Lettre ouverte aux communistes de Paris et d’ailleurs

lundi 28 octobre 2013.
 

Chers Camarades,

J’ai reçu comme vous la résolution du Conseil départemental du PCF de Paris « sur le choix stratégique pour les élections municipales de 2014 ». Cette résolution penche en faveur d’une liste commune avec le PS parisien au premier tour, au vu d’une proposition d’accord qui « donne » à notre parti 13 places « éligibles » de conseillers de Paris, ainsi que 32 places de conseillers d’arrondissement.

J’ai le sentiment qu’on a perdu beaucoup de temps. Que cinq mois avant le scrutin nous en soyons encore à hésiter entre deux options stratégiques « clivantes » dénote surtout de notre impuissance, en tant que communistes parisiens, à proposer UNE ET UNE SEULE ligne stratégique cohérente face aux enjeux municipaux et territoriaux de la période. On nous dit que le partenaire PG a traîné les pieds et refusé de mettre en débat sa propre ligne de confrontation « frontale » avec le « social-libéralisme ». Admettons. Mais n’était-ce pas, dans ce cas, l’occasion pour nous de lancer un grand débat public sur cette question, et de consulter massivement les Parisiens ?

Pourtant n’est-il pas dit dans la résolution que « La volonté de développer le Front de Gauche à l’occasion de cette échéance est pour nous indissociable de l’ambition de constituer une majorité municipale pour mettre en œuvre des avancées pour les Parisien-ne-s et de renforcer les forces du Front de Gauche au Conseil de Paris et dans les arrondissements sur la base de leur représentation électorale actuelle. »

Comment « développer le FdG à l’occasion de cette échéance » si nous faisons liste commune avec le PS ? J’avoue ne pas comprendre cette rhétorique.

D’autant que l’insistance du PS à vouloir à tout prix l’union avec nous dès le premier tout devrait nous mettre la puce à l’oreille : comment se fait-il que depuis que l’hypothèse de listes du Front de Gauche a surgi à l’horizon, les socialistes approuvent toutes les propositions des communistes en matière de logement, de transport, de services publics, de santé publique, allant même jusqu’à nous rejoindre (ou presque...) dans la bataille pour la défense de l’Hôtel Dieu ? C’est que tout cela ne mange pas de pain ! Ce que le PS attend de nous, c’est notre bienveillance. Surtout pas de vagues ! Promettons aux communistes tout ce qu’ils veulent, puisqu’ils n’auront aucun moyen de nous l’imposer ensuite...

Pourtant on n’a pas du tout entendu les socialistes parisiens sur la question du remboursement du milliard (et quelque) de transferts non compensés par l’État à la Ville de Paris. Ce point faisait l’unanimité à gauche avant 2012. Idem pour les rythmes scolaires : était-il si difficile de nous mettre autour d’une table (élus, parents, enseignants, représentants de l’état...) pour mettre à plat la question, quitte à différer quelque peu l’application de cette réforme, menée à la hussarde avec les fonds de la collectivité locale, sans aucune authentique concertation ?

Ces sujets d’actualité, d’une exceptionnelle gravité, ne sont même pas évoqués, fut-ce pour prendre acte d’un désaccord entre le PS et nous...

Le PS préfère nous concéder un nombre donné de places d’élus plutôt que de laisser le suffrage universel du 1er tour établir le rapport réel des forces. Je suis bien le dernier à considérer que le nombre d’élus est sans importance. Mais il est une question plus importante encore que leur nombre : c’est la manière dont ils sont élus !

D’autant que rien ne nous garantit le respect de ce chiffre entre les deux tours. Les promesses du PS n’engagent que les communistes ! Qui peut dire qu’au moment de la fusion des listes, les candidats d’EELV, plus dociles malgré leurs outrances verbales, ne seront pas « préférés », en fonction du rapport de forces réel ou supposé du moment ? Ça s’est déjà vu…

Métropole ou métropole ?

Nous sommes tous d’accord au moins sur un point : les élections municipales n’ont pas seulement une dimension locale. Plus encore cette fois-ci, plus encore à Paris, l’échéance municipale sera étroitement surdéterminée par la politique du gouvernement. La principale question à laquelle nous aurons à répondre sera celle-ci : doit-on accompagner la politique d’austérité, doit-on cautionner le projet de loi sur l’acte III de la décentralisation, doit-on passer en pertes et profits la « métropolisation » ou au contraire doit-on mettre à profit cette campagne et les élections qui s’ensuivront pour réaffirmer le rôle des communes dans la défense du service public, dans la lutte contre les inégalités, en matière d’aménagement du territoire, etc ?

Pour ce qui est de Paris, le projet de loi en question affirme d’emblée son objectif : créer des métropoles européennes qui soient « compétitives »… Nous y voilà. Sarkozy en avait rêvé. Hollande l’a fait ! Ou tout au moins va-t-il essayer d’y parvenir. Ainsi devraient naître un « Grand Paris », un « Grand Lyon », un « Grand Marseille », etc. Au total ce sont 14 grandes agglomérations rassemblant 40 % de la population française qui vont subir la « métropolisation », monstre technocratique qui va bouleverser le cœur de la République qu’est la démocratie locale, la commune, le département. Le projet de loi organise la spécialisation des territoires, en clair des zones actives et des zones de relégation, aggravant encore plus les discriminations territoriales. Nous sommes sortis du pacte républicain. De plus aucune réforme de la fiscalité locale, fondamentalement injuste, n’est prévue. Etc. Ce sujet mériterait à lui seul un long développement. Encore un chantier du FdG à ouvrir, même si nous ne partons pas de rien, loin s’en faut.

Toujours est-il que la question des « métropoles » conditionne étroitement le contexte des élections parisiennes. Aujourd’hui, quelles que soient les dispositions — nécessairement subjectives, au moins en partie— dans lesquelles chacun et chacune d’entre nous se situe par rapport à la configuration de premier tour, n’oublions pas qu’elles se dérouleront sous l’épée de Damoclès de la « métropolisation », avec toutes les conséquences que cela implique pour nos concitoyens.

Et à Paris, comment ça va ?

Notre groupe à Hôtel de Ville fait partie de la majorité municipale. Il vote les budgets et participe à l’exécutif. Il n’est donc pas illégitime qu’il interroge le partenaire PS, avec lequel il a « gouverné » Paris depuis 2001, dans un certain rapport de forces interne, manifestement en notre défaveur. Cela n’a pas grand chose à voir avec un éventuel « marchandage ». Le dialogue en cours entre le PCF et le PS est programmatique, dans le souci de ne prendre aucun risque sur un retour éventuel de la droite à la tête de la Mairie de Paris. Risque qui n’est pas imaginaire, mais qui de mon point de vue sera d’autant moins grand si nous sommes clairs sur notre bilan et ambitieux sur ce que nous voulons.

Le PCF a donc rencontré le PS dans un souci de bilan et d’évaluation des 12 ans écoulés, où quelques avancées ont été acquises, notamment en matière de logement, de transports et d’urbanisme, etc. Mais le bilan global, au demeurant très mince, reste dans le cadre d’une « bonne gestion » sociale-démocrate (faible fiscalité, réticence au recours à l’emprunt, maîtrise de la masse salariale, recours abusif aux DSP, qui sont des privatisations déguisées, au détriment de la « régie directe », etc.). Quelques exemples, dans la santé, les centres médicaux, l’APHP, l’Hôtel Dieu ; dans le logement, le seuil, qu’Anne Hidalgo se déclare prête à relever, « à condition qu’on parte ensemble au premier tour », mais aussi les préemptions, les ventes à la découpe, la spéculation… ; dans le domaine de la culture, rien ou presque, si ce n’est à la marge, comme le quotient familial des conservatoires, mesure sans impact populaire, puisque les places en conservatoire sont en nombre insuffisant ; quelques bibliothèques dans les quartiers les plus sous-équipés, mais on est loin du compte ; dans le domaine de la distribution de l’eau, ça a été dur ! Chaque progrès, chaque conquête est toujours le fruit d’une pression, plus ou moins forte, sur le partenaire socialiste. Et l’on reste globalement très loin du compte en matière de services publics.

Pour ne prendre que cet exemple, Anne Hidalgo a été dans une vie antérieure secrétaire nationale à la culture du Parti socialiste. Ce ne fut d’ailleurs pas la pire à ce poste. Se satisfait-elle d’être la future maire de la grande ville de France qui dispose du plus petit budget culturel, en pourcentage (moins de 6 %, alors que la moyenne des villes de plus de 30 000 habitants est de 10,4 %) ? la question mérite au moins de lui être posée !

Au cours d’un important débat à la Fête de l’Huma avec tous les partenaires de gauche au Conseil de Paris, Ian Brossat rappelait, et je pense que cela fait consensus, qu’en amont de nos grandes ambitions transformatrices et révolutionnaires, on fait de la politique pour être utile, pour vivre mieux, pour avancer… (et qu’on ne fait pas — on ne devrait pas faire — de la politique pour cultiver son ego ou assouvir sa soif de pouvoir !). Encore faut-il être « aux manettes », c’est à dire en bon français avoir des élus. Mais veiller à ce que ces derniers n’aient pas les mains liées.

Le cœur de la question

Faire l’union au 1er tour avec le PS ou négocier une fusion offensive avec lui au second tour, ce n’est pas la même chose, car faire l’union avec un partenaire beaucoup plus fort que soi revient à la faire à ses conditions. Ce qui explique l’insistance du PS parisien à la vouloir dès le premier tour, ce qui impliquerait l’éviction du Conseil de Paris des autres forces du FdG, PG en tête, sauf à ce que ces dernières aillent à la bataille « sans nous ». Ce qu’elles ne manqueront pas de faire, si d’aventure nous faisons liste commune avec le PS au premier tour. Dans ce cas le FdG implose à Paris..., ce qui de mon point de vue est aussi un objectif collatéral du PS : déstabiliser durablement le FdG à Paris en divisant ses forces, en isolant notre parti, quitte à lui concéder, pour prix de sa bonne volonté, quelques places supplémentaires. La symbolique de cette manœuvre, singulièrement à Paris, qui est et sera sous le feu des projecteurs nationaux, n’échappera à personne !

A contrario, si nous présentons au premier tour, dans tous les arrondissements, des listes du FdG de large rassemblement, sur la base de notre programme et de nos analyses, et que nous menions une campagne offensive, populaire et dynamique (ce qui, pardon de le rappeler, ne sera pas le cas dans l’hypothèse d’une liste d’union avec le PS au 1er tour…), nous affronterons la fusion et le second tour avec un rapport de forces renforcé ; et si nous dépassons la barre des 10 %, objectif réaliste, nous obtiendrons de très bonnes conditions de négociations pour obtenir beaucoup plus d’élus qu’aujourd’hui, au Conseil de Paris et dans les arrondissements.

On entend ici ou là, en faveur d’une union avec le PS dès le 1er tour, invoquer le danger du Front National. En effet, le FN, traditionnellement faible à Paris (3,17 % en 2008, mais 6,2 en 2012) est donné dans les derniers sondages aux alentours de 8 %. Ce qui est moins de la moitié de son pronostic national : le « danger FN » n’est pas, à Paris, si fort que ça, même si sa progression réelle et récente doit nous interpeller. Mais le FN se renforce essentiellement au détriment de la droite, et c’est dans les 15e et 16e qu’il enregistre les plus forts taux de progression. Dans la bouche du PS cet argument en faveur de l’union dès le premier tour ressemble étrangement à celui du « vote utile » qui rappelons-le, nous a fait perdre au moins 2 points à la présidentielle. Si cet argument avait quelque crédibilité apparente en 2012, il n’en a aucune aujourd’hui.

Il faut simplement combattre le FN, plus et mieux. Car le discours protestataire non suivi d’effets nourrit le désarroi, et le vote FN est aussi le produit de notre impuissance à rendre lisibles et crédibles nos alternatives.L’élection cantonale de Brignoles ne vient pas contredire cette analyse, bien au contraire : L’incohérence du PS face à la politique du grand capital, sans parler des petites magouilles locales ont nourri le vote FN. Mais les difficultés de lisibilité de nos propositions n’ont pas permis de mordre sur l’électorat populaire, à tout le moins réfugié dans l’abstention.

Rendons nos propositions lisibles ! Noyées dans la masse de listes « d’union », ce ne sera pas commode ! Même à Paris !

Pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté ?

Les débats actuels au sein du FdG, essentiellement entre le PCF et le PG, ne se passent pas, du moins au « sommet » dans la plus grande sérénité. Petites phrases, procès d’intentions… Nous tombons parfois dans les travers que nous réprouvons chez les autres… Les désaccords tactiques et même stratégiques font partie de la vie du FdG ; je pense que nous avons les moyens de les dépasser, ne serait-ce que parce que nous avons un patrimoine commun à préserver et agrandir : un socle stratégique et logistique de première grandeur, L’HUMAIN D’ABORD, enrichi en permanence des travaux de dizaines de « Fronts thématiques », un « Front des Luttes », une stratégie de rassemblement rodée et forte de l’expérience des quatre batailles électorales auxquelles nous avons participé, dans l’unité de toutes les composantes du FdG.

Je refuse de rentrer dans le débat stérile sur « autonomie » et « rassemblement ». Le mot clé du FdG c’est évidemment « rassemblement ». C’est même la raison d’être du FdG. « Autonomie » dans la bouche de nos amis du PG, c’est « sans le PS au 1er tour ». Alors rassemblons sans le PS au 1er tour… Et faisons la clarté sur le second.

Nous n’avons pas encore assez mis en œuvre notre capacité de renforcement et d’élargissement. Le 16 juin à Montreuil a ouvert la voie. Continuons ! Même si ce n’est pas si facile : depuis l’élection présidentielle, il y a eu 9 élections partielles. Elles ont toutes été perdues par le PS, et n’ont pas du tout permis au FdG de progresser. Même si nous ne régressons pas, nous avons aujourd’hui de la peine à rassembler durablement. Non que nos propositions soient rejetées. Elles sont tout simplement illisibles.

D’abord parce que dans l’opinion et malgré la volonté du PS et des médias de nous marginaliser, nous sommes un peu vécus comme un « PS un peu plus à gauche ». Un PS avec une « louche de social » en plus… Le rejet du PS est vécu par un bon nombre comme un rejet de la « gauche ». Nous avons beaucoup de mérite à ne pas plonger. Mais il est urgent de nous démarquer encore plus du PS, faute de quoi nous ne pourrons pas décoller, a fortiori rassembler.

Vient ensuite, la difficulté à ajuster le discours public du FdG et de ses porte-parole. La surenchère verbale de quelques-uns de nos camarades censée exprimer la colère et le désarroi des travailleurs, le « parler cru et dru », la « défense en rupture » dans les médias suscitent beaucoup d’incompréhension et sont à terme rigoureusement improductives en terme de rassemblement. Comme l’a écrit un camarade, au demeurant membre du PG, il serait temps de passer du « poing dans la gueule à la main tendue »… D’autant que 90 % de l’opinion considère toujours le PS comme un parti de gauche, mais que des milliers de militants socialistes, plongés dans le désarroi par la politique de ce gouvernement, prennent leurs distances avec cette politique, comme en témoigne l’appel « socialistes pour les retraites » qui a rassemblé en quelques jours 3 000 signatures de militants et autant de sympathisants.

C’est à eux qu’il faut tendre la main ! Et pas prioritairement à ceux qui, à la Mairie de Paris ou ailleurs, soutiennent et soutiendront encore la politique de ce gouvernement, au détriment de l’intérêt de nos concitoyens, classes et quartiers populaires de Paris en tête.

Pour conclure, il n’y a pas deux solutions, qui en fin de compte se vaudraient, et qu’un vote formel des militants départagerait, car il faut bien choisir... L’ambition du FdG est de se dépasser, c’est à dire de bousculer les barrières de la sphère d’influence des 9 organisations qui l’ont constitué. Il doit mordre sur l ’électorat du PS, sans doute, mais il doit surtout offrir au peuple de France, très au delà de celles et ceux qui se reconnaissent dans une « gauche de gauche » la perspective d’un rassemblement majoritaire.

Mais « l’union est un combat »... Si tu vas au combat, tu n’es pas sûr de gagner. Si tu n’y vas pas, tu as déjà perdu.

On aura compris que je choisirai la deuxième option du bulletin de vote. Car le Front de Gauche ne peut être absent de Paris, et le PCF ne peut être absent du Front de Gauche... même à Paris !

Jean-Jacques BAREY


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