Crise politique et sociale  : et maintenant, que peut-on faire à gauche  ?

jeudi 8 mai 2014.
 

- La stratégie d’autonomie par rapport au PS est indispensable et incontournable (M. Billard, PG)
- Pour un nouveau bloc majoritaire à gauche" (C. Picquet)
- "Briser le consensus libéral " (Anne Sabourin, PCF)

"La stratégie d’autonomie par rapport au PS est indispensable et incontournable"

Par Martine Billard coprésidente du Parti de gauche

Les municipales ont souligné avec force le désaveu subi par le gouvernement. Plus qu’une victoire de la droite, c’est le PS qui a perdu, car la droite traditionnelle a peu progressé en voix. Par contre, l’abstention a particulièrement frappé l’électorat de gauche, notamment dans les quartiers populaires. La montée du vote FN ne provient d’ailleurs pas de ces quartiers mais de leur périphérie proche où logent les classes populaires qui ont quitté les cités HLM ou de zones rurales appauvries.

Les triangulaires, avec maintien de listes FN, ont beaucoup moins profité au PS que ce qu’il espérait par suite de la porosité entre électorat FN et UMP. Il a aussi découvert avec surprise que le temps où l’électorat se reportait automatiquement à gauche au second tour était terminé.

Nombreux sont également les sortants socialistes battus après avoir refusé avec mépris toute fusion avec les listes du Front de gauche. Globalement, la volonté de «  sortir  » les représentants du gouvernement a été très forte. Elle s’est exprimée dans plusieurs villes par le vote, amplifié au second tour, en faveur de dissidents socialistes (Montpellier, La Rochelle, Dunkerque avec Michel Delebarre battu par 19 points de différence  !).

D’une autre façon, à Grenoble, la conviction que la victoire de la liste EELV-PG-Ensemble-citoyens était possible a généré un élan en sa faveur au second tour. Il ne s’agit donc pas d’une crise politique en général mais bien d’un effondrement du PS lié à son abandon de la défense des classes populaires et moyennes. Dans ce contexte, le fait qu’une stratégie d’autonomie du Front de gauche n’ait pu être affirmée nationalement a pénalisé lourdement les listes qui ont refusé de partir derrière le PS, alors que la formule du rassemblement de la gauche, comme le fait de différencier politique nationale et politique locale, n’apparaît plus crédible aux yeux de la population.

Un certain nombre de maires sortants se réclamant du Front de gauche ont d’ailleurs pu le constater à leurs dépens. Tout ce qui peut sembler une forme de soumission aux politiques gouvernementales provoque immédiatement un rejet. Pour redonner une dynamique au Front de gauche, la stratégie d’autonomie par rapport au PS, ambition fondatrice de notre rassemblement, est donc indispensable et incontournable. C’est la seule solution pour ne pas être balayé avec lui. Il nous faut donc changer les rapports de forces à gauche. L’élection européenne doit nous permettre un rebond mais, après la séquence des municipales, ne nous cachons pas que nous partons affaiblis.

La seule façon de convaincre les 4 millions d’électeurs qui ont voté pour Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle de se déplacer le 25 mai est de porter un message clair de rupture avec les traités de l’Europe libérale et de la libre concurrence. Tout en poursuivant et en renforçant le front politico-social apparu à l’occasion de la marche du 12 avril, notamment en participant massivement au 1er Mai puis au 15 mai, journée de mobilisation des fonctionnaires, nous devons convaincre les forces de gauche du PS et l’ensemble d’Europe Écologie qu’il n’est plus suffisant de se contenter de protester au Parlement. Il est indispensable de montrer qu’il n’y a pas de fatalité au retour de la droite et qu’il est possible d’offrir une alternative à gauche avec toutes celles et ceux qui refusent l’austérité et veulent une politique écologique, sociale et de participation citoyenne. Grenoble nous montre que l’alternative est possible. Au Front de gauche, dans son ensemble, de la porter dans un rassemblement large et respectueux des partenaires.

"Pour un nouveau bloc majoritaire à gauche"

par Christian Picquet, porte-parole de Gauche unitaire, conseiller régional de Midi-Pyrénées

Nous abordons un nouveau moment crucial de notre histoire, qui exige de nous une lucidité à toute épreuve autant que des décisions audacieuses. Non une crise politique au sens que ce terme recouvre ordinairement, mais une période de profonds bouleversements où se joue l’avenir. Celui de la France, de son peuple, de la gauche.

Chacun sait de quel paysage ont accouché les élections municipales  : une fracture sans précédent, sur fond d’atrophie de la démocratie et d’avilissement de la politique par l’argent, entre les citoyens et ceux qui sont censés les représenter  ; une immense colère de l’électorat populaire devant une gestion gouvernementale qui aura foulé aux pieds les attentes du printemps 2012, pour ne satisfaire que les marchés et les actionnaires  ; un effondrement qui, au-delà du Parti socialiste, tend à priver la gauche de l’enracinement territorial qui fit son rayonnement tout au long du siècle écoulé  ; une droite dont la base s’est radicalisée comme jamais depuis la Libération, qui vient de révéler à quel point elle est parvenue à marquer des points dans les consciences  ; une extrême droite qui, de scrutin en scrutin, se nourrit de la désespérance sociale et se forge l’image d’une force en condition d’accéder demain aux responsabilités  ; une crise de perspective alternative à gauche, qui voit le Front de gauche stagner dans les urnes autant que dans les sondages, faute d’apparaître porteur d’une solution de pouvoir crédible…

Prenons donc bien garde à ne pas nous réfugier derrière ces formules rhétoriques que nos concitoyens perçoivent, à juste titre, comme une langue de bois désespérante. L’austérité, pérennisée et aggravée par l’équipe de Manuel Valls, laisse déjà deviner les déroutes électorales et politiques de demain. C’est la République qui se voit menacée d’un désastre et c’est la gauche dans son ensemble qui court à une authentique catastrophe.

Rien n’est toutefois joué. Si le président de la République et son premier ministre ignorent cyniquement le message des urnes, s’ils persistent dans une fuite en avant libérale pourtant promise à un échec assuré et source de souffrances considérables pour la population, ils n’ont plus aucune majorité à gauche. De toute évidence, la gauche ne se reconnaît pas dans leur gouvernement. Ce dont attestent, tout à la fois, le départ des ministres d’Europe Écologie, la fronde grandissante qui se manifeste jusqu’au cœur du Parti socialiste, le refus de la plus grande partie du monde syndical de souscrire aux mystifications d’un «  pacte  » mortifère avec le grand patronat. Au travers des avertissements et mises en garde qui se font entendre de toutes parts, se dessinent à bien y regarder les contours d’un pacte anti-austérité. D’une politique d’investissements massifs et de relance au service de l’emploi, que permettraient une dépense publique réorientée et la conversion écologique de l’économie. D’une révolution fiscale qui, en taxant les revenus financiers et spéculatifs, redonnerait des marges à la puissance publique. Du retour de la maîtrise du crédit entre les mains de l’État, avec un pôle bancaire public qui initierait la réindustrialisation des territoires et viendrait réellement en aide aux PME. De la priorité à donner à la demande populaire plutôt qu’à «  l’offre  », ce qui suppose d’oser augmenter les salaires et les pensions. De la sortie du carcan d’un traité budgétaire qui enferme la France et l’Europe dans le marasme et la régression.

Que ce programme de salut public commence à réunir une majorité de la gauche est une chance à saisir sans hésitation. Car ces mesures sont les seules à même de replacer la gauche à gauche, de permettre au monde du travail et au camp progressiste de surmonter les divisions que le pouvoir en place n’a cessé de creuser depuis deux ans, de rouvrir au pays un chemin d’espoir. Le Front de gauche doit, de toute urgence et dans le cours même de la campagne des élections européennes, savoir se réorienter pour enclencher une dynamique de remobilisation. L’heure est moins que jamais aux postures qui ont tôt fait d’alimenter la résignation et l’impuissance. À quoi servirait-il, en effet, de se poser en unique alternative du futur, en pôle de radicalité pour le dire autrement, si cela revenait par ailleurs à laisser s’opérer une désintégration générale privant notre peuple d’une perspective de changement à vocation majoritaire  ?

Fidèle à son ambition originelle, à savoir être l’aile marchante de son camp social et politique, le Front de gauche se doit dès lors de porter une offre de rassemblement en direction de toute la gauche. Bien au-delà de lui, un rassemblement au service d’une autre politique, qui jetterait les bases d’un autre gouvernement pour la mettre en œuvre. Cela passe par la proposition d’un nouveau bloc majoritaire à gauche, sur lequel puissent se retrouver, pour la résistance et la contre-offensive, dans le respect des identités de chacun, militants comme responsables ou élus de toutes sensibilités, actrices et acteurs du mouvement social, hommes et femmes qui n’ont pas renoncé à l’idéal républicain d’égalité et de justice. Et il importe que cela se traduise, dès les prochaines semaines, par des initiatives donnant à voir que les choses bougent dans les profondeurs de la gauche. En clair, l’heure est à la construction de lieux de rencontre où puissent se confronter les points de vue et se débattre des solutions à avancer pour sortir le pays d’une passe éminemment dangereuse. Le sursaut ou la débâcle  : tel est, plus que jamais, le défi à relever  !

"Briser le consensus libéral "

par Anne Sabourin, représentante du PCF à la direction du Parti de la gauche européenne.

Pour sortir de la crise politique, il faut qu’émerge un espoir dans ce climat irrespirable de verrouillage idéologique autour des questions économiques et sociales. Dans toute l’Europe, depuis le début de la crise, les gouvernements et la troïka, se sont empressés de «  sauver les banques  » et de mettre en place les politiques d’austérité. Issus des mêmes écoles, naviguant avec aisance dans des médias et des systèmes institutionnels déconnectés des préoccupations du quotidien, les dirigeants de droite ou sociaux-démocrates ne pouvaient qu’envisager ce type de réponses. On a pu mesurer alors l’étendue du «  consensus libéral  » et le mur qu’il constitue face à toute idée progressiste. En France, le débat entre le gouvernement et l’opposition porte sur le niveau des «  économies  » à faire, 50 milliards pour le gouvernement Valls avec le pacte de responsabilité, 100 milliards dans le projet de l’UMP. La détresse populaire qui s’est exprimée aux municipales n’a pas été prise en compte.

La gauche française peut encore éviter la marginalisation totale de ses idées et de ses valeurs, le retour de la droite, et la poussée de l’extrême droite. C’est maintenant qu’il faut prouver qu’«  on peut faire autrement  ». C’est ce que nous tentons de démontrer au plan européen avec le PGE et la candidature d’Alexis Tsipras à la présidence de la Commission européenne. C’est ce qu’a réussi à faire Syriza et ce n’est pas un hasard si un des slogans d’Izquierda Unida en Espagne est  : «  Si se puede  » (oui c’est possible). C’est l’objectif du Front de gauche, une grande ambition, durable, non suspendue au calendrier électoral. Assez des débats stratégiques hors sol et des polémiques publiques qui réjouissent nos adversaires  ! Le Front de gauche doit devenir l’espace permettant les convergences nécessaires à toutes les forces de gauche pour offrir au peuple français un projet de société, un débouché politique aux luttes, un projet incontournable, majoritaire, face au rouleau compresseur libéral. Notre démarche doit se faire sur deux plans indissociables  : unir la gauche sur des contenus et trouver la proximité et la confiance du peuple.

Au sortir des européennes, nous pourrions faire une offre à toute la gauche française, politique et sociale, sur des axes de convergence économiques et sociaux. Nous pourrions lancer une campagne politique ensemble, une campagne de fond, hors période électorale, une campagne sur le terrain des idées. Nous pourrions proposer d’engager le bras de fer au niveau européen pour sortir de l’austérité, une réforme fiscale et sociale, une nouvelle politique du crédit pour investir dans les services publics avec comme priorités le logement, la santé et l’éducation, un plan de relance industriel pour enclencher la transition écologique et créer de l’emploi, des mesures d’urgence pour le pouvoir d’achat, à commencer par l’augmentation des salaires et des minima sociaux, l’égalité femme-homme en matière salariale, et enfin rouvrir le débat sur la VIe République.

Cette réaffirmation de la gauche française sur des fondamentaux est nécessaire mais pas suffisante car la défiance populaire est trop grande. Il nous faut réinventer les espaces de proximité et les gestes de solidarité concrets qui rendront audibles ces propositions. Il y a un dialogue et des liens à retrouver avec les salariés, les jeunes, les militants associatifs, toutes ces personnes que nous avons croisées dans la campagne des municipales et qui, comme nous, cherchent un espoir. Ces grands axes de transformation, nous pouvons en faire des idées majoritaires portées par les citoyens si nous commençons tout de suite à en faire des discussions de quartier, de café, d’appartement, puis des ateliers, des contributions, des débats. Bref, une campagne politique un peu à l’image de 2005. Personne dans le mainstream n’envisageait le non au TCE gagnant. Tout était contre nous, la pensée unique martelée dans les médias, et pourtant… nous avons gagné.


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