Dites, François Hollande, vous savez qui est Jean Jaurès ?

vendredi 15 novembre 2013.
 

Dites, François Hollande, pourquoi ont-ils tué Jaurès ? Parce qu’il fallait qu’il meure pour que la guerre puisse commencer la fleur au fusil ! Il fallait qu’il n’y ait plus une voix pour appeler à la résistance, plus de point d’appui pour que les esprits ne soient pas emportés par la passion et la fureur de la guerre. Sans point d’appui, sans message de combat clair, il n’y a rien qui vaille pour construire une conscience socialiste populaire de masse. Il ne faut pas commémorer Jaurès, il faut le célébrer ! Lui. Pas ses contradicteurs ! Ni ceux qui ont applaudi à sa mort et ensuite à l’acquittement de son assassin. Il faut accepter que ce personnage ne se dissolve pas dans l’eau tiède des consensus soi-disant nationaux. Dans la vie de la gauche, dans sa durée, dans ses représentations et ses figures symboliques tout se tient : la mémoire n’est jamais une matière inerte. Elle est notre terreau d’expérience pour penser des futurs possibles. Que les indolents, les velléitaires, les insouciants fassent cohue avec les ignorants, les lâches et les réactionnaires quand il s’agit de lâcher Maximilien Robespierre, j’arrive à le comprendre, même si je ne l’ai jamais admis. Mais qu’un président de la République qui a été socialiste parle de la Grande Guerre sans dire pourquoi et comment celui-là, notre Jaurès, lutta jusqu’au bout, et contre qui, pour empêcher la tuerie, tout de même ! Et que le même soit capable d’évoquer en apologiste sans nuance la figure du seul Clémenceau, fusilleur de mutins, réprimeur d’ouvriers et responsable du traité de Versailles, qui contribua tant au déclenchement de la guerre suivante, c’est petits bras ! Et qu’il soit toujours impossible de proclamer la réhabilitation pleine et entière des mutins fusillés pour l’exemple, c’est nul, tout simplement. Rien ne dit mieux la distance morale qu’il faut prendre avec les Solfériniens. Jean Jaurès est l’anti-Hollande par excellence, c’est-à-dire qu’il en est l’exact contraire quant au tempérament. L’un et l’autre connaissent l’aboutissement de ce qui est en cours. L’un accompagne le mouvement sous prétexte de réalisme, et même court devant : c’est Hollande. Il a pour lui la force d’inertie de l’ordre établi et l’assemblée générale des partisans du moindre effort. L’autre s’y oppose de toute la force du seul pouvoir dont il dispose : sa capacité d’argumenter et de mobiliser.

Jaurès ne voulait pas de l’aboutissement terrible que contenait la situation de son temps. C’est lui qui dit : « le capitalisme porte la guerre comme la nuée porte l’orage ». Alors, il s’est donné tous les moyens d’éviter le pire. L’Internationale devait déclencher la grève générale en cas de guerre. Il y avait comme d’habitude ceux qui n’aiment jamais dire franchement les choses. En 1912, la motion du congrès de Bâle de l’Internationale dit « tous les moyens » contre la guerre pour ne pas dire « la grève générale ». Comme d’habitude, l’ambiguïté devait permettre la synthèse « entre tous les points de vue ». Comme d’habitude, elle servit à faciliter la duplicité, et pour finir la trahison. Un an plus tard, le SPD allemand vote à son congrès d’Iéna qu’il n’y aura pas de grève générale en cas de déclaration de guerre. Nous sommes en 1913. Derrière les traditionnels flots de bonnes paroles, la vérité était nue sous les yeux de celui qui analyse sans céder aux clameurs du jour. Cela veut dire qu’il y aura la guerre. Jaurès le sait, il le dit. Jaurès se bat le dos au mur pour empêcher l’atroce dénouement. Son dernier éditorial, la veille de la déclaration de guerre, continue d’appeler à la raison. Alors, ils ont tué Jaurès. La voix de la résistance est éteinte. Chacun se rangea derrière son drapeau national plutôt que derrière celui de sa classe : la guerre peut avoir lieu tranquillement. Les socialistes allemands votent les crédits de guerre du Kaiser. Quelques heures plus tard, les députés socialistes français en font autant pour répliquer.

Des millions de morts après, éclate la grande Révolution de 1917. C’est-à-dire le peuple russe se saisissant lui-même de la décision d’arrêter la guerre, quoi qu’il en coûte. Le peuple en révolution essaye l’une après l’autre toutes les solutions politiques gouvernementales avant de prendre le pouvoir lui-même, dans le cadre de l’assemblée nationale des comités d’action citoyens des usines des quartiers de campagnes et des régiments, nommés là-bas « soviets ». Leur dernier président, un fantoche fanfaron et impuissant, le socialiste Kerenski, choisit la fuite et l’étranger dans l’indifférence générale. Mais parce qu’ils voulaient la paix contre leurs maîtres, ceux-ci leur firent la guerre civile et extérieure pendant encore quatre interminables années. Des millions de morts, des pays dévastés de fond en comble, famines et misères de toutes sortes, rien n’a arrêté la déraison. Juste la Révolution et l’action du peuple. Celle qui a éclaté en Russie, celle qui a mûri dans le mouvement des mutins fusillés pour l’exemple, celle qui se lisait et s’entendait partout depuis l’Octobre rouge. Celle sur laquelle comptait Jaurès pour empêcher tout cela. Amis, n’oubliez pas Jaurès, même si votre lamentable président lui préfère la mémoire de son adversaire politique.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message