués pour leurs emprunteurs [1]. En effet, le taux de ces prêts évolue à partir d’index risqués, comme le taux de change des monnaies. La crise financière de 2007-2008 a vu ces prêts structurés se transformer en prêts toxiques, les collectivités prises au piège n’ayant d’autre choix que de continuer à payer des intérêts exorbitants ou rembourser leurs emprunts par anticipation moyennant le règlement d’une indemnité considérable (appelée soulte), parfois supérieure au montant du prêt.

Fin 2011, en France, une commission d’enquête parlementaire recensait pour l’ensemble des acteurs publics locaux un encours de 18,8 milliards d’euros de prêts présentant un risque, dont 15,7 milliards un fort risque. On estimait à l’époque à environ 5 000 le nombre de collectivités impactées. Pourtant, malgré ce constat à charge sur les responsabilités des banques dans ce dossier, le gouvernement n’a pris aucune mesure.

Cette passivité coupable de l’État à l’égard des banques, pour ne pas dire sa connivence, a amené des collectifs d’audit citoyen à se constituer dans une centaine de villes de France pour faire connaître cette situation scandaleuse et pousser leurs collectivités à agir en justice contre les banques. En juin 2013, on comptait plus de 300 assignations concernant 200 collectivités publiques. La justice ne s’est pas encore prononcée définitivement sur le fond mais, dans plusieurs affaires, les juges ont sanctionné les banques sur différents motifs : défaut de mention du taux effectif global (TEG) sur les contrats, manquement à l’obligation d’information et de conseil, caractère spéculatif du contrat (alors que ce type de contrat est interdit pour les collectivités).

Dans ce dossier, tant sous la présidence Sarkozy que sous la présidence Hollande, l’attitude du gouvernement français a été particulièrement scandaleuse et ce à différents niveaux.

Tout d’abord, lorsque DEXIA a connu des difficultés, du fait d’une politique aventureuse et de pratiques spéculatives, au lieu de laisser les créanciers de Dexia prendre leurs pertes, la Belgique, la France et le Luxembourg ont mis en place trois plans de sauvetage successif qui se sont révélés vains puisque fin 2012 Dexia a dû être démantelée. Dans la foulée de cette opération, le gouvernement français a décidé de créer en janvier 2013 la Société de Financement local (SFIL), une société anonyme à conseil d’administration agréée en qualité d’établissement de crédit par l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP). La SFIL, une structure à 100 % publique puisque son capital est détenu à 75 % par l’État, à 20 % par la CDC et à 5 % par la Banque Postale. Elle a hérité d’un portefeuille de 90 milliards d’euros de prêts déjà consentis à des collectivités dont 8,5 milliards d’euros d’encours toxiques. Il s’agit du portefeuille de prêts de DEXMA (Dexia Municipal Agency) racheté pour l’euro symbolique.

Ensuite, à la fin de l’année 2013, lorsqu’il s’est aperçu qu’un certain nombre de décisions de justice condamnaient les banques dans les litiges relatifs aux prêts toxiques, le gouvernement socialiste a décidé d’inscrire dans le Projet de Loi de Finance pour 2014 un article destiné à valider rétroactivement les contrats de prêts toxiques illégaux car dépourvus de TEG. L’État, désormais porteur du risque des 8,5 milliards d’euros d’encours toxiques de DEXIA, essayait ainsi de se prémunir de façon déloyale et malhonnête contre la jurisprudence des tribunaux civils défavorable aux banques. Saisi par des députés et des sénateurs, le Conseil constitutionnel a infligé un camouflet au gouvernement socialiste le 29 décembre 2013 en déclarant cette mesure inconstitutionnelle.

Enfin, s’il sanctionnait la disposition relative à la validation rétroactive des contrats illégaux, le Conseil constitutionnel validait toutefois une autre disposition tout aussi pernicieuse contenue dans le projet de loi : la mise en place d’un fonds de soutien pour les collectivités victimes d’emprunts toxiques. En effet, ce fonds de soutien est porteur de multiples tares. Son montant de 100 millions d’euros pendant 15 ans maximum est notoirement insuffisant pour couvrir le risque. Dans son nouveau projet de loi relatif à la sécurisation des emprunts structurés, le gouvernement estime à 17 milliards d’euros le risque représenté par les seuls 8,5 milliards d’euros d’encours toxiques détenu par la SFIL. A ce montant, il faut ajouter le risque représenté par les encours toxiques des autres banques françaises et étrangères. Au final, le risque total représenté par les emprunts toxiques dépasse probablement les 25 milliards d’euros [2], une somme à côté de laquelle le milliard et demi du fonds semble bien dérisoire. Par ailleurs, les banques ne contribueront que pour moitié au financement du fonds, soit au maximum 750 millions d’euros sur 15 ans, une somme représentant seulement 3 % du coût total estimé du risque qu’elles ont généré. Une autre déficience de ce fonds tient à ce que l’aide qu’il est susceptible d’accorder est limitée à 45 % maximum du montant des indemnités de remboursement anticipé dues. De plus, pour pouvoir bénéficier de ce fonds, la collectivité a l’obligation de passer une transaction avec la banque et renonce ainsi à toute action en justice.

Sanctionné par les pouvoirs publics le 29 décembre 2013, le gouvernement n’a pas renoncé à son projet de priver les collectivités publiques de faire valoir leurs droits devant les tribunaux puisqu’il a déposé le 23 avril 2014 un nouveau projet de loi visant à valider rétroactivement, par tout écrit, les emprunts toxiques dont le taux effectif global, le taux de période ou la durée de période n’est pas mentionné ou est erroné [3]. L’étude d’impact qui accompagne ce nouveau projet est proprement révoltante. En effet, le document propose un exemple chiffrant le manque à gagner pour la banque si un emprunt de 10 millions d’euros sur 20 ans voyait son taux d’intérêt fixe de 3 % remplacé par le taux légal actuellement de 0,04 % [4]. Les rédacteurs évaluent le préjudice pour la banque à 3,441 millions d’euros. Dans leur exemple, ils présentent un différentiel d’intérêts entre deux taux fixes – or nous savons que la période risquée des emprunts toxiques est à taux révisable – mais surtout, ils se gardent bien de calculer le surcoût que devrait payer une collectivité pour un emprunt dont le taux est indexé sur la parité de l’euro et du franc suisse, un taux qui varie aujourd’hui entre 9 % et 12 %. Dans l’hypothèse d’un taux de 12 %, le surcoût total pour la collectivité est de 13,332 millions d’euros par rapport à un taux fixe de 3 % et de 16,733 millions d’euros par rapport au taux légal de 0,04 %. Le fait que l’étude d’impact n’ait pas évoqué ce cas de figure montre la partialité et la malhonnêteté du gouvernement entièrement acquis à la cause des banques.

L’entêtement des pouvoirs publics à exonérer les banques de leurs responsabilités et à faire supporter la charge des emprunts toxiques par les collectivités et les contribuables ne donne que plus de raison d’être et de légitimité à l’action citoyenne pour obliger les banques à supporter l’intégralité des surcoûts liés aux emprunts toxiques. Après avoir mené un premier travail d’audit de la dette locale et d’information auprès de la population, des citoyens réunis en collectifs se préparent à passer à une nouvelle étape en attaquant les banques en justice dans le cadre d’une action rarement utilisée, connue sous le nom d’ « autorisation de plaider », qui permet à des citoyens d’agir en justice à la place d’élus défaillants [5]. La question de l’annulation de la dette illégale et illégitime est donc plus que jamais d’actualité aujourd’hui en France.

Éric Toussaint et Patrick Saurin


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