NATION, RÉGION, RÉFLEXION

lundi 20 février 2006.
 

Les accords de Matignon ont, à l’évidence, ouvert un débat au sein des Alternatifs. Le débat porte à la fois sur les enjeux d’une nouvelle étape de la décentralisation et sur les réponses à apporter aux revendications linguistiques et culturelles qui s‘expriment dans plusieurs régions de l’Hexagone. Seul sera abordé ce dernier point.

1/ Quelques repères

Une réponse alternative pourrait s’articuler de la manière suivante :

1-1/ Les Alternatifs prennent en compte, pour la construction d’identités individuelles et collectives, l’héritage de l’histoire, le genre (identités sexuées), les traits culturels et linguistiques, la place des individus dans les rapports de production. Aucune identité de peut être considérée comme unidimensionnelle. Le fil conducteur de notre action est la lutte pour les émancipations collectives et individuelles, donc contre l’exploitation capitaliste, les aliénations et les oppressions.

1-2/ Les Alternatifs refusent les concepts identitaires basés sur “le sol et le sang”.Les communautés humaines sont pour nous communautés de destin, donc ouvertes. Partisans du droit du sol dans l’hexagone nous le sommes aussi en régions, et condamnons sans appel les slogans comme “les arabes dehors” ou “les français dehors” défendus par telle ou telle frange nationaliste, en Corse comme ailleurs.

1-3/ Les Alternatifs reconnaissent l’existence, dans notre pays, de communautés linguistiques et culturelles fruit de l’histoire donc d’une construction identitaire commune. Cette reconnaissance ne se perçoit pas comme globalement antagonique a la construction identitaire et politique commune, a la "communauté de destin" qu’a été la nation française, pas plus qu’aux identités de genre ou de classe.

1-4/ La combinaison des identités “nationale” et “régionale” est en France un trait très marquant, à la différence de la situation dans d’autres pays d’Europe de l’Ouest et a fortiori- d’Europe de l’Est- où les polarisations s’expriment parfois avec violence.. Dans les régions de l’Hexagone de langues et cultures spécifiques cette combinaison région/nation traverse, non sans conflits, de larges secteurs de la population.(et les individus !). S’il est, pour nous, légitime, sous réserve du refus des logiques d’exclusion, de se vouloir “seulement français” ou “seulement breton ou alsacien”, voire “seulement européen ou citoyen du monde”, la complexité prédomine et cette complexité est féconde.

Dans la continuité du courant autogestionnaire, les Alternatifs, doivent gérer la contradiction suivante :

1-5/ Ils reconnaissent le droit de communautés historiques culturelles et linguistiques (corse, bretonne, basque, alsacienne...) -pour peu qu’une volonté s’exprime majoritairement - à la construction d’un cadre politique séparé, sous réserve que le processus soit mené démocratiquement et ne conduise pas à la violation des droits d’individus et groupes ne s’y reconnaissant pas. Dans aucune région française un tel processus de constitution collective ne peut être actuellement considéré comme majoritaire.

En même temps...

1-6/ Ils sont favorables à la construction de cadres politiques toujours plus larges, fixant les règles d’un vivre en commun et garantissant droits sociaux et citoyens. Ils s’appuient donc, chaque fois que nécessaire, sur les acquis démocratiques culturels et sociaux construits au niveau national, mais sont favorables chaque fois que possible, à la construction de cadres plus larges que l’"État-Nation”, notamment au niveau européen.

Les contenus doivent primer sur les frontières : les Alternatifs sont donc favorables à une nouvelle répartition des pouvoirs entre régions, nation, Europe, et à l’élargissement à tous ces niveaux des acquis sociaux, culturels, démocratiques, et en terme de développement soutenable, plutôt qu’à la construction de micro-etats (sauf lorsque, comme dans les Balkans, les conflits atteignent un niveau de violence faisant de la séparation étatique, au moins de manière transitoire, un moindre mal et la condition de la construction d’un “vivre ensemble” à long terme).

2/ Quelques réponses

Les réponses à la revendication linguistique et culturelle en régions peuvent se construire autour des objectifs suivants :

Une "réparation historique" mais pas une révision historique

Depuis plusieurs siècles, l’Etat français, sous ses diverses formes, a mené une action de longue haleine pour la généralisation de la langue nationale et au détriment des parlers et langues dominés. Notons cependant que cette politique, dont la dimension répressive est incontestable, ne peut être analysée à partir des connaissances actuelles en linguistique : la répression exercée par exemple dans le cadre de l’Ecole par les instituteurs de la fin du XIXe et de la première moitié du XXe siècle partait le plus souvent de “bonnes intentions”, de même l’abandon des langues des régions fut dans beaucoup de cas consenti en même temps qu’il était regretté.

Il n’en reste pas moins que le pluralisme linguistique est une richesse, et que les Alternatifs ne confondent pas valeurs communes et unicité linguistique, la formule “un peuple = une langue” n’est pas la nôtre, même si l’existence d’une langue nationale commune est un acquis.

La reconnaissance de la territorialité des langues.

Ce principe rompt incontestablement avec la logique républicaine classique... mais est largement mis en oeuvre (sans levée particulière de boucliers), notamment depuis la Circulaire Savary de 1982, qui permet l’apprentissage précoce des langues des régions dans le cadre des horaire scolaires. Cette reconnaissance a des implications très concrètes, à la fois pour l’organisation du système scolaire mais aussi par exemple pour la programmation de stations de FR3 en régions ou la toponymie.

Dans le système scolaire un droit reconnu et appliqué mais pas une obligation.

Dans plusieurs régions l’Éducation Nationale freine le développement des l’enseignement en langues régionales pour des raisons de fond (un peuple = une langue) ou en l’absence d’une politique active de formation des enseignants. Les syndicats d’enseignants et les associations de parents défendent des positions diverses selon les régions, voire au sein d’une même région.

Les Alternatifs pourraient préconiser :

* le droit imprescriptible à un enseignement en langue régionale, en fixant, par exemple le seuil d’ouverture d’une classe (puis d’une filière) à 15 élèves, ce qui permettrait de ne pas trop pénaliser le milieu rural (en Alsace, l’administration fixe parfois ce seuil à 24 ou 28 demandes, ce qui exclut de fait les enfants des régions rurales...encore fortement germanophones),

* le développement de l’enseignement intensif (immersion ou enseignement bilingue paritaire soit 13h en français/13h en langue de la région) sur la base du volontariat des familles, donc bien sûr sans en faire une obligation.

* Cette combinaison d’un droit reconnu et appliqué sans chausse-trappes par l’Administration scolaire et du libre choix des parents serait de nature à éviter des guerres scolaires qui n’ont pas lieu d’être.

* Une sensibilisation à l’histoire, la langue et culture régionale pour les élèves dont les parents n’auraient pas choisi l’enseignement intensif.

Par ailleurs des mesures doivent être prises pour garantir et renforcer la présence sociale des langues régionales :

* des programmes télévisés plus ambitieux sur FR3 (décrochages régionaux permettant la diffusion d’émissions aux heures de grande écoute),

* la mise en place de programmes radio généralistes en langue régionale sur les stations de service public (par exemple de 7h à 20h en modulation de fréquence).

* le développement d’une toponymie bilingue,

* la mise en place dans les principales villes concernées de maisons des cultures régionales, lieux d’information et de création,

* l’aide à la production théâtrale et musicale en langues des régions, ainsi qu’un effort particulier de création artistique à destination du jeune public,

* les mesures à prendre dans ces trois derniers domaines sont, pour l’essentiel, du ressort des collectivités territoriales.

Bref une approche décrispée et une politique volontariste sont pleinement compatibles.

Jean-Jacques BOISLAROUSSIE


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