« La gauche socialiste renaît à chaque dérive droitière du Parti socialiste »

vendredi 31 mai 2013.
 

Interview réalisée par Rouslan Kostiouk, à paraître dans Rabkor, une revue social-démocrate de gauche (Moscou).

Rouslan Kostiouk : Il a toujours existé dans le Parti socialiste en France des courants de gauche. Quels sont les principales caractéristiques de cette gauche socialiste ?

Philippe Marlière : Il a en effet toujours existé une gauche dans la social-démocratie, à toutes les époques et dans tous les pays européens. De manière générale, on peut dire que la gauche social-démocrate a tendance à connaître un certain essor, à chaque fois que la direction et la majorité du parti sont accusées de « dérive droitière » par certains de leurs camarades. C’est le cas de Marceau Pivert qui crée la tendance Gauche révolutionnaire dans la SFIO en 1935. Pendant les grèves de 36, devant les atermoiements et renoncements de Léon Blum et de Maurice Thorez, il lâche : « Tout est possible – y compris une révolution sociale ! » En 1979, peu après la victoire de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne, le Parti travailliste voit se développer une aile gauche militante, dont la plupart des membres sont issus de groupes trotskystes. Des cadres jusqu’alors modérés se radicalisent, tel Tony Benn. Ces travaillistes de la gauche radicale vont tenir le haut du pavé jusqu’au milieu des années 80, même s’ils échouent à prendre le pouvoir dans le parti. Dans le PS français, la réapparition d’une gauche socialiste politisée, structurée et influente à partir de la fin des années 80, a coïncidé avec le recentrage du PS après une première période de gouvernement. Les ténors de la Première gauche d’inspiration marxiste (Lionel Jospin, Jean-Pierre Chevènement, Jean Poperen) se sont dégagés d’une problématique révolutionnaire et socialiste pour composer avec le capitalisme. L’effacement de la composante de gauche radicale au sein de la majorité mitterrandiste a laissé un espace vacant ; ce qui a permis à des cadres et des militants plus jeunes de prendre la relève. Ce fut d’abord la création de la Nouvelle école socialiste (NES) avec Jean-Luc Mélenchon et Julien Dray, puis la Gauche socialiste (GS), où ils ont été rejoints par Marie-Noëlle Lienemann, Harlem Désir puis, plus tard, Gérard Filoche.

RK : Au Congrès de Toulouse du Parti socialiste est apparu « Maintenant la Gauche », un nouveau courant de gauche. Quel est le potentiel de ce courant dans le PS et quel rôle peut-il jouer dans ce parti ?

PM : Maintenant la gauche, courant issu du congrès de Toulouse (13,38 % des voix militantes) est le nouvel avatar de cette gauche socialiste. Il n’est pas le seul courant de gauche du PS à l’heure actuelle, puisque Un Monde d’Avance, dirigé par Benoît Hamon et Henri Emmanuelli ; une autre force de la gauche du parti, a fait le choix d’intégrer la motion majoritaire auprès d’Harlem Désir. Benoît Hamon est actuellement ministre et ses partisans sont donc dans l’impossibilité de critiquer directement l’action austéritaire du gouvernement. Quand ils le font, c’est d’une manière tellement diluée et cryptique que la critique est de faible portée. Maintenant la gauche a sauvegardé son autonomie, mais sans parvenir à retrouver la force et l’influence militante qu’avait la GS jusque 2002. En réalité, plutôt que de courants, il faudrait parler de conglomérats de militants réunis derrière des dirigeants, dans la logique bonapartiste de la vie politique sous la 5e république. Les courants militants, comme lieux d’affrontements idéologiques et programmatiques dans le PS, ont disparu depuis le milieu des années 90. Le seul courant vraiment organisé dans l’esprit du PS refondé à Epinay, c’est Démocratie et Socialisme, le groupe dirigé par Gérard Filoche, qui fait aussi partie de Maintenant la gauche. Dernièrement, Un Monde d’avance et Maintenant la gauche ont repris contact. Ils se sont mis d’accord sur un texte, puis des amendements pour préparer la Convention Europe du PS. Mais sans plus, pour le moment. La division d’une GS déjà faible est regrettable. La GS avait duré 14 ans (1988-2002). Depuis, un nombre incalculable de courants de gauche a vu le jour. Ces courants – que j’hésite beaucoup à nommer ainsi – sont éphémères et aléatoires ; signe du désarroi de la gauche socialiste. Ce sont les derniers à lutter de la sorte, car dans la motion majoritaire, cela fait longtemps que les logiques carriéristes ont remplacé la vie des courants.

RK : Les socialistes de gauche ne sont pas unis dans le PS. Benoît Hamon et Henri Emmanuelli ont choisi de rejoindre à la majorité du parti. Quel poids peuvent avoir ces socialistes de gauche à l’intérieur de la direction socialiste ?

PM : Je ne vois pas comment on peut aujourd’hui s’opposer aux politiques d’austérité mises en œuvre par le gouvernement Ayrault, au suivisme vis-à-vis de l’Allemagne sur la politique européenne ou encore à la capitulation face aux marchés, et espérer peser au sein du gouvernement socialiste le plus à droite de son histoire. Il existe un tel décalage entre le discours militant de Un Monde d’avant et le choix de se fondre dans une majorité idéologiquement acquise à ce virage austéritaire. Que peut faire Benoît Hamon face à des Moscovici, Sapin, Valls ou hier encore, Cahuzac ? Je dis cela sans animosité vis-à-vis de Benoît dont j’apprécie l’engagement à gauche dans un parti qui l’est de moins en moins.

RK : Il y a 20 ans, le Mouvement des Citoyens, aujourd’hui renommé le Mouvement républicain et citoyen, était créé. Il est dans la majorité présidentielle tout en étant indépendant du PS sur le plan idéologique. Quel est le sens et l’impact de ce mouvement républicain de gauche issu de la gauche du PS ?

PM : La création du Mouvement des citoyens par Jean-Pierre Chevènement au début des années 90 a sonné le glas fin de la synthèse entre le marxisme et le républicanisme. A cela s’ajoutait la croyance dans les vertus jacobines d’un Etat-pilote de l’économie. Le choix de la rigueur de 1982, puis le « tournant européen » de Mitterrand en 1983 ont brisé cette approche. Le socialisme a rapidement été remisé aux oubliettes de l’histoire et c’est une vulgate républicaine qui a remplacé le projet de gauche du CERES. La tragédie de cette gauche « néo-républicaine », c’est qu’elle s’est appuyée sur une lecture Troisième république de l’idéal républicain. Bref, avec le Chevènement des MDC, on n’a pas eu de renouveau robespierriste à gauche – ce qui aurait pu être intéressant – mais à une vulgate rad-soc, nationaliste et laïcarde. Cette vulgate, je dois dire, est aujourd’hui la lecture majoritaire en France de cet « idéal républicain » dont tout le monde se réclame (ou presque), de la gauche radicale à Marine Le Pen. Chevènement nous refait le coup de Jules Ferry : de grands discours sur la laïcité en France et la promotion de politiques raciales et impérialistes dans les colonies françaises. Pour Chevènement, il s’agit d’une critique justifiée de l’Europe néolibérale, mais avec des relents nationalistes-chauvins épouvantables. Lionel Jospin a accusé Chevènement de lui avoir fait perdre l’élection présidentielle de 2002 en se portant candidat contre lui au premier tour. Je dirais que Jospin a perdu cette élection le jour où il a nommé Chevènement au ministère de l’Intérieur. Là, sa politique sécuritaire et « anti-sauvageons » a fait perdre à Jospin une bonne partie de la jeunesse des banlieues et de l’immigration. Ajoutons que la mouvance républicaine en France est devenue une nébuleuse ; un fourre-tout idéologique dans lequel on retrouve tout et n’importe quoi, de l’extrême droite à la gauche. Le thème de la république fournit un métadiscours omnibus à un personnel politique sans idées. A défaut de résoudre les problèmes les plus importants du moment (racisme, chômage, inégalités hommes/femmes), la parole néo-républicaine, souvent incantatoire et abstraite, a pour objectif majeur de donner des « repères » à ceux qui font encore de la politique, c’est-à-dire les classes moyennes et supérieures.

RK : L’histoire a montré que les tentatives créer une force crédible entre le PCF et le PS avaient jusqu’à présent échoué. Que penses-tu de l’expérience du Parti de gauche. Jean-Luc Mélenchon est devenu le dirigeant le plus visible et le plus connu du Front de gauche, mais en même temps le PG ne dispose pas la représentation parlementaire…

Le Front de gauche est un développement unique et remarquable dans l’histoire de la gauche française. C’est une confédération de 9 partis qui continuent d’avoir une existence propre. Il a permis au PCF d’enrayer un long processus de déclin et de se repositionner en partie dans le cadre d’une gauche combative et moderne. Le Front de gauche abrite aussi les déçus et les désespérés du sectarisme de l’extrême gauche : Lutte ouvrière, mais aussi le NPA ; qui avait pourtant un bel avenir devant lui en 2009, avant de se replier sur lui-même et de tout gâcher. Le Parti de gauche est également un cas de parti atypique : c’est à l’origine une scission de la gauche socialiste (Mélenchon, Dolez), depuis rejointe par des éléments de la gauche verte, républicaine, associative et marxiste. Le Parti de gauche, par son activisme et la politisation de ses membres, me rappelle les plus belles heures de la GS du PS ! L’absence de représentation parlementaire est bien sûr un problème pour le PG. Je dirai que pour le moment la faible représentation parlementaire du Front de gauche est le problème majeur, car il base son action sur un réformisme radical au service d’espérances révolutionnaires. Mais les choses peuvent évoluer très vite : qui aurait prédit l’effondrement du PASOK en Grèce il y a deux ans ?


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