TF1 et la manifestation du 5 mai : festival de mauvaise foi et de contre-vérités

samedi 18 mai 2013.
 

Avec Jean-Marc Ayrault sur TF 1 ce 5 mai 2013, on a eu l’impression d’un terrible divorce social avec les manifestants de l’après-midi. Plus qu’un désaccord, un abîme culturel.

Quand il s’agit d’information, le manifestant du Front de gauche est d’un naturel incrédule. Il n’y croit guère, mais il n’en rate pas une miette. C’est sa contradiction. Un peu comme un athée qui irait à la messe chaque dimanche. Pour notre part, nous nous sommes toujours refusé à instruire le procès des « médias » en général et, plus encore, celui des journalistes. Trop avertis que nous sommes de la complexité des rouages de l’information, de la pluralité des opinions, là comme ailleurs, ainsi que des effets en trompe-l’œil que peut produire une poignée d’éditorialistes. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que, dimanche soir, le manifestant incrédule du Front de gauche aura trouvé dans la grand-messe du « 20 heures » de quoi alimenter sa mécréance. Et nous avec lui.

Car on a rarement vu un tel festival de mauvaise foi et de contre-vérités. Ici, c’était une commentatrice qui ramenait la manifestation à « l’agitation de Jean-Luc Mélenchon », là, une autre qui soulignait combien l’offre de service du leader du Parti de gauche à Matignon faisait « sourire l’exécutif ». Un peu comme s’il s’agissait de l’assouvissement d’une ambition personnelle. Et puis, figure désormais classique, nous avons vu surgir le Front national dans une actualité où il n’était pas. Cela, sur le mode « les vrais gens sérieux sont de ce côté-là ». Moralité : quand Marine Le Pen manifeste, on en parle, et quand elle ne manifeste pas, on en parle aussi. Vous aurez remarqué que je n’ai encore rien dit de la bataille des chiffres. Nos « 20 heures » ont été sur ce point à la fois prudents et insidieux. « Ils étaient de 30 000 à 180 000 », a-t-on répété ici et là. Il faut remercier Manuel Valls de ne pas avoir décrété que les manifestants étaient cinq cents. Nos grands médias auraient affirmé qu’ils étaient « entre 500 et 180 000 ». Et que le téléspectateur se débrouille avec ça ! Foi de vieux journaliste, ils étaient bien 100 000, dimanche, en rangs serrés de la Bastille à la Nation. Du coup, dans cette rage de réduire l’événement à une plaisante randonnée de grincheux, ce sont les anti-mariage pour tous qui ont été bien servis. On nous a répété qu’ils « étaient 15 000 » dans leur sit-in sur le terre-plein central de l’avenue de Breteuil… Si « l’œil » de Manuel Valls a vu 15 000 personnes dans le VIIe arrondissement, il aurait bien dû en voir dix fois plus à l’autre bout de Paris. En vérité, on a presque honte de devoir s’étendre ainsi sur cette affaire de sous-évaluation de la manif du Front de gauche, mais peut-on laisser dire ?

Car si la manifestation de dimanche a été un succès considérable, c’est bien qu’il y a un débat entre « deux gauches » (appelons ça comme ça pour ne pas envenimer la polémique). À sa façon, Jean-Marc Ayrault l’a confirmé dans son entretien sur TF1, juste après le compte rendu de la manifestation. Au cours de ces quelques minutes, le Premier ministre a-t-il prononcé un mot, un seul, qui n’aurait pu sortir de la bouche de François Fillon un an plus tôt ? Hélas, non. Pas besoin pour le démontrer d’une longue étude sémantique. « Redressement du pays », « tenir le cap », « retrouver la croissance », « intensifier les réformes » : il n’y aurait sans doute pas à chercher longtemps pour trouver ce vocabulaire dans les discours de son prédécesseur à Matignon. Et que dire de l’annonce du désengagement de l’État « dans un certain nombre d’entreprises publiques » ? (EDF serait, dit-on, dans le collimateur). Et lorsque le Premier ministre s’est félicité du délai supplémentaire de deux ans accordé par la Commission de Bruxelles pour que la France ramène son déficit public à 3 % de la richesse nationale, c’était aussitôt pour mettre en garde les Français : ce sursis devra être mis à profit pour « poursuivre les efforts de réforme ». On sait ce que ce mot, perverti par l’usage néolibéral, signifie désormais. Et ce que l’on entend par « réforme des retraites » ou « réforme du marché du travail ».

Au total, on a eu l’impression d’un terrible divorce social avec les manifestants de l’après-midi. Plus qu’un désaccord, un abîme culturel. Jean-Marc Ayrault a plaidé le « réalisme ». Comme si les gens qui étaient dans la rue n’étaient pas condamnés au réalisme qu’exige la vie quotidienne. Les chômeurs – 300 000 de plus qu’il y a un an –, les travailleurs pauvres, victimes de la baisse du pouvoir d’achat, ne sont-ils pas « réalistes » ? Au fond, personne ne demande la lune. Juste que le président de la République tienne ses promesses de campagne. Pour toute réponse, on leur a fait le coup du mépris. Cela ne suffira pas à effacer le sentiment qu’une force existe qui va bien au-delà du Front de gauche. L’ébauche d’une alliance rose-rouge-verte, comme l’a appelée de ses vœux Eva Joly.


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