Afrique : Effondrement de l’État, paradis néolibéral, chaos politique

lundi 23 décembre 2013.
 

État effondré, conflits internes entre groupes identitaires et insécurité qui engendre le terrorisme et justifie une intervention de l’Occident. Au Mali comme en République centrafricaine (RCA), le discours ne change pas. Certains n’hésitent pas à considérer que les Africains semblent laissés de côté par la modernité. Mais c’est loin d’être le cas. La faiblesse de l’État en Afrique est le produit de l’intégration de ce continent dans la modernité capitaliste.

Depuis les années 1980, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont imposé des programmes d’ajustement structurel partout sur le continent, dont en RCA. Avec comme justification la réduction des dettes publiques, ces projets prévoyaient la libéralisation de l’économie et l’austérité budgétaire, quelques décennies avant que les mêmes recettes ne soient imposées en Europe par les mêmes acteurs.

Une faiblesse de l’État en Afrique établie au moment des indépendances a donc été renforcée. Depuis l’ère de la colonisation, toute infrastructure construite a comme seul but l’extraction des matières premières. L’État en Afrique est réduit à un «  gardien de portail  » selon l’expression de l’historien Frederick Cooper, avec comme fonction de veiller à l’exportation de ses propres ressources, surtout vers les marchés des ex-puissances coloniales. Faut-il rappeler que des troupes françaises étaient présentes à Bangui au moment du coup d’État, mais étaient impuissantes pour l’éviter  ? Leur mission se bornait à la protection de l’aéroport…

Les capitales politiques et économiques du continent sont donc des cibles vulnérables et prospères pour des groupes rebelles. Alors que ces derniers se réclament de diverses idéologies (islamiste, chrétienne, marxiste, identitaire…), ils sont tous constitués de jeunes exclus du développement économique inégal du continent.

Ces groupes, pour se financer, s’intègrent dans le système capitaliste mondialisé. À cause de la guerre, l’État s’effondre et s’instaure alors le paradis néolibéral absolu  : aucune limite étatique à la circulation des biens, ni taxation centrale ni tarifs douaniers, une mobilité de main-d’œuvre et un coût du travail très bas. Les populations civiles poussées par des forces armées à exploiter des mines artisanales sont le prolétariat du XXIe siècle. Le contrôle des ressources, que ce soit les diamants alluvionnaires en RCA ou les mines de coltan à l’est du Congo-Kinshasa, fournit aux rebelles un produit à vendre sur le marché noir qui, finalement, alimente l’économie mondiale. Combien de personnes savent que les profits du boom informatique, surtout celui des jeux vidéo, sont permis grâce au prix bas du coltan, supraconducteur extrait au Congo dans le contexte d’une guerre sanglante  ?

Elle est révolue l’époque où celui qui en Afrique voulait renverser son président – Mobutu contre Lumumba ou Compaoré contre Sankara – devait s’assurer, sans difficulté, du soutien clandestin d’un État occidental pour se financer. Aujourd’hui, il suffit de se présenter sur le marché libre international en vendant à prix bas les ressources de son pays.

C’est peut-être la tentative du président centrafricain François Bozizé, en 2008, de renforcer le contrôle gouvernemental sur le trafic peu réglementé des diamants dans son pays qui a déclenché la formation des groupes rebelles qui voulaient maintenir un commerce informel contre la réglementation gouvernementale. Hélas pour la RCA, c’est pour vendre un produit de luxe que des guerres douloureuses déchirent le pays. Si les dirigeants politiques veulent mettre fin à l’instabilité politique et au cycle des coups militaires sur le continent africain, il faut cesser de sacrifier États et populations civiles aux exigences du capitalisme mondialisé et cesser de recourir automatiquement à la force armée.

Harry Cross


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