Pour la Commission européenne, tout progrès social doit disparaître

dimanche 9 juin 2013.
 

Une déclaration de guerre sociale. C’est ainsi que j’ai dénoncé l’attitude de la Commission européenne, sitôt connues ses « recommandations » pour la France. Elles ont été rendues publiques jeudi. Ces « recommandations » consistent en fait en une liste de tous les acquis sociaux à passer au broyeur libéral. Ou, dans la novlangue libérale, la liste des « réformes structurelles » que la Commission exige du gouvernement français. François Hollande a aussitôt fait le malin. Il prétend résister ? Comme d’habitude avec lui les apparences sont destinées à tromper. Il ment de A jusqu’à Z. Non seulement il fera ce que la commission a décidé mais il le sait très bien et n’a pas le choix compte tenu du traité budgétaire qu’il a lui-même signé. D’ailleurs dès qu’il s’est retrouvé aux côtés de madame Merkel il a baissé le ton et minaudé une capitulation sans condition. Son gouvernement collaborera franchement à la politique décidée à Berlin et propagée par la commission. Je vais le démontrer.

La Commission fait ses recommandations dans le cadre du « semestre européen ». C’est la loi en France et en Europe puisque François Hollande a renoncé à renégocier le traité. Depuis l’an dernier, les Etats de l’Union européenne doivent fournir à la Commission leurs prévisions budgétaires au printemps. Lorsqu’un Etat a un déficit public supérieur à 3% du PIB, la Commission peut demander des sanctions contre lui. Elle peut aussi décider de ne pas appliquer de sanctions immédiatement, mais « recommander » des réformes en « contrepartie » d’un délai pour ramener le déficit sous les 3%. En fait, ces « recommandations » sont des exigences. Et le « délai » n’est qu’un « sursis » correspondant à la durée pendant laquelle la Commission pourra faire du chantage en menaçant d’appliquer les sanctions prévues pour « déficit excessif ». néanmoins, ces recommandations sont présentées comme la contrepartie du délai accordé par la Commission à la France pour ramener son déficit public sous les 3% du PIB. Comme Sarkozy avant lui, Hollande s’était engagé à le ramener sous les 3% en 2013. Cet objectif ne sera pas respecté. La Commission a renoncé à prendre des amendes contre la France. Trop gentille ! Elle exige que le déficit soit ramené à 3,6% en 2014 et 2,8% en 2015. Elle laisse donc deux ans de « délai ». Mais elle exige en échange que la France utilise ces deux ans pour faire des « réformes structurelles ». Le commissaire européen Michel Barnier a été très clair vendredi matin sur Europe 1 : « Ces deux années que nous recommandons (pour ramener le déficit public du pays à 3% du PIB), ce ne sont pas deux années de répit, mais deux années de réformes ».

Et quelles réformes ! On peut résumer par une formule simple. Pour la Commission, tous progrès social doit disparaître ! Les « recommandations » menacent presque tous les secteurs et toutes les populations du pays. Le cœur de l’agression concerne les retraites. Hollande avait déjà annoncé qu’il ne reviendra pas sur la contre-réforme Sarkozy. Il avait aussi déjà annoncé qu’il ferait pire en allongeant encore la durée de cotisation pour avoir droit à une retraite à taux plein. La Commission frappe encore plus fort. Elle appelle à « prendre des mesures d’ici à la fin de l’année 2013 par exemple en adaptant les règles d’indexation, en augmentant encore l’âge légal de départ à la retraite et la durée de cotisation pour bénéficier d’une retraite à taux plein et en réexaminant les régimes spéciaux ». Vous avez bien lu, tout doit y passer : l’âge de départ déjà relevé à 62 ans, l’âge du taux plein déjà relevé à 67 ans, la durée de cotisation déjà portée à 41,5 années mais aussi les régimes spéciaux. A chaque fois, la Commission réclame de nouvelles régressions sociales. Et les retraités seront aussi mis à contribution. Car pour la Commission, « adapter les règles d’indexation » signifie arrêter d’indexer la hausse des pensions sur les prix. Donc rogner le pouvoir d’achat des retraités. En fait, les seuls gagnants sont les patrons. Car la Commission prend soin d’appeler à « éviter une augmentation des cotisations sociales patronales ».

« Salariés à la diète, patrons à la fête ». Ca pourrait être le slogan de la Commission. En effet, elle appelle à baisser encore le "coût du travail" et même à relancer la TVA sociale ! La Commission regrette la hausse du SMIC de juillet dernier. Pour elle, augmenter le SMIC d’un carambar par jour, c’est encore trop car ça menace la « compétitivité ». Pour le reste, en langage bruxellois, ça donne ça : « s’assurer que le crédit d’impôt pour la compétitivité réduit bien du montant envisagé le coût du travail et qu’aucune autre mesure n’annulera ses effets ». Parisot a gagné 20 milliards, Barroso veille qu’on ne les lui reprenne pas. Ou encore ceci : « poursuivre la réduction du coût du travail, notamment en adoptant d’autres mesures pour réduire les cotisations sociales patronales ». Et toujours « prendre des mesures supplémentaires déplaçant la charge fiscale sur le travail vers les taxes environnementales ou la consommation ». Vous avez bien lu, la Commission appelle à alléger les cotisations payées par les employeurs en les transférant sur une « taxe sur la consommation » c’est-à-dire sur la TVA. C’est déjà ce que Hollande a prévu pour le 1er janvier 2014. Mais pour la Commission, ce n’est pas encore assez ! Hollande a déjà fait 20 milliards d’euros de cadeaux aux actionnaires mais Barroso en veut toujours plus !

Il en va de même sur la précarité pour les salariés. La Commission en réclame toujours plus. Elle appelle ainsi à « mettre en œuvre intégralement et sans délai l’accord interprofessionnel de janvier 2013 ». La loi qui entérine cet accord « Made in MEDEF » n’est pas encore promulguée. Le Conseil constitutionnel ne s’est pas encore prononcé sur sa conformité avec la Constitution. Mais la Commission se moque complètement de la Constitution des Français. Elle en profite même pour appeler à « prendre des mesures supplémentaires pour lutter contre la segmentation du marché du travail », c’est-à-dire rogner les droits des salariés en CDI pour les rapprocher de ceux en CDD. Et comme la Commission ne veut pas s’arrêter en si bon chemin, elle propose de renforcer la précarité du travail très tôt en faisant encore plus « la promotion de l’apprentissage » pour les jeunes.

Après les retraités et les salariés, les chômeurs sont aussi dans la ligne de mire de la Commission. Elle appelle à rendre dégressive et plus difficile l’indemnisation du chômage. Avec les mots de Barroso, on dit « lancer sans tarder une réforme du système d’indemnisation du chômage, pour garantir la viabilité du système tout en faisant en sorte que celui-ci encourage de manière adéquate le retour à l’emploi […] les conditions d’admissibilité, la dégressivité des allocations dans le temps ou les taux de remplacement pour les salaires les plus élevés, devraient être adaptés pour garantir l’adéquation des mesures d’incitation au travail ». Alors que la France vient de battre un nouveau record du nombre de chômeurs avec plus de 5 millions de chômeurs, Barroso reprend l’idée selon laquelle les chômeurs seraient des fainéants qui ne veulent pas travailler. Un chômeur sur deux ne bénéficie déjà pas de l’allocation-chômage. Près de 100 000 chômeurs arrivent en fin de droits chaque mois. Mais Barroso appelle à durcir encore les conditions d’indemnisation des chômeurs !

La Commission passe tous les droits sociaux au lance flamme. Et le pouvoir d’achat populaire va souffrir. En à peine huit pages, la Commission appelle aussi à augmenter la TVA en « rapprocher les taux réduits du taux normal de TVA et en supprimant les taux réduits inefficaces ». Mais dans le même temps, la Commission plaide pour de nouveaux cadeaux fiscaux aux riches et aux entreprises. Elle appelle ainsi à « réduire le taux de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés ». Mais oui !

Le dogmatisme ultralibéral de la Commission lui fait perdre toute intelligence. Officiellement, ces mesures sont censées soutenir la « compétitivité » de l’économie française. Dans les faits, c’est un prétexte pour arracher des reculs sociaux au peuple. La Commission se moque de la « compétitivité ». C’est tellement vrai qu’elle propose de casser deux éléments importants dans l’attractivité de notre pays et sa capacité de développement économique. La Commission appelle ainsi à « mettre fin aux tarifs réglementés du gaz et de l’électricité » pour les entreprises. Les PME verront ainsi leur facture de gaz ou d’électricité exploser. Et Barroso exige que la France ouvre « le transport ferroviaire intérieur de passagers à la concurrence ». Ce serait un coup terrible porté au réseau ferré français et au service public de transport, du TGV au TER. Qui peut croire qu’en abimant les moyens de transport ferroviaires, notre pays se portera mieux ?

La réaction de François Hollande est d’une hypocrisie totale. Jeudi, après l’annonce de ces recommandations, François Hollande déclaré : « la Commission n’a pas à nous dicter ce que nous avons à faire. Elle a simplement à dire que la France doit rétablir ses comptes publics. Pour ce qui concerne les réformes structurelles, notamment les réformes de retraites, c’est à nous et à nous seuls de dire quel sera le bon chemin pour atteindre l’objectif »

Hollande ment. Le système des « recommandations » est prévu par le traité budgétaire Merkozy. Or François Hollande a accepté ce traité. Il ne l’a pas renégocié. Hollande ne peut pas ignorer que la Commission est dans le rôle que lui confie l’article 7 de ce traité TSCG. Que dit cet article ? Il dit que « les parties contractantes dont la monnaie est l’euro s’engagent à appuyer les propositions ou recommandations soumises par la Commission européenne lorsque celle-ci estime qu’un État membre de l’Union européenne dont la monnaie est l’euro ne respecte pas le critère du déficit dans le cadre d’une procédure concernant les déficits excessifs. » J’ajoute que la procédure des recommandations et sanction prévue au « semestre européen » est aussi prévue par le 6-pack adopté avant l’élection de François Hollande mais qu’il n’a jamais dénoncé. Hollande est pris à son propre piège. Il voulait un « gouvernement économique » de l’Europe. En fait, ce gouvernement économique existe déjà ! C’est la Commission et ses « recommandations ».

Surtout, la Commission empêche Hollande d’être hypocrite sur les retraites comme il espérait l’être. François Hollande voulait pouvoir allonger hypocritement la durée de cotisation « sans relever l’âge légal de départ ». Une pure manipulation. Pourtant à la fin, cela revenait à empêcher les salariés de partir à la retraite lorsqu’ils atteignent l’âge légal de départ. Car l’allongement de la durée de cotisation augmente très fortement le nombre de salariés qui n’ont pas assez cotisé au moment où ils atteignent l’âge légal. Ils ont alors le choix entre continuer à travailler ou partir à la retraite avec une décote. La proposition de François Hollande revenait donc à vider l’âge légal de sa substance. Mais Hollande espérait pouvoir sauver les apparences et tromper les moins informés. La Commission exige qu’il assume une contre-réforme totale, en reportant aussi l’âge légal de départ au-delà de 62 ans !

Alors que Hollande a fait semblant de rejeter les recommandations de la Commission, Pierre Moscovici et Jean-Marc Ayrault ont dit vouloir les respecter. Le ministre des Finances a été le plus favorable. Pour lui, « Pour l’essentiel, ces recommandations confortent les chantiers du gouvernement, notamment le Pacte pour la compétitivité, la croissance et l’emploi, la réforme du marché du travail, la modernisation de l’action publique, la réforme des retraites ». Quant à Jean-Marc Ayrault, il a déclaré « Il n’y a pas de surprise, nous sommes dans la droite ligne de ce qui avait été annoncé, et donc la France va respecter ses engagements, ce qui implique un certain nombre de réformes que nous ferons à notre manière. Si je pense à la réforme des retraites, ce n’est pas Bruxelles qui nous le demande, c’est parce que nous savons qu’il y a nécessité de sauver notre système par répartition ». François Hollande a fini par dire la même chose jeudi soir aux côtés d’Angela Merkel. Il a déclaré que la Commission « peut avoir confiance » dans sa volonté d’appliquer les « réformes structurelles » qu’elle exige.

Ces recommandations doivent encore être approuvées par le Conseil des chefs d’Etats et de gouvernement des 27 et 28 juin. Mais elles ne devraient pas changer ou alors évoluer uniquement à la marge. En effet, selon le traité budgétaire Merkozy, il est très difficile de s’y opposer. Pour cela, il faut rassembler une majorité qualifiée des Etats européens contre la Commission. Et le pays concerné ne participe pas au vote.

Le gouvernement français doit refuser ses recommandations. Et si ces recommandations sont validées par le Conseil des 27 et 28 juin, il faudra désobéir. La Commission a publié ses « recommandations » le 29 mai 2013. Huit ans jour pour jour après le « non » du peuple français au référendum du 29 mai 2005 sur le Traité constitutionnel européen. C’est une provocation de plus. Le peuple français doit être capable du même sursaut qu’à l’époque.


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