Débat : Comment construire 
une République sociale  ?

jeudi 22 août 2013.
 

Avec :

- Martine Billard, coprésidente du Parti de gauche (PG).

- Nicole Borvo-Cohen-Seat, responsable nationale du PCF chargée des institutions.

- Emmanuel Maurel, membre du bureau national du PS, courant Maintenant la gauche.

Sur fond d’affaires politico-financières, le système démocratique est interrogé dans ses fondements mêmes. Comment faire évoluer les institutions de notre pays pour être 
à la hauteur de la crise politique  ?

Martine Billard Nous sommes face à une crise majeure de la démocratie représentative dont l’abstention est le symptôme le plus significatif. Tout est possible, le retour vers la droite qui, entre-temps, s’est nettement laissée déporter vers le FN, avec les appels à manifestations communes contre le mariage pour tous, ou l’alternative à gauche portée par le Front de gauche. La Ve République est dépassée, il faut balayer ce système et passer à la VIe République. Le changement de constitution ne doit pas être l’œuvre d’un comité d’experts mais le résultat d’une assemblée constituante, élue par le peuple, dont ne pourrait être membre aucun des parlementaires actuels. Le Front de gauche y défendrait ses propositions  : fin du présidentialisme, régime parlementaire avec scrutin proportionnel, interdiction du cumul de mandats et limitation dans le temps, interdiction des allers et retours des hauts fonctionnaires entre grandes entreprises et cabinets ministériels, parité obligatoire, démocratie dans les entreprises pour qu’enfin les salariés aient leur mot à dire sur la finalité de la production, les conditions de production et les conditions de travail…

Nicole Borvo-Cohen-Seat La crise démocratique n’est pas née aujourd’hui  : depuis trop longtemps les politiques menées ne répondent pas aux attentes populaires. En 2005, le peuple français a dit non au traité constitutionnel européen que ses dirigeants avaient approuvé, les gouvernements qui se sont succédé n’en ont tenu aucun compte. Dans la sphère économique et sociale, prévalent la dictature des actionnaires et les organismes non élus européens et internationaux, dont les États se sont dotés pour imposer les politiques libérales. La défiance est à son comble quand, un an après avoir battu Nicolas Sarkozy et opté pour des changements avec François Hollande, nos concitoyens découvrent que le ministre du Budget qui les exhorte aux restrictions budgétaires est lui-même un fraudeur fiscal et fait partie du gotha où se côtoient les riches de tous bords, l’argent et la politique  ! Alors oui, tout notre système de pouvoir est en cause. Il ne suffit pas d’annoncer plus de transparence. D’ailleurs celle-ci ne vaut que dans la mesure où un contrôle effectif et démocratique empêche réellement les conflits entre intérêts privés et intérêt général. Mais, précisément, c’est sur l’ensemble des choix qui concernent la vie des gens, leur avenir, comme celui du pays, de l’Europe ou de la planète, que la souveraineté du peuple doit s’exprimer démocratiquement et être suivie d’effet, sous son contrôle, par ses représentants. C’est à tous les niveaux que la citoyenneté doit retrouver sa place, faute de quoi, ceux qui ravivent l’antiparlementarisme dans la rue, droite et extrême droite main dans la main, imposeront un régime autoritaire.

Emmanuel Maurel La réponse à cette question est très difficile car les causes de la crise morale qui affecte notre démocratie ne se limitent pas à l’imperfection des institutions, même si cet aspect est important et nécessite un traitement, comme l’a impulsé François Hollande à la suite de l’affaire Cahuzac. Les Français exprimant un doute, voire une défiance à l’égard des partis de gouvernement, avec la sensation qu’ils mènent des politiques pas très différentes, c’est la notion de choix qui se trouve remise en cause. Or, s’il n’y a plus le choix, il n’y a plus de démocratie non plus. On ne peut pas s’en remettre simplement à la forme et aux procédures. Pour que vive la démocratie, il faut que le fond des politiques conduites démontre qu’il y a le choix.

Avec la récession en Europe, la crise politique rejoint une grave crise économique et sociale. La réponse aux attentes sociales et à cette crise n’est-elle pas aussi à rechercher dans des politiques économiques novatrices  ?

Nicole Borvo-Cohen-Seat Crise politique, économique, sociale, en France et en Europe, sont les facettes d’une même réalité  : les peuples n’acceptent pas les politiques d’austérité. D’ailleurs, ceux qui les mettent en œuvre s’en inquiètent sérieusement. Le débat commence même à s’ouvrir sur une nécessaire inflexion, ce qui donne sans doute plus de crédibilité à ceux qui défendent une véritable alternative. Mais on sait tout autant que pour sortir des logiques ultralibérales actuelles, pour imposer une maîtrise publique des choix d’investissement, du crédit, pour rétablir la justice fiscale et redonner toute leur place aux services publics, il faut des changements profonds des mécanismes de prise de décision, non seulement au niveau national mais aussi au niveau européen. Ceux que nous connaissons aujourd’hui ont été conçus pour que le peuple s’en mêle le moins possible et que les décideurs soient d’abord les marchés financiers.

Emmanuel Maurel Il est assez évident au regard de la crise européenne qu’il faut sérieusement réfléchir à ce qui a été fait, en gros depuis Maastricht, Amsterdam et surtout Lisbonne, pour inventer une nouvelle politique. Tout d’abord, pourquoi oblige-t-on les États à respecter seulement des critères de convergences financière et budgétaire  ? Nous ferions progresser l’Europe si nous décidions de passer à des critères de convergence sociale  : salaire minimum, couverture sociale, critères de développement humain (mesuré par exemple par le taux de pauvreté, d’éducation, d’inégalité sociale). Alors oui, les socialistes le disent depuis longtemps, mais… ils ont beaucoup plus de mal à le faire  ! Je crois que si nous ne réfléchissons pas très vite à cela et si nous ne prenons pas les décisions qui s’imposent, l’Europe se mettra en situation d’extinction.

Martine Billard L’austérité ne mène nulle part, nous le voyons partout en Europe où les mêmes politiques ont les mêmes effets. François Hollande s’obstine pourtant, en déclarant qu’il n’est pas question de changer de cap. C’est une absurdité économique, sociale et écologique. Sa soumission au Medef lui lie les mains devant les plans massifs de licenciements et les fermetures d’entreprises alors que nous avons besoin d’une politique volontariste passant par les nationalisations et l’aide à la reprise en coopérative pour le maintien d’une industrie dont notre pays a besoin. À la politique de l’offre prônée par ce gouvernement, nous opposons une politique de relance intégrant le défi écologique et permettant à tous de travailler moins et mieux, au lieu d’avoir des salariés épuisés au travail et des millions de chômeurs. À l’individualisme libéral, nous préférons la République sociale. Et au moment où la lutte contre le réchauffement climatique est de plus en plus urgente, le maintien de l’austérité empêche toute politique de transition énergétique, pourtant source d’économies d’énergie et financières. C’est par une planification écologique que nous pouvons opérer cette transition dont nous avons impérativement besoin.

Dans ce contexte lourd de risques 
de radicalisation de la droite 
et d’une extrême droite à l’affût, de plus en plus de voix à gauche en appellent à construire une République sociale. Quelle stratégie et quel rassemblement faut-il favoriser pour y parvenir  ?

Emmanuel Maurel Je pense qu’une partie de la progression de la droite résulte d’une déception énorme par rapport à la gauche et au sentiment d’une absence de réponse de sa part aux problèmes des Européens en général et des Français en particulier, sur la crise, le chômage et le modèle de société. Il y a un vide à gauche, et donc les gens se tournent logiquement de l’autre côté pour essayer de trouver des solutions. Mais comme ce mouvement de balancier a lieu dans un contexte de régression de plus en plus insupportable (en Grèce, en Espagne, dans les pays de l’Est), l’offre politique à droite s’adapte pour capter cette colère. Il n’est plus question dans ses discours de liberté ou d’espérance de réussite individuelle, mais de répression, de repli identitaire et d’exclusion. Si la gauche se ressaisit et se remet à prôner ses valeurs, l’égalité et la justice, alors le balancier repartira dans l’autre sens. Et pour ce faire, oui, la République sociale me semble une idée tout à fait pertinente qu’il nous faudrait approfondir ensemble  : socialistes, communistes, écologistes.

Martine Billard Aujourd’hui, alors que des députés du PS et d’EELV refusent de plus en plus de se taire, la direction du PS intime à toute la gauche de serrer les rangs autour du gouvernement en essayant de faire peur à coups de comparaisons avec les années 1930 et en multipliant les insultes contre Jean-Luc Mélenchon. François Bayrou, dans une opération bien orchestrée, nous ressert l’union nationale ou le gouvernement technique avec un seul objectif  : nous imposer l’austérité, la casse du droit du travail et la baisse des protections sociales. La crise politique actuelle, qui rejoint la crise économique et sociale, et qui se double d’une crise morale, montre que le temps n’est plus au rafistolage à l’intérieur du système. Nous sommes donc devant le défi de démontrer que le Front de gauche n’a rien à voir avec ces politiques et que nos propositions dessinent une alternative crédible et possible. C’est le sens de la marche du 5 mai. Mais cet appel est bien plus large que le Front de gauche, puisque de nombreuses personnalités, militants syndicalistes, associatifs et d’Europe Écologie, dont Eva Joly, s’y joignent. Nous ne doutons pas d’y retrouver aussi de nombreux militants socialistes même s’ils n’osent pas encore se joindre à un appel public. Ces forces qui seront dans la rue pour dire non à la finance et à l’austérité et oui à une VIe République dessinent ce que peut être la majorité alternative à gauche de demain.

Nicole Borvo-Cohen-Seat Beaucoup de gens à gauche en effet veulent une politique sociale, c’est-à-dire qui mette au centre les besoins humains  ! Encore une fois, la question sociale et la question démocratique sont très liées. Les institutions de la Ve République ont une cohérence  : elles organisent le pouvoir de l’oligarchie politico-financière sous la houlette d’un président monarque, et l’impuissance du peuple. La gauche dans sa diversité a critiqué ce régime, mais chaque fois que les socialistes ont été au pouvoir, ils l’ont conservé  ! Aujourd’hui, la crise est si profonde qu’un rassemblement large peut se concevoir pour ouvrir le débat sur le contenu d’une République citoyenne et sociale. Des forces politiques, syndicales, associatives, intellectuelles sont favorables à des transformations. Ce qui est en jeu, c’est une véritable rupture non seulement avec le présidentialisme, mais aussi avec la monarchie patronale  : la citoyenneté doit s’exercer pleinement dans la cité, au niveau local, national et européen, et elle doit s’exercer au niveau de l’entreprise. Le passage à un nouveau régime exige une véritable implication populaire dans le débat et un processus constituant.

Entretiens réalisés par Pierre Chaillan, L’Humanité


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