L’antisémitisme ukrainien n’est pas un obstacle à l’amitié « occidentale »

mardi 18 mars 2014.
 

Avez-vous noté la volonté de Patrick Cohen sur « France Inter » de minimiser tout ce que je disais sur la place que le parti national socialiste d’Ukraine, « Svoboda », occupe dans le gouvernement qui s’est imposé dans ce pays ? Comme il est significatif de l’aveuglement idéologique des stars médiatiques ! J’ai dit « les néo-nazis ont quatre ministres ». « Non ! Trois ! » lance-t-il du tac au tac. Que veut-il ? Semer le doute sur la gravité des faits que je veux signaler en tâchant de disqualifier la valeur de mon propos. Comme si, même s’il n’y avait qu’un seul néo-nazi avéré dans un gouvernement ce ne serait pas déjà trop ! En réalité, il n’en sait rien. Son but n’est pas d’informer mais de valider la thèse du Disneyland dominant. Muet devant les grotesques trémolos anti-Russes de Cohn-Bendit, Patrick Cohen est bizarrement aux aguets dès qu’il s’agit de l’image des Ukrainiens. Cette rédaction, comme les autres, organise un spectacle. La preuve ? Il y a bel et bien au gouvernement quatre ministres néo-nazis et non des moindres : le vice-Premier ministre, le ministre de la Défense et de la Sécurité nationale, celui des Ressources naturelles et de l’énergie et le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation. A quoi l’on peut rajouter le nouveau Procureur général du pays et le secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense, lui-même fondateur de « Svoboda ». A l’époque, ce parti avait choisi comme nom « Parti national socialiste d’Ukraine ». Il n’a changé de nom qu’en 2004, dans le but de se rendre plus présentable devant l’opinion européenne. Toutefois, le discours antisémite reste un fondement non masqué de sa culture politique. Le parti est mené par Oleg Tyagnybok. Selon lui « une mafia judéo-moscovite dirige l’Ukraine », vocabulaire sans ambiguïté. Les membres de Svoboda défilent chaque 28 avril à LVOV en souvenir de la création de la division SS « Galitchina ».

Cette façon de nier la réalité de ce qui est en train d’avoir lieu en Ukraine crée des zones d’ombres dont les conséquences pourraient devenir terribles. Je suppose que tous ceux qui auront fait, comme moi, un petit tour dans leurs sources d’information et d’analyse auront été au moins aussi surpris que moi de la réaction du même Patrick Cohen sur France Inter face à mes inquiétudes sur la sécurité de la communauté juive d’Ukraine. C’est pourquoi j’ai pris l’initiative de lui dire en substance : « vous pensez qu’il n’y a pas de danger pour la communauté juive, je pense le contraire : chacun d’entre nous deux assumera sa responsabilité devant les évènements qui vont arriver ». En fait, les raisons d’être inquiet sur ce sujet aussi sont de notoriété publique. Car depuis la défaite du nazisme allemand, c’est la première fois qu’on entend un rabbin appeler ses compatriotes et coreligionnaires à quitter le pays. C’est ce qu’a fait, le 22 février dernier, le Rabbin Ukrainien Moshe Reuven Azman. Il a appelé les Juifs de Kiev à quitter la ville et éventuellement le pays, par peur des exactions antisémites dans le chaos. C’est également la première fois que l’on voit une communauté juive locale demander l’aide des organisations juives mondiales et d’Israël pour garantir et assurer la sécurité de ses organisations communautaires. « L’Agence juive va étendre son aide d’urgence immédiate à la communauté juive d’Ukraine et sécuriser les institutions juives dans le pays », a annoncé le président de l’exécutif de l’Agence juive pour Israël, Nathan Chtaransky, ancien dissident de l’URSS. « La communauté juive d’Ukraine, qui compte environ 200 000 membres, est l’une des communautés juives les plus dynamiques au monde, avec des dizaines d’organisations et d’institutions juives actives. Les événements récents ont montré que nous devons renforcer les mesures de sécurité de ces institutions. Nous avons la responsabilité morale d’assurer la sécurité des Juifs d’Ukraine », a déclaré Chtaransky .

Si j’évoque si fortement le sort de la communauté juive c’est qu’on connaît l’habituelle obsession sur le sujet dans l’ensemble du cirque médiatique et à chacune de ses séances de politique internationale. On connaît la rapidité des Harlem Désir et David Assouline, sans oublier Copé et NKM à qui je fais un procès pour cela, à voir des antisémites partout, dont moi, faut-il le rappeler, dès qu’on leur tient tête. Pour ne rien dire du CRIF et autres répondeurs automatique de la doxa « occidentale ». Tous ceux-là voyaient en Chavez un antisémite sans le début d’un fait à produire. « Libération » avait même publié une page entière sur ce thème avec photos et citations truquées ! A présent, c’est le silence. C’est d’autant plus consternant que les questions sur le sujet à propos des partis politiques de l’Ukraine ne datent pas d’aujourd’hui. Les observateurs ne le découvrent pas. La fameuse Ioulia Tymochenko, la blonde aux nattes si faciles à identifier sur la scène du spectacle médiatique, n’est pas seulement une corrompue notoire : elle aussi une suspecte de longue main. En 2012, la Ligue Anti-diffamation (ADL), une des principales organisations juives américaines, a dénoncé l’alliance parlementaire signée par Yulia Tymoshenko avec le parti d’extrême-droite Svoboda. Oubliée ! Aujourd’hui, sa sortie de prison est célébrée comme celle d’un Nelson Mandela ! « Le journal du Dimanche » a même fait de son portrait sa une entière ! Pourtant, ce genre de personnage n’a jamais baissé la garde, si j’ose dire. En 2013, le parti Batkivshchyna (Patrie) de Ioulia Tymochenko et l’UDAR, le parti du boxeur Vitaly Klitschko, candidat des Allemands et Svoboda, se sont unis plus d’une fois et notamment contre un projet de loi présenté par le Parti des régions (PdR) du président en fuite Viktor Ianoukovytch. Ce projet de loi visait à interdire « les discours haineux et les expressions dégradantes » en interdisant des mots très insultants comme « youpin », « sale juif » (« zhid », en ukrainien) et « Russkof », qui ont la faveur des partisans de Svoboda.

Pourquoi cette façon de faire ? En ce qui concerne les médias, on connaît la musique. La paresse, le panurgisme, les a priori idéologiques sont le substrat commun des multi-éditorialistes psittacistes. Le psittacisme est la maladie de ceux qui répètent ce qu’ils viennent d’entendre dire. Le mot est construit sur la même racine que « perroquet ». Après le psittacisme vient l’ignorance des grands chefs qui fixent la ligne. Faute d’idée un seul but : pas d’histoire ! Vous imaginez France Inter, ou d’autres, se mettre en retrait du concert des confrères unanimes pour émettre des doutes ou nuancer les slogans anti-Russes ? Impensable. Il faudrait démontrer, enquêter, confronter. Pas le temps ! Trop risqué. Et ensuite, il faudrait expliquer l’incongruité de la photo sur le perron de l’Elysée avec des personnages aussi suspects flanqué par-dessus le marché de BHL, qui a encore une fois réussi à « se taper l’incruste ». Bon, là je suis injuste. La présence de BHL a fonctionné comme un signal d’alarme pour des millions de Français qui savent dorénavant reconnaître l’ombre des charniers.

Reste que pour ce qui est de savoir et d’être informé, c’est sur internet et Facebook qu’on doit le trouver par soi-même. Mais encore faut-il en avoir le temps et les moyens. Ceux qui n’ont pas ces moyens sont mis au régime du fast-food de l’info : steak de Russe haché pour tout le monde. Tout ça est connu, et le répéter n’apporte rien à notre compréhension des événements. Ce qui compte, c’est de souvenir qu’ils sont aussi capables de ça. Cette fois-ci, l’antisémitisme n’est plus un problème ! Ce n’est pas la première fois. Mais c’est la première fois qu’on les prend la main dans le sac dans des conditions telles que tous ceux qui me lisent auront tous appris quelque chose à transmettre autour d’eux sans être en butte au perpétuel procès en paranoïa dès que nous sortons de sentiers battus et rebattus de la doxa médiatique. Preuve en main : les donneurs de leçon de démocratie, quand les USA ont parlé, peuvent aller jusqu’à soutenir des néo-nazis et des antisémites. Je peux prévoir la riposte. Elle va consister à distinguer le parti « secteur droit » qui est d’ores et déjà lui aussi un parti de miliciens armés. Il s’agira de dédiaboliser le parti « Svoboda », qui sera juste qualifié de « nationaliste » ou « populiste ». Comment je le sais ? Parce que les organisateurs du spectacle sont les mêmes sous toutes les latitudes et procèdent sans imagination de la même manière partout. La mobilisation des hallucinogènes médiatiques est d’ailleurs une composante essentielle du plan. Les snipers, les votes de Parlement reformatés aussi. Naturellement, nous connaissons la suite prévisible des évènements.

Le gouvernement va organiser des élections et appliquer, quelle que soit la majorité, des politiques d’austérité extrêmement violentes. C’est la condition pour obtenir la bénédiction des « occidentaux », de leurs banques et de leurs compagnies pétrolières. Les banquiers français, qui possèdent le quatrième réseau bancaire du pays, les Autrichiens, pleins de titre de la dette ukrainienne à 35 % de taux d’intérêt (mais oui !), les Allemands, qui s’abreuvent en pétrole et gaz par ce point de passage, la Chevron, qui a déjà investi 350 millions de dollars pour sortir du gaz de schiste, ne sont pas des philanthropes. Les gouvernants actuels sont les marionnettes d’un clan d’oligarques qui prend sa revanche sur la précédente équipe de kleptocrates.

Les autorités du moment ont déjà commencé à montrer patte blanche. Elles ont décidé la réduction par deux des retraites. Pendant ce temps, une nouvelle marionnette présentable sera mise en préparation. Les émeutes reprendront contre le gouvernement. Celui-ci finira par craquer, et ainsi de suite. Comme ce sont des aventuriers, il est probable que les provocations anti-Russes vont être leur principal aliment politique sur la base d’appel à l’union sacrée au nom d’un nationalisme dont le contenu glauque se renforcera à mesure que l’impasse sera évidente. Le danger de guerre vient de là. Et non pas de Russes, qui n’y ont aucun intérêt sinon à la marge, ni pour les USA, qui n’ont aucun moyen d’action militaire disponible, ni pour les Européens, dont tous les intérêts sont liés aux Russes. L’hebdomadaire Wirtschaftswoche a été on ne peut plus explicite : « Plus de 6 000 entreprises, de la multinationale aux PME, sont présentes en Russie, où elles ont investi directement plus de 20 milliards. 300 000 emplois dépendent en Allemagne de ces échanges ». Berlin est le deuxième fournisseur de Moscou, après Pékin. La France vient en huitième position mais elle possède le septième réseau bancaire russe. Personne n’a intérêt à ce que la situation échappe à tout contrôle. L’erreur des « occidentaux » est d’avoir couru derrière les « révoltés de Maïdan » sans s’être trop souciés de contrôler où allaient ceux qui parlent en leur nom.

Dois-je rappeler que c’est la deuxième fois que ce genre d’erreur est commis ? Qui se souvient comment la bêtise insondable d’un Saakachvili donna champ libre en Géorgie pour l’intervention russe dans les enclaves russophones ? Ce géorgien était un pur tyran, corrompu jusqu’à la moelle des os. Il choisit de surcroît le jour de l’ouverture des jeux de Pékin pour se lancer dans une agression militaire. C’est exactement le genre de surenchère que sont en train de rechercher les « nationalistes » ukrainiens. C’est pourquoi ils ont commencé leur travail avec l’interdiction du russe comme langue officielle en Crimée et dans le Donetz, sans oublier l’odieuse destruction des monuments à la gloire des vainqueurs du nazisme. On ne pouvait donner meilleure occasion à la Russie d’agir. Aucune personne censée ne peut ni le leur reprocher sérieusement ni, d’ailleurs, les empêcher de le faire ! Et ce pauvre François Hollande, flanqué des deux gorilles venus le visiter au nom de l’Ukraine ! « Le référendum en Crimée est illégal sans l’accord de l’Ukraine » a-t-il glapi sottement ! S’il y avait eu un journaliste présent, et non des porte-voix, quelqu’un aurait pu lui poser la question : « Avez-vous demandé à l’Ukraine si elle est prête à organiser ce référendum ? ». Et supposons qu’il y ait eu un deuxième journaliste au milieu des magnétophones présents : « Considérez-vous que ces deux messieurs à la mine accorte sont des représentants légaux de l’Ukraine ? ». Le petit François n’en finirait plus d’expliquer pourquoi il a été partisan de la guerre illégale d’Irak, de la création illégale de l’État fantoche du Kosovo et pourquoi il est contre la Crimée russe. L’incohérence est totale ! À la fin, il aura fâché tout le monde : à l’extérieur, avec ceux qui trouvent que la France n’en fait pas assez et avec ceux qui trouvent qu’elle en fait trop ; à l’intérieur, avec ceux qui pensent qu’elle ne fait rien de bon et se ridiculise comme c’est mon cas. Les Russes ne sont pas nos ennemis mais nos partenaires. En toute hypothèse, leur gouvernement vaut mieux que celui du Qatar ou de l’Arabie Saoudite, pour ne citer qu’eux dont notre pays et le PSG sont d’amicales brosses à reluire.

En tous cas, la stratégie de la provocation et de la fuite en avant est celle qui nous a menés au point où nous voici. La mise en cause des frontières sur des bases linguistiques et historiques est un désastre qui se paiera très bientôt ailleurs, chez d’autres nationalistes, dans d’autre zone pleines d’humour et de gaieté comme la Roumanie, la Hongrie, la Belgique sous pression flamande, et ainsi de suite. Personne n’ayant encore écrit une « Histoire et méthodes des nationalismes pour les nuls », le chef de l’État n’a pas d’autres idées sur le thème que celle que lui marmonne à l’oreille BHL. C’est la bêtise, l’ignorance et les provocations additionnés qu’il faut craindre. Surtout dans un pays où le sarcophage de Tchernobyl n’est plus aussi étanche qu’il faudrait et où plusieurs autres centrales nucléaires sont à la portée de tous les incidents.

Que pouvons-nous faire ? Notre rôle serait de préparer des forces politiques de relève. Mais comment faire ? A la répression du pouvoir de fait et des milices néo-nazies s’ajoute l’éteignoir « européen ». Hollande reçoit les autorités de fait de l’Ukraine sur le perron de l’Elysée en compagnie de Bernard-Henri Levy. Mais nos amis ne sont pas encore sortis des catacombes. Comme en Tunisie, où le gouvernement sous contrôle islamiste a reçu le soutien constant de la droite européenne et du PS, nous démarrons de peu. Mais en Tunisie, le Front populaire a fait une démonstration qui porte loin. Il a brillamment remonté la pente jusqu’aux premières places de la ferveur populaire en dépit de l’assassinat de deux de nos tribuns du peuple. En dépit du boycott des « autorités » françaises et européennes qui faisaient la queue pour cirer les babouches de monsieur Ghannouchi, chef des islamistes. En Ukraine, nous sommes faibles. Les plus proches de nous ont été réprimés par tous les pouvoirs avant et depuis la chute de l’URSS. Les milices néo-nazies nous pourchassent avec autant de ferveur que les anciens gouvernants. A l’échelle européenne, nous disposons de peu de moyens pour aider les petits groupes qui partagent nos idées. Nous n’avons ni l’argent des USA, ni celui des russes. Il faut donc faire pour le mieux. On le fera, évidemment. Mais notre première tâche est d’abord d’apprendre les yeux bien ouverts. La phase actuelle ukrainienne semble être la phase « Ehnada » du processus. Celle où le mouvement de récupération citoyenne du pouvoir ne rencontre guère d’autre porte-parole que les mouvements d’extrême droite. Cette phase ne dure qu’un temps.

Une révolution citoyenne n’est pas un processus linéaire. Elle prend des aspects paradoxaux. Deux composantes doivent être distinguées dans l’analyse et pour l’action. D’une part, le processus concret d’insurrection lié aux causes sociales. D’autre part, la forme d’expression politique que le mouvement adopte ou utilise. Pour ne pas perdre ses repères, il faut évidemment toujours partir de l’observation du mouvement dans son contenu social et revendicatif. Mais il ne faut pas non plus sombrer dans la mythification du mouvement « bon en soi ». Deux conditions doivent encore être réunies. La première concerne la mise en place des organes autonomes de l’action citoyenne : comités de quartiers, assemblées de base des fronts politiques, et ainsi de suite. La seconde dépend d’une rencontre. Si le mouvement ne s’approprie pas un parti éclaireur et déclencheur, c’est-à-dire la mémoire des luttes, l’offre de décryptage et les propositions d’action adaptée au moment, il peut tourner en rond, s’épuiser ou se radicaliser dans un sens toujours plus aveuglé. Mais cette rencontre n’est pas la condition de la révolution citoyenne. Elle n’en est que le moyen d’accomplissement. Tant que tout n’est pas subordonné aux objectifs qui motivent le mouvement du grand nombre, le moteur insurrectionnel et révolutionnaire continue à tourner. Et la pente des évènements va vers le même sens. Pour le briser il faut soit la dictature, soit la guerre civile qui éteint la révolution citoyenne.

C’est la guerre civile qui maintient le peuple irakien en dehors du chemin d’émancipation où pouvait mener la fin de Saddam Hussein. C’est le début de guerre civile qui a ouvert le chemin des militaires en Egypte. C’est elle qui a tué ce qu’aurait pu être l’après Kadhafi. Et ainsi de suite. Je ne veux pas lasser sur le sujet, car j’ai déjà écrit ici ce que je pensais de la lutte armée et des guerres civiles dans les révolutions. Je ne saurais stopper le flot des mots et de mon analyse sans signaler qu’il est démontré à présent combien est nécessaire le regroupement de nos forces en Europe. Non seulement notre petit PGE qui doit s’engager hardiment dans la lutte publique, mais aussi notre réseau écosocialiste, qui doit fournir les éléments de pensée et d’action qui donnent à la révolution citoyenne un horizon global pour les luttes. Pensez-y chaque fois que vous trouvez trop longues mes lignes sur l’international, trop fréquents mes déplacements là où ont lieu les bouleversements qui nous sont favorables. En politique, la géopolitique est première pour bien définir les moyens de l’action.


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