Bretagne et écotaxe : quelques centaines de patrons et de militants du syndicat agricole FNSEA

lundi 4 novembre 2013.
 

La farce des bonnets rouges

Oui, c’est une farce de mauvais goût que cette histoire de bonnets rouges. Certes, l’écotaxe ce n’est tout de même pas la panacée d’une politique écologique ! C’est même assez largement un leurre. Car elle ne s’attaque pas vraiment aux motivations du recours massif au transport routier des animaux. Il sera toujours plus profitable de faire voyager dans des conditions abominables 45000 porcs par an sur les routes européennes plutôt que de les abattre sur place tant que l’on permettra le dumping social en vigueur en Europe, qui permet de profiter par exemple du tarif des abattoirs allemands. De cela, le gouvernement ne se préoccupe d’aucune façon. D’ailleurs, il ne s’occupe de rien de planifiable, par idéologie autant que par aveuglement. Voyez. La taxe était censée inciter au report modal vers le fluvial et le ferroviaire. Oui mais aucun plan de développement du fret n’était mis en œuvre pour endiguer le flot toujours plus dense des camions sur les routes. Je précise : au contraire ! En effet, le gouvernement est servilement aux ordres de la Commission européenne qui a été très exigeante sur ce point. En échange d’un délai de deux ans de plus pour atteindre les objectifs de réduction du déficit, elle a exigé une accélération de la libéralisation des réseaux. La réforme libérale a donc été présentée en Conseil des ministres le 16 octobre dernier. Quant au transport fluvial, l’une des premières mesures du gouvernement Ayrault aura été d’abandonner le projet de canal Seine-Nord. Bref, tout cela n’était « ni fait ni à faire », comme d’habitude sous le gouvernement Ayrault.

Il n’en demeure pas moins que la reculade du gouvernement sur ce point est un cadeau fait au patronat. Sous couvert de défendre l’emploi, c’est en réalité la liberté de continuer à produire toujours plus loin des lieux de consommation qui est affirmée. Bruno Gentil, président de la fédération France Nature Environnement a eu les mots justes : "C’est lamentable, il n’y a aucun courage politique. Une mesure votée par la droite comme la gauche est remise en cause à partir du moment où un groupe d’individus cassent des biens publics. Je ne pense malheureusement pas que cela va résoudre les problèmes de l’élevage… L’environnement devient le bouc-émissaire des problèmes économiques. On est en train de planter le financement de la transition énergétique".

Il aura en effet suffit que quelques centaines de patrons et de militants du syndicat agricole FNSEA fassent une démonstration de violence pour que le gouvernement Ayrault cède. Ceux qui sont d’ordinaires sans complaisance avec le moindre jet d’œuf d’un ouvrier ne se sont pas émus de voir la FNSEA et le MEDEF jeter des pierres sur les CRS. On attend encore les roulements de mécaniques de l’immense Manuel Valls, roi des matamores ! Il est vrai que, même de droite, un patron breton c’est un gibier plus coriace qu’une gosse de Rom en voyage scolaire ! L’armée de guerre contre les pauvres n’est pas équipée pour faire respecter l’ordre public à ceux qui ont l’habitude de faire obéir les autres.

Cette affaire a été une farce du début à la fin. Alors qu’il licencie à tour de bras en Bretagne, le patronat a trouvé une belle occasion de se faire passer pour le défenseur de l’emploi. Cela aura impressionné quelques répondeurs automatiques de la presse nationale. Mais sur place, il en a été tout autrement ! Les syndicats de salariés ne se sont pas laissé tromper. La CGT, Sud et FSU de la région Bretagne ont ainsi rendu publique une déclaration commune pour marquer leur distance. Elles dénoncent « le détournement du mécontentement, réel, d’une grande partie de la population à des fins politiciennes » qui « met en cause l’intégrité et l’indépendance des salariés dans un combat qui n’est pas le leur ». Pour ces syndicats « les "bourreaux" sont aux commandes de cette manœuvre et se servent de leurs victimes pour faire en même temps bouclier et bélier. Ils voudraient que les salariés oublient qu’ils ont toujours soutenu les politiques néolibérales responsables de la crise actuelle et que leur "modèle agricole breton" est aujourd’hui une faillite économique, sociale et environnementale. Les manipulations sont lourdes puisque ce sont les "seigneurs de jadis" qui portent maintenant le bonnet rouge contre le peuple ». Peut-on mieux dire ?

Cette déclaration vise juste. En particulier sur la dénonciation du productivisme agricole aujourd’hui en crise. Elle appelle les salariés à ne pas participer à la manifestation organisée samedi 2 novembre à Quimper autour du patronat, des agriculteurs productivistes et de certains régionalistes bretons et de l’extrême droite. Les syndicats de salariés appellent au contraire à manifester le même jour mais dans une autre ville à Carhaix. Les salariés s’y rassembleront autour de leurs propres revendications !

Ouf ! Cet appel à une manifestation distincte des salariés remet de la clarté dans une situation bien confuse. L’alliance de certains agriculteurs avec la grande distribution qui les étrangle à longueur d’année n’a par exemple pas fini de surprendre. Sur le plan politique, c’est pire. La droite, qui avait proposé l’écotaxe, demande maintenant sa suppression. Le PS, qui avait aussi voté sa mise en place décide désormais sa suspension… Et Le Pen appelle à manifester avec les bonnets rouges ! Elle n’a peut-être pas vu la couleur ?

A mes yeux, l’essentiel dans cette comédie est ailleurs. Cet épisode aura permis de lever le voile sur un scandale d’Etat : la privatisation par le gouvernement Sarkozy-Fillon de la collecte d’un impôt, l’écotaxe. Je me souviens très bien que lors des Etats-généraux de la douane auxquels j’ai participé le 18 septembre dernier, les syndicalistes douaniers avaient alerté sur ce sujet. Ils dénonçaient et dénoncent toujours cette situation qui ne se limite pas au cas pitoyable de l’écotaxe ! Ils ont raison. C’est une question de principe : confier le soin de prélever un impôt à une entreprise privée est anti-républicain. C’est le retour au modèle des fermiers généraux de l’Ancien Régime. Premièrement, l’Etat a donc choisi de confier le prélèvement d’un impôt à une entreprise privée. Deuxièmement, cette entreprise est à 70% étrangère, en l’occurrence italienne. Troisièmement, en amont, parmi les actionnaires de cette entreprise, on trouve la famille Benetton mais aussi la banque vampire Goldman Sachs, qui possède 10% du capital.

Mais à supposer qu’un procédé pareil soit accepté, peut-il être de surcroit léonin comme celui-ci ? Car le contrat signé en 2011 par le gouvernement Fillon avec la société Ecomouv est absolument inique ! Il provoque une gabegie d’argent public. Les conditions sont si favorables au groupe privé au détriment de l’Etat qu’il est légitime d’avoir des soupçons sur la manière dont ce contrat a été conclu, comme l’a relevé « Bastamag ». Même le journal « Le Monde », bréviaire de la bourgeoisie la plus confite en révérence devant les droits de l’argent, écrit poliment que « l’Etat est pieds et poings liés, du fait d’un contrat de partenariat public-privé unanimement jugé très avantageux pour le prestataire, et dont les conditions d’attribution posent certaines questions ». Que c’est dit avec délicatesse et précaution : « certaines questions ». C’est déjà beaucoup pour Geoffroy et Frédégonde, du 16ème arrondissement de Vichy, abonnés type de ce journal ! Que ne suis-je un contrat pourri comme celui-ci au moment où « Le Monde » parle de moi ? Au moins serait-il poli.

« Certaines questions » ? Posons-nous les en voyant les faits. Le contrat prévoit un véritable pillage. L’Etat s’est engagé à verser à l’entreprise un loyer de plus de 18 millions d’euros par mois à compter du 1er janvier 2014. Cela représente 20% des recettes totales espérées de cette écotaxe, environ 85 millions d’euros par mois. 220 millions d’euros sur une année complète ! Et le loyer devra être versé même avec la "suspension" annoncé par Jean-Marc Ayrault, alors que l’Etat ne prélèvera aucun centime. Les douaniers ont expliqué qu’ils auraient été capables de mettre en place et gérer la même taxe avec au maximum 5% de frais de gestion seulement au lieu de 20% pour cette entreprise privée. Le recours au privé coûtera donc ici au moins quatre fois plus cher que le service public !

Pour le prix d’un investissement de départ de 650 millions, le ramassage final au bout de quatorze ans de cette belle affaire était spécialement coûteux. Ecomouv aurait récupéré 3,2 milliards d’euros. Soit, tous frais payés, un rendement total de 2,5 milliards d’euros ! Un pur scandale ! Dorénavant il s’accompagne d’un autre, tout aussi insupportable : si le gouvernement décide de supprimer cette taxe, il devra verser 800 millions d’euros à l’entreprise ! Qu’attendent François Hollande et ses amis pour exiger une enquête judiciaire ou créer une Commission d’enquête parlementaire ? Un troupeau de moutons bêlants gouverne le pays !

Cette semaine, « Marianne » a publié une tribune, que j’ai co-signée avec Martine Billard et d’autres élus, contre le pillage qu’a constitué la privatisation des autoroutes par le gouvernement Villepin. L’écotaxe est un autre exemple de pillage de l’Etat. Les deux sujets sont liés. L’écotaxe avait en grande partie pour but de dégager des recettes pour financer les infrastructures de transports. Et pourquoi ? Parce que la privatisation des autoroutes a réduit les recettes utilisées pour cela ! Les bénéfices faits sur les Autoroutes par Vinci ou Eiffage sont autant d’argent qui aurait pu soit rester dans la poche des automobilistes, soit financer ces infrastructures. Encore une fois, la preuve est faite que la privatisation est l’ennemi de l’intérêt général. Le libéralisme, ça ne marche pas quand il s’agit de faire fonctionner une société civilisée qui a le goût de l’efficacité. Le libéralisme coûte cher à la société et tout fonctionne mal.


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