Média et marche. Les bidouilleurs arrosés

vendredi 13 décembre 2013.
 

J’ai raconté comment, d’heure en heure, fut disputé au Front de Gauche son succès dans la manifestation du 1er décembre. D’abord du fait des commandos internet de l’extrême droite puis par les médias officialistes, la main dans la main avec le ministre de l’Intérieur. Symptôme éclatant de cette collusion medias/ministère de l’Intérieur, l’impeccable silence sur le retour des barrages de dépouillage des manifestants. Des journalistes si vigilants ! Ils parcourent la manif d’un bout à l’autre, notant la couleur des feuilles d’arbres et le sens des feux rouges, guettant du balcon les manifestants, identifiant parmi ces derniers la poignée qui part et celle qui siffle quand Pierre Laurent parle ! Ils seraient devenus aveugles au moment ou un cordon de CRS barre les rues pour obliger, illégalement, les manifestants à se dépouiller de leurs drapeaux et de leurs badges ? Non, ils ne sont pas devenus aveugles. Ce sont justes des glandeurs. Ils n’étaient plus là. Arrivés en retard, partis en avance, perclus d’idées préconçues et de préjugés, davantage intéressés par ce qu’ils lisent sur les réseaux sociaux que par ce qu’ils voient eux-mêmes, tels sont les derniers reste du métier entre l’arrogance impunie des années 90 et la déchéance des métiers aux techniques en perdition. A leur corps défendant : tous revenaient de trois jours au congrès de Verts, bourrés de tisanes bio et de sandwichs végétaliens. Déjà que ce n’est pas une promotion de s’occuper de « l’extrême-gauche-et-des-verts » dans une rédaction ! Mais en plus, se taper une marche de rustres un dimanche soir, les cheveux encore humide de la douche du retour et les joues poisseuses des bisous trop vite échangés avec les siens ! Et cela alors qu’il fait un froid poutinien ! Et que par-dessus le marché il n’y a même pas un buffet de fin de parcours ! Et que l’abominable homme des neiges, enfermé dans sa tente et protégé par deux rangs de service d’ordre est inapprochable et n’accorde aucun entretien à ses ennemis intimes médiatiques ! Quelle vie de compost ! Vite une mutation ! On imagine bien que pour en sortir par le haut rien n’est mieux considéré par la chefferie qu’une attitude sarcastique permanente. Le syndrome de Stockholm n’est accepté qu’à partir des étages à baldaquin où l’intimité est bien mieux considérée et davantage pratiquée : Matignon, l’Elysée, l’UMP et autres.

Comme tout cela avait lieu en lien avec une tentative pour déstabiliser la demande de TF1 d’installer LCI en chaine gratuite, le cercle des combinards était chauffé à blanc. Naturellement, dans toute cette excitation, tout ce qui concerne la déontologie professionnelle est passé par-dessus bord. Le photographe de balcon ne vérifie rien, « Le Monde » répercute une évaluation donnée par quelqu’un qui n’a pas suivi la marche. J’en passe et non des moindres.

Mais, à la fin, le ridicule s’est retourné contre les vrais manipulateurs. Ce fut l’arroseur arrosé. D’abord parce que personne ne se risqua à contredire notre méthode de comptage. Au contraire, elle fut reprise sur le plateau du Grand Journal. Certes avec une largeur erronée du boulevard de l’Hôpital, mais quand même ! Puis, ce fut l’apothéose quand il fut découvert que l’une des chaines gratuites, « I>télé », diffusait des images bidon pour nous discréditer. Ce n’était pas les seuls mais ils furent les seuls à se faire pincer. Intervenant en ouverture du Grand Journal, j’étais invité à répondre à la polémique créée autour de la photo de l’interview en duplex au 13h de TF1 le dimanche 1er. Et, bien sûr, à propos de l’évaluation du nombre des manifestants. On se souvient que la chaîne a été accusée d’avoir "manipulé" l’image à cette occasion pour donner l’impression d’une foule dense. Une polémique grandement relayée par tout ce que nous comptons d’ennemis enragés, « Petit Journal » en tête, comme de bien entendu. Lors de ce Grand Journal, Canal+ a diffusé des images de la marche pour "démontrer" que celle-ci était clairsemée. Sur le plateau j’exprimais déjà mon scepticisme. « Vous nous accusez de truquer le truc » avait demandé jubilatoire Jean-Michel Aphatie ? A sa décharge, disons qu’il ne pouvait imaginer lui-même un procédé aussi grossier que celui qui fut alors pratiqué ! Il s’avéra vite que ces images, fournies par I>télé, étaient en réalité celles… de la manifestation contre le racisme du 30 novembre ! « Une erreur d’indexation », glapirent les diffuseurs piteux ! Au passage, ils commirent une nouvelle bourde peu professionnelle en nous attribuant aussi la manifestation du 30 novembre, sottise reprise en boucle par tous ceux qui reproduisirent leurs explications !

Le cas s’avéra encore plus tordu quand on découvrit qu’I>télé avait d’ailleurs utilisée ces mêmes images pour "illustrer" la marche le jour même, alors même qu’un duplex avec moi avait lieu sur place en fin de parcours. Tel quel, aussi incroyable que cela paraisse ! « I>télé », présente sur place depuis le début de l’après-midi, suit toute la marche, fait un duplex mais diffuse d’autres images de la marche que celles qu’elle vient de recueillir à l’instant même ! D’ailleurs, la journaliste de la chaîne, présente elle de bout en bout de l’évènement, dit, en direct, que c’est un « pari plutôt réussi » que cette marche. Apparemment, quelqu’un plus haut dans la hiérarchie a décidé que tel n’est pas le cas et fait diffuser de fausses images pour le « prouver ». Après quoi, en plateau, des propagandistes de choc, qui n’ont pas passé une minute sur le terrain, décident non seulement de ne pas suivre l’avis de leur collègue sur place, mais aussi de croire des images sans rapport avec le sujet.

Ce que ces gens ne prévoyaient pas, c’est notre combativité. Notre certitude qu’ils sont seulement des trafiquants d’informations nous fait prendre leurs annonces comme des défis. Nous savons qu’ils mentent. La question alors est juste de trouver l’angle qui nous permet de provoquer à notre tour un état de sidération de leur défense. Notre camarade l’avocate Raquel Garrido piste donc toutes les images, découvre le pot aux roses et le répand par tweet ! Dans le même temps, « Politis » en fait autant. Alexis Corbière embraye. L’arroseur est ainsi arrosé. Olivier Schramek, le CSA, vont-ils s’auto-saisir de ce manquement grave à la déontologie journalistique ? Bien sûr que non. Leur rôle dans la manipulation était juste celui d’un supplétif du discours du ministère de l’Intérieur. Les donneurs de leçon médiatique vont-ils dénoncer cette mise en scène ? Le photographe de balcon va-t-il dénoncer le procédé ? Ne rêvons pas. Pas une de ces personnes n’a de sérieux dans son goût de la vérité pourtant affichées à grand cris. Bref, notre chiffre était le bon, la preuve par la géographie et la photo Google du boulevard depuis l’espace. Les manipulateurs étaient ceux qui criaient à la manipulation.

Tous les aspects positifs pour l’éducation politique des nôtres de cette auto-disqualification des médias ne doivent pas faire cependant oublier l’efficacité de la nuisance qu’elle contient aussi. Il s’agit ici essentiellement d’un pouvoir de sidération. En réalité, le contenu de leur récit importe peu puisqu’il est très peu cru. C’est plutôt ce qu’il empêche de voir qui importe. La sidération, c’est un état où le choc suspend la perception et le jugement. Une bonne image de la sidération est le lapin devant des phares de voiture. C’est ce qui s’est pratiqué contre nous. J’ai raconté comment le coup monté de la photographie prise du balcon a fonctionné comme une diversion sidérante. Et il faut admettre que c’est assez réussi.

Ce fut un bon plan pour Valls. Il lui permettait de faire confondre dans un même doute le chiffrage de la manifestation et la réalité de la scène « révélée » par le journaliste photographe de balcon. De leur côté, prenant le relais d’un site d’extrême droite, les solfériniens diffusèrent en masse une image retravaillée par les fascistes de la « vue du balcon ». Leurs médias proches relayèrent sans vergogne. Le soir même, Olivier Schramek décidait une enquête du CSA qui, bien sûr, n’aura jamais lieu, donnant ainsi l’apparence d’un fondement à l’accusation gratuite portée contre nous. Bien sûr, nous avons prouvé que les images de la marche diffusée par I>télé étaient bidon. Mais Olivier Schramek s’est mis à regarder ailleurs avec énergie ! Plus question d’enquête cette fois-là !

Donc, au total, le résultat n’est pas trop mauvais pour Valls. Personne n’a mis en cause le fait qu’il donne des chiffres après que la préfecture de police a dit qu’elle n’en donnerait pas. Personne n’a posé la moindre question sur l’aberration de son chiffrage. Personne n’a parlé du retour des barrages filtrants. Carton plein. Aussi longtemps que duraient les polémiques annexes, la marche contre la TVA était effacée au profit d’une mêlée qui effaça l’évènement politique pendant plusieurs heures.

Pour nous aussi, c’est bon. L’institution médiatique s’est discréditée, le dégoût qu’elle inspire s’est accru dans nos rangs, et la méfiance s’est accrue dans le public large. Bonne séquence d’éducation populaire. La marche est un point de départ opérationnel pour une suite dont je me garde de trop parler puisqu’elle est seulement encore en construction. A Saint-Girons, personne ne m’a parlé des tweet moqueurs d’Harlem désir. Les gens s’en fichent. D’Harlem Désir, bien sûr. A l’élection présidentielle, j’ai fait 16 % en Ariège.


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