José Bové : "pourquoi je suis candidat" ?

jeudi 8 février 2007.
Source : Politis
 

Expliquant les raisons qui le poussent finalement à se présenter à la présidentielle, le militant altermondialiste annonce trois thèmes phares pour sa campagne : le « vivre ensemble », l’écologie et l’antilibéralisme.

Dans un troquet populaire de Versailles, apercevant José Bové, une dame se lève et se précipite : « Je ne me trompe pas ? Vous êtes bien celui qui se bat pour qu’on ne mange plus de la merde ? Continuez, s’il vous plaît ! » Une autre, un curieux chapeau vert très versaillais sur la tête, s’approche et tend la main : « Bravo, monsieur Bové, allez-y, ne vous laissez pas faire ! » Et quand le leader altermondialiste quitte le bistrot pour rejoindre le palais de justice de Versailles, le patron, approuvé par les clients au comptoir, lui lance un sonore : « Bonne chance, allez-y ! »

C’est peut-être aussi parce qu’il entend beaucoup d’encouragements sympathiques dans les rues et dans les trains que l’ancien jeune libertaire, qui s’installa en 1975 comme éleveur de brebis sur le Larzac, dans une ferme délabrée guignée par l’armée, annoncera, ce jeudi 1er février, qu’il se présente à l’élection présidentielle de 2007. Il a déjà réuni une bonne centaine de promesses de signatures d’élus. Elles viennent couronner de longues années de syndicalisme agricole, d’activisme antinucléaire et de militantisme altermondialiste.

Au-delà de la volonté exprimée par les collectifs antilibéraux, José Bové a cru comprendre qu’il faisait l’objet d’une forte demande de la part d’une partie de la population. Et de gens appartenant à des milieux très divers. « Bien qu’ils me voient souvent à la télévision, les gens sentent probablement que je ne suis pas extérieur à leur monde, que je n’appartiens pas à une caste, que je ne suis pas un individu hors sol, que je suis vraiment issu de la société civile, explique-t-il. Alors, ils m’encouragent, viennent bavarder avec moi ou me donner des conseils. C’est formidable, cela fait du bien, et je ne le vis pas comme une intrusion. D’autant que ce n’est pas l’homme qu’ils félicitent, mais les idées que nous allons défendre. Celles que nous défendons depuis longtemps et qui les ont amenés à voter non au référendum sur l’Europe. »

José Bové ne s’appartient plus complètement. Il paraît porté par un courant d’idées qu’il va s’efforcer d’organiser et de répercuter à travers les collaborations de ceux qui animent ou dirigent les comités locaux. Et qui n’ont pas encore digéré la façon dont le parti communiste a tenté de prendre le mouvement unitaire en otage : « Je ne comprends pas comment il a pu être suicidaire à ce point, s’étonne-t-il. Les membres du PC qui nous soutiennent, comme ceux qui rendent leur carte, sont de plus en plus nombreux. D’ailleurs, notre premier grand meeting de campagne se tiendra le 7 février à Aubagne, dans une municipalité communiste. Et des maires communistes nous promettent leur parrainage. » Parmi ceux qui appellent à soutenir la candidature de José Bové ­ liste qui devrait largement dépasser les 30 000 au moment de son annonce officielle ­, les communistes en rupture sont, en effet, en nombre croissant. Dans le même temps, la base sociale, politique et professionnelle du mouvement de soutien à José Bové s’élargit. Le concerné y puise la certitude qu’il doit y aller. Il a aussi été sensible à ce que lui a lancé, il y a quelques semaines, son ami Evo Morales, issu de la société civile et du syndicalisme comme lui, et vainqueur de la dernière élection présidentielle en Bolivie : « Vas y, c’est ton tour d’essayer, maintenant. »

Avec ses avocats et des amis venus le rejoindre ce jour-là à Versailles, et en discutant au téléphone avec François Dufour, ancien porte-parole de la Confédération paysanne et agriculteur en Normandie, le candidat commence à dresser son plan de campagne et les trois thèmes autour desquels elle va s’articuler. D’abord, le « Vivre ensemble », ensuite l’écologie, et enfin, évidemment, l’antilibéralisme. « Vivre ensemble, précise José Bové, c’est retrouver, réconcilier, rassembler tous ceux qui se sentent stigmatisés, exclus, brisés. Tous ceux qui sont victimes d’une fracture qui peut aussi bien être sociale et culturelle qu’économique. Tous ceux qui sont finalement victimes de la vieille idéologie du bouc émissaire, quel que soit leur milieu social. Les gens ont envie d’être reconnus pour leur importance, pour ce qu’ils sont, et non pas seulement pour ce que la société fait d’eux. Cela explique que notre mouvement reçoive tant d’appels, de demandes, de soutien de la banlieue. Cette liaison n’est pas vraiment nouvelle : à l’occasion du rassemblement Larzac 2003, nous avions constaté que la liaison entre les luttes des banlieues et les revendications écologistes et altermondialistes commençait à s’établir. Mais, depuis quelques mois, la tendance se transforme en un puissant courant. C’est pour souligner cela que j’ai décidé d’annoncer ma candidature en Seine-Saint-Denis. »

Pour illustrer cette convergence, José Bové raconte l’histoire d’un Malien sans papiers qui faisait partie des squatteurs de Cachan. Un ingénieur agronome licencié sans ménagement par une multinationale dans son pays, et dont le discours altermondialiste s’appuie sur ce qu’il a vécu, le saccage de son pays et le mépris de l’environnement. Un exclu relatant, exemples à l’appui, que les revendications du Sud sont de même nature que celles du Nord. Presque un symbole de ce qui sous-tendra la campagne : « La France ne vit pas seule. Pendant cette campagne, il faudra passer sans arrêt du local au global, de notre pays à l’Europe et au monde. Parce que chacun d’entre nous vit cela dans les entreprises, dans la vie quotidienne, dans l’alimentation, dans les services. Je crois que les Français s’en rendent un peu plus compte chaque jour. » Comme c’est à la mode chez les autres candidats, José Bové tire, lui aussi, une citation de Jaurès de sa besace : « Avec les élections, on a maintenant le droit de choisir ses élus, mais la démocratie cesse lorsque l’on franchit les portes de l’entreprise. » Pour compléter ce qui lui semble une évidence, il répétera, tout au long de sa campagne, à quel point les salariés sont devenus, dans la tourmente néolibérale, la « meilleure », sinon la seule, variable d’ajustement du système économique. La personne humaine, au Sud comme au Nord, se retrouvant la dernière roue de la charrette.

S’il refuse que sa candidature soit étiquetée « écologiste », celui qui est toujours porte-parole de Via Campesina [1] veut insister sur les problèmes d’environnement, ceux induits par l’industrie et le transport comme ceux qui proviennent, trop souvent, des activités agricoles. Il rappelle notamment que les coûts environnementaux ne sont jamais pris en compte alors qu’ils sont, d’une façon ou d’une autre, pris en charge par les consommateurs. Il prend comme exemple le nitrate déversé il y a quinze ans et dont l’élimination se répercute aujourd’hui sur les factures d’eau. Il souligne aussi qu’il devra expliquer pourquoi une alimentation trop carnée, impossible à étendre à l’ensemble de la planète, constitue un non-sens écologique et économique. « Il s’agit d’une impasse, on nous raconte des histoires : il est impossible de reproduire à l’échelle de la planète un système dans lequel il faut sept protéines végétales pour produire une protéine animale. Quant à la dernière lubie de nos politiques, le pétrole vert, c’est une folie. Cela enrichira quelques agro-industriels qui se feront subventionner, et cela épuisera les terres tout en autorisant de plus en plus de pesticides. Donc en polluant et en détruisant des sols déjà partout fragilisés. L’agriculture doit d’abord être un mode de vie, une culture. Et non pas une activité de chef d’entreprise ou, trop souvent, un statut d’ouvrier spécialisé de la terre, attaché à une chaîne de production de porcs ou de poulets. » Au cours de sa campagne, José Bové compte aussi expliquer que les « petits gestes » pour sauver la planète ne suffiront pas : « J’ai une maison écologique guère plus chère que les maisons Borloo et économe en énergie, je suis un éleveur bio, j’essaie d’avoir un comportement le plus responsable possible. Mais cela ne suffit pas, il faut aussi, en agriculture et dans les autres domaines, s’attaquer au logiciel du productivisme. L’écologie ne peut pas être un consensus. Elle ne peut être qu’une bataille frontale, une opposition aux principes économiques actuels de recherche effrénée du profit. C’est l’envers de la mondialisation. Si on veut sauver la planète, il faut attaquer, et vite. Pour l’énergie, il faut relocaliser, régionaliser la production à chaque fois que c’est possible. »

Bové annonce aussi que sa campagne sera intraitable, collective et résolue sur la création d’une Organisation mondiale de l’environnement dotée de pouvoirs coercitifs, sur la question du réchauffement, sur la préservation des services publics essentiels, sur les OGM, sur l’énergie, sur le nucléaire, sur la rupture avec la dictature des multinationales, sur la préservation des biens immatériels comme la culture, sur la technique qui ne doit pas imposer un modèle politique... De ce programme, il se régale d’avance. Comme si c’était pour lui l’aboutissement d’une vie militante dont on oublie souvent qu’elle le conduisit, avant qu’il ne soit connu, aussi bien en Nouvelle-Calédonie pour défendre ses amis kanaks, que dans les eaux de la Polynésie pour dire son opposition au nucléaire.

Le plan de campagne est prêt. Le mandataire financier est désigné. Les affiches sont en cours d’élaboration. Les militants sont impatients de participer au travail de quelqu’un qui leur ressemble. Et les premiers porte-parole, comme François Dufour ou Jacques Testart, sont sur la ligne de départ. Le 7 février, jour du premier meeting, la Cour de cassation statuera sur le pourvoi de huit « faucheurs volontaires », dont José Bové, qui risque quatre mois de prison. Le candidat pourrait donc être amené à diriger une partie de sa campagne depuis une cellule. Comme il ne sera pas privé de ses droits civiques, Bové devra bénéficier des mêmes possibilités que les autres, dont la liaison permanente avec son équipe de campagne, la participation à des meetings et l’égalité d’accès à la télévision. Le plus beau casse-tête jamais offert à un garde des Sceaux. « Je me marre, je me marre », glousse le leader altermondialiste, avec l’air gourmand de celui qui adresse le pied de nez de l’année à la Justice.

Quand on lui demande pourquoi il s’embarque dans une telle aventure, après avoir détaillé ses objectifs politiques avec sérieux, Bové sourit : « Soyons fou, soyons fou... » Et quand on lui demande quelle sera sa première décision, une fois élu, il répond après avoir longuement réfléchi : « Il y en aura deux. La première, je la garde pour moi, et la seconde sera l’élection et la convocation d’une Assemblée nationale constituante. »

Notes [1] Le principal mouvement paysan altermondialiste, qui regroupe environ 150 organisations d’agriculteurs et de communautés indigènes.

[2] Le principal mouvement paysan altermondialiste, qui regroupe environ 150 organisations d’agriculteurs et de communautés indigènes.

PAR Claude-Marie Vadrot


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