"Un projet de réforme des retraites fou et aberrant"

mercredi 18 septembre 2013.
 

Jean-Marie Harribey est professeur d’économie à l’université de Bordeaux-IV et membre du conseil scientifique d’Attac. Il s’engage au côté du Collectif retraites 2013 pour contrecarrer le projet de réforme annoncé par le gouvernement.

Vous faites partie du collectif Retraites 2013 et vous participez à de nombreuses conférences d’alerte sur le sujet. Quelle est votre réaction face à la réforme présentée par le gouvernement ?

Jean-Marie Harribey. Ce projet est semblable à toutes les réformes menées précédemment par des gouvernements de droite. C’est à dire qu’il prétend qu’au nom de la réduction des dépenses publiques et au nom de la réduction du soi-disant coût du travail, il faut allonger la durée du travail. Comme les précédents, ce projet-là est donc totalement injuste et aberrant. Tout d’abord, forcer les gens à travailler plus longtemps, alors que le chômage explose, est une aberration économique en plus d’être une injustice sociale de première grandeur. Ensuite, faire travailler les gens plus vieux, alors que les entreprises s’ingénient à se débarrasser des salariés dès lors qu’ils ont atteint l’âge de 55 ans, ne peut conduire qu’à une diminution des droits que vont acquérir les salariés et donc des pensions. D’ailleurs, tel est l’objectif ultime de cette réforme : baisser le coût des pensions dans la valeur produite par les travailleurs. Donc, c’est une réforme antisociale et, d’un point de vue économique, elle est contre-productive pour relancer la croissance.

Avec la fondation Copernic et Attac, vous avez publié un livre Retraite : l’alternative cachée. Quelles sont les alternatives que vous proposez ?

Jean-Marie Harribey. Face à ce projet, nous opposons une alternative pour financer les retraites en augmentant les cotisations sociales. Il y a plusieurs solutions pour cette augmentation. Soit on peut augmenter le taux des cotisations retraites versées par les entreprises, un taux qui n’a pas bougé depuis des années et des années. Soit – et c’est peut-être plus astucieux – on peut élargir l’assiette de cotisations sociales à l’ensemble des dividendes, qui est l’autre composante de la valeur ajoutée par les travailleurs dans leur activité. En faisant des réformes de ce type, on agit au niveau de la répartition primaire des revenus. Ça permet de déplacer le curseur de la répartition des revenus dans l’autre sens que celui qui a été promu depuis maintenant trois décennies par le capitalisme néolibéral, et de modifier le rapport de force entre capital et travail.

Dans le livre que vous publiez, vous invitez aussi à regarder au-delà du financement. Pour vous, quels sont les termes du débat sur les retraites ?

Jean-Marie Harribey. En 2010, quand s’annonçait la réforme Fillon, nous avions publié un livre Retraites, l’heure de vérité dans lequel nous dénoncions le projet d’allongement perpétuel de la durée de cotisation. Aujourd’hui, nous avons tenu à actualiser les chiffres et à lui donner encore plus d’impact en terme de popularisation pour faire du débat sur les retraites un véritable débat de société. La question des retraites n’est pas seulement une négociation de marchands de tapis avec le Medef. Au delà de la question du financement, il y a une question de société à part entière. Si on parle des retraites, ça veut dire qu’on parle de ce qu’est le travail dans la vie, de ce qu’est le travail dans la société, des finalités du travail… Et lorsqu’on parle des finalités du travail, on pense aussi aux finalités de la production. Aujourd’hui, on est à la croisée des chemins : le capitalisme nous place devant une crise sociale majeure et une crise écologique de même ampleur. La conjonction de ces deux crises fait qu’on doit considérer le temps du capitalisme comme révolu. Il nous faut passer à autre chose, promouvoir des logiques différentes de la rentabilité infinie du capital, au profit de la satisfaction des besoins sociaux. C’est un autre mode de développement humain que nous avons à promouvoir, un développement alternatif à celui imposé par le capitalisme.

Entretien réalisé par Florent Lacaille-Albiges, L’Humanité


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