La marche du 5 mai, près des yeux, près du cœur

samedi 18 mai 2013.
 

Depuis la proposition de cette marche citoyenne le 5 mai, il y a cinq semaines, j’ai accompli un marathon médiatico-politique épuisant. Il ne s’est pas achevé avant le matin du 6 mai. Les mouches ayant changé d’âne, je peux donner mes impressions plus discrètement. La machine à diaboliser qui m’accompagne dorénavant en temps ordinaire et cherche dans chacun de mes mots une occasion de hurler à la mort, m’oubliera peut-être un instant. Et puis ce post est long. Il ne s’accorde aucune facilité. Il choisit donc son public hors des diners en ville et des bars mondains où se fabrique le bavardage politicien médiatique.

Bien sûr c’est la fin de la première année du quinquennat de François Hollande. Bien-sûr c’est le début d’un second temps de sa présidence qui sera sans doute encore plus destructeur socialement que le précédent. Mais ces anniversaires sont aussi ceux des étapes de notre action. La marche du 5 Mai est un point de départ pour ouvrir l’année numéro deux du quinquennat. Je vise ici l’organisation des « répliques » populaires en région de la marche nationale que nous ferons dans le premier week-end de juin, comme nos camarades espagnol et portugais. Je vise aussi les assises politiques du 16 juin.

Et je pense au lien qui unit les deux. Je veux y revenir avant de reprendre le cycle des post au long cours qui m’amènent ici en votre compagnie, toute l’année. Que mes lecteurs excusent le ton abstrait de mes lignes. Il signale la raideur des doigts revenus sur le clavier après une trop courte pause.

Nous étions en région parisienne dans une période de vacances scolaires. Voilà l’écueil principal qui pesait sur la date de ce rendez vous. Sont donc venus marcher ceux qui ne sont pas partis en vacances. Parmi les absents je sais bien quel nombre aurait pu être des nôtres. Mais, du coup, ceux qui se trouvaient là étaient d’autant plus visibles. Ce fut un révélateur. Le grand nombre des « sans parti » mais pas « sans engagement » s’est déplacé. C’est lui qui fait l’essentiel des participants franciliens. La bigarrure des peaux et des âges, la visibilité des gueules cassées, la simplicité et le noviciat des marcheurs me frappa.

Combien de cortèges sans bannière, sans mot d’ordre, découvrant les slogans et apprenant à les reprendre en riant comme embarrassé par l’audace !

La foule allait son chemin à bon rythme, qui au milieu de la chaussée, qui sur les trottoirs en rangs serrés, marchant du pas de ceux qui vont quelque part pour un rendez-vous important. On défila près de cinq heures. Il faut dire que beaucoup avaient eu une patience admirable.

Des heures d’attente place de la Bastille sous le soleil avaient eu raison des disciplines. Les groupes partaient par vagues sur les trottoirs doublant le carré de tête de la marche avant qu’il ne s’ébranle. Il est vrai que celui-ci était fort en retard sur l’horaire du fait des discours puis de l’obstruction absurde du mur des photographes et de quelques provocateurs médiatiques à l’affut d’un incident d’exaspération. Les marcheurs se hâtaient parfois plus que de raison du fait des horaires de retour en train ou en car.

De toutes les régions en effet l’endurance fut exemplaire. Partis de loin, souvent, et très tôt pour tenir l’horaire de départ du cortège, il était imposé à nos cars de se regrouper aux entrées de Paris. Une fois là, ce fut pour découvrir qu’il n’y avait aucune escorte prévue au contraire de ce qui s’était pratiqué dans le passé et pour d’autres plus récemment. Ces haltes après de tels trajets puis le piétinement sous le soleil place de la Bastille auraient eu raison du calme et de la discipline de bien d’autres. Pas des nôtres. Tout fut enduré sans un seul incident.

Au contraire : ce qui se voyait, s’entendait, de façon si contagieuse et jusqu’à la jubilation, c’était le caractère joyeux de la marche. Comme si c’était pour chacun un soulagement d’avoir réussi une démonstration de force dont tous avaient fait une affaire personnelle. Et comme si c’était un réconfort de constater combien d’autres vivaient comme soi le bonheur de se retrouver. On m’a raconté qu’il y a eu beaucoup de larmes d’émotion dans les cortèges au départ puis chemin faisant en entonnant à plein poumons ces innombrables « Internationale » et « Marseillaise ». Dans les transports du retour les nôtres n’en finissaient plus d’user leur dernière énergie à se congratuler et à récapituler.

Cette joie est un signal du haut niveau de conscience politique que tous avaient de l’enjeu de notre réussite. J’en avais déjà d’innombrables témoignages par les conversations de réseaux sociaux et par la force des ripostes qu’on y observait contre les grossiers dénigrements de fin de semaine du parti médiatique et des répétiteurs des agences solfériniennes. Le grand nombre du tout venant, comme les militants, savaient qu’ils participaient à un évènement totalement inédit. Et que la démonstration de force un an après le deuxième tour de l’élection présidentielle avait le contenu d’un message politique de première importance.

Vivre de tels instants ne laisse indemne aucun de ceux qui s’y sont impliqués. D’une manifestation les participants tirent une part spéciale d’énergie. Dans de telles circonstances, en premier lieu, on s’identifie. Non par rapport aux autres, cela va de soi, mais devant son miroir intime. Je veux dire qu’on affirme qui on est à ses propres yeux. Cela d’autant plus fortement qu’on reçoit du spectacle des autres participants une confiance en soi et une image de soi plus nette qu’on ne l’avait en arrivant. La manif ravive vos couleurs de toutes les façons possibles. La marche vous conforte. « Les jeunes sont là, se disent les anciens, nous n’aurons donc pas lutté pour rien ». Les plus jeunes voient leurs anciens et se sentent enracinés dans leurs convictions.

Les femmes se découvrent nombreuses, de tous âges, elles observent les dirigeantes et animatrices du mouvement, mêlées aux hommes, et dirigeant maints cortèges. Elles en tirent un ressourcement d’énergie et une confirmation rassurante. Tout cela beaucoup d’entre vous le savent et peut-être se reconnaissent-ils personnellement dans mes lignes. Mais je veux aussi évoquer un autre effet.

Je veux relever celui qui s’opère sur les militants politiques chevronnés et singulièrement sur ceux qu’on appelle « les dirigeants ». Un ami me racontait il y a peu que selon lui je serais devenu un « autre homme » après le meeting du « non » à Toulouse, en 2005. Je ne dis pas que cela aura suffi à me faire basculer, mais je ne peux nier la part que cela y prit. La ferveur consciente que j’ai lu alors dans les yeux de ceux qui escortaient d’acclamations notre entrée dans la salle ne ressemblait à rien des scènes comparables que j’avais pu vivre dans mon parti à l’époque. Ce mélange si subtil que l’on ressent dans cette circonstance entre la conscience politique éclairée que l’on voit dans les yeux des autres et la forme physique du bruit, des clameurs, des mains qui se tendent en même temps, fabrique une sorte de communion humaine et intellectuelle qui ne se réalise que dans cette ce moment là. Voici le résultat : on sait. J’ai su que j’étais de retour chez moi. J’écris « de retour » parce que le sentiment de l’éloignement qui s’est opéré vous assaille crument à cet instant. C’est une sensation voisine de celle que l’on ressent lors de retrouvailles. La perception du temps passé et parfois perdu, cette distance réelle, s’impose en quelques secondes à voir le visage retrouvé. J’ai écrit pour la « Nouvelle Revue Socialiste » de l’époque un article sur ce thème. Il s’intitulait « la dimension invisible du « Non ». Ou en ai-je encore une copie ? Je décrivais comment cette communion là était nécessairement en même temps une rupture avec le monde d’où je venais. Pendant la marche, je scrutais les yeux et les visages des militants d’Europe Ecologie les Verts qui nous accompagnaient de plain-pied. Et surtout ceux des jeunes dirigeants. Je crois que plus d’un à cet instant a ressenti ce que j’avais vécu alors. Le retour en famille.

Quand on est de gauche, on est du peuple. On est bien quand on fait peuple tous ensemble. Le contact de cette masse brulante, entièrement politisée, est une déflagration intérieure. Hier tu te sentais si seul, si moqué dans ton milieu politique bien-pensant et conforme, tu finissais par croire que la lutte des places était la voie normale par où passait pour demain ou après demain l’avancée de tes idées, tu croyais tout le reste dérisoire. Et soudain tu découvres que cette flammèche que tu cachais au fond de ton esprit est un brasier tout brulant de mille belles flammes parmi tous ces gens ! Les dizaines de milliers de manifestants qui sont là ressourcent leurs porte-paroles comme ils n’en n’ont pas idée, que ceux-ci en soient conscient ou pas. Il en est de ce contact, en quelque sorte, comme de certains baisers ou de certains regards qui vous infligent de nouvelles certitudes dans vos relations. Par exemple. Je pense me faire mieux comprendre avec cette comparaison même si elle paraitra d’abord à la fois romanesque et loin du sujet.

Cette alchimie affecte d’abord ceux qui sont là présents physiquement. Mais elle touche aussi ceux qui regardent de loin, devant leurs écrans de télévision ou d’ordinateur. Ils aimeraient tellement être sur place ! Souvent ce sont des contingences matérielles qui les ont retenus. Mais ils palpitent à l’unisson. Avides d’informations, ils butinent d’une chaine de télévision à l’autre, désolent leur entourage qui les voit cloués devant l’écran, commentent avec d’autant plus de rage et d’intransigeance qu’ils se sentent frustrés de ne pas être dans l’action. Parfois, ceux-là doivent aussi subir les commentaires des entourages, dès fois encourageants d’autre fois hostiles. La diffusion d’émission en continue sur « BFM » et « I Télé » est un formidable accélérateur de discussions imprévues dans les dizaines de bistrots, par exemple, où ces chaines sont calées en permanence. Ces médias là font davantage pour le débat public que les petites coteries des donneurs de leçon prétentieux d’une certaine presse écrite officialiste.

Ces descriptions m’amènent là où je veux venir maintenant. La marche transforme ceux qui s’y impliquent, quel qu’en soit le mode. J’ai mis en scène beaucoup d’effets physiques ou subliminaux. Mais l’évènement est loin d’y être réduit comme on le sait. Si je les ai évoqués c’est pour mieux montrer la profondeur de la trace qui se joue dans cette circonstance. Pour mieux dire qu’aucun contre-effet médiatique hostile ne peut y atteindre. Ou alors seulement pour renforcer l’effet qui se construit dans l’évènement. Je ne dis pas qu’à la périphérie, des spectateurs plus éloignés et plus froids, en quelque sorte, la dissuasion des dénigrements médiatiques ne fonctionnent pas. Bien sur qu’elle le fait ! Mais l’effet n’a ni l’ampleur ni la profondeur de ce que la marche change dans l’esprit des participants et des sympathisants qui l’observent. Et l’enjeu à cette étape pour nous est aussi là. Sous cet angle, les indifférents ne nous intéressent pas. Je l’ai dit au Congrès du parti en citant le texte d’Antonio Gramsci sur le sujet. Ils ne fixent rien en mémoire sinon, vaguement, les préjugés qui leurs sont instillés. Mais ces préjugés seront le moment venu le point de départ du processus de « décillement » par où commence la prise de conscience politique dans notre méthode.

La conflictualisation que nous voulons provoquer pour créer de la conscience, le parlé « cru et dru » qui en est le moyen ordinaire, s’ancrent dans le choc intérieur que reçoit celui qui voit son préjugé percuté de plein fouet. Travail quotidien. La clarté des objectifs, le parlé clair débarrassent le message des ambiguïtés déprimantes qui le diluerait et le viderait de sa charge détonante. Ici la forme et le fond sont une seule et même réalité, un seul message. Rien de l’alchimie décrite plus haut ne peut commencer sans un haut niveau d’exigence politique clairement et franchement assumé. On conviendra qu’une marche pour un changement de régime qui annonce s’affronter à deux abstractions globalisantes telles que la lutte contre la finance et l’austérité constitue un pic en la matière. A cette étape de notre parcours, nous rassemblons en clivant, selon la vieille formule du mouvement ouvrier des origines. A nos yeux ce n’est donc pas en diminuant le niveau d’exigence intellectuelle et politique qu’on facilite la pénétration de l’influence et de l’autorité de notre parti pris. C’est l’inverse. A condition bien sûr de savoir doser et proportionner non pas le discours mais l’objectif à atteindre au moment donné avec ce discours. A cette heure nous construisons le socle social et électoral large de notre mouvement. Demain sera un autre jour, avec d’autres tâches et d’autres objectifs, plus proche du but à atteindre. Laissons à présent tout cela de côté. Voyons le résultat politique général de la journée et de son succès.

Le moment politique

A présent je vais aborder la question de la méthode pour la suite de notre action. Nous venons d’entrer dans la deuxième année du quinquennat. C’est une période nouvelle. Elle est va approfondir les méfaits de la précédente. Elle sera plus dévastatrice que la précédente pour le pays et les nôtres. La brutalité de l’explosion du chômage, le déferlement de la misère, la braderie des intérêts nationaux sous la forme des privatisations, l’abaissement devant le gouvernement Merkel, une nouvelle vague d’agressions contre les acquis sociaux comme les retraites vont dévaster notre paysage. De son côté, l’appareil médiatique « officialiste » va s’arcbouter pour défendre « la seule politique possible ». Sa violence diffamatoire va s’amplifier comme jamais. Il y aura beaucoup de peur et de résignation dans le commun, beaucoup de mépris de soi entretenu par tous les porte-voix déclinistes et politico-masochistes. Le temps sera dur. Raison de plus pour ne pas rester l’arme au pied. Nous allons déployer un plan de marche offensif. Il s’agit de maintenir sans cesse ouverte la possibilité pour le pays de changer de cap. De se tenir prêt pour une relève politique. Pour cela il faut en réunir les conditions. Cette mise en place vient de loin pour ce qui nous concerne. Elle s’ancre dans une méthode.

La première étape a été franchie au terme du cycle commencé avec la fondation du Front de Gauche s’affirmant et s’élargissant progressivement jusqu’à l’élection présidentielle. Celle-ci a ouvert une nouvelle séquence. Celle où nous avons franchi le seuil de crédibilité qui nous met en état de prétendre être une alternative politique pour notre pays. Encore fallait-il prouver que nous ne sommes pas juste un pauvre cartel de micro organisations, ni un effet champignon électoral. Ni un simple rouage des combinaisons du système politico-médiatique, ni un de ces aiguillons de confort qui font rêver les impuissants politiques. Il fallait prouver que sous le bombardement permanent des injures et des calomnies déversés par les médias de connivences nous parvenions à avancer dans l’opinion et que la confiance construite dans l’élection ne reculait pas mais au contraire s’enracinait.

Comprenons-nous bien. Cette preuve nous ne la devions à aucun juge extérieur à nous, à aucun institut de sondage, à aucune officine officialiste. Nous la devions à ceux que nous avons regroupés, aux quatre millions d’électeurs du Front de gauche de l’élection présidentielle. Je veux préciser davantage cette idée. Il ne s’agissait pas d’administrer cette preuve comme quelque chose venant « d’en haut » et d’une bonne communication politique. Il fallait que ceux qui ont commencé notre longue marche s’en convainquent entre eux. C’est ce commentaire que j’ai le plus entendu le soir du 5 mai. Combien m’ont dit : « moi-même j’ai été surpris de nous voir si nombreux ! »

Ainsi, le premier objectif de l’année après le deuxième tour de la présidentielle était que la force rassemblée à cette occasion par nous au premier tour ne se démoralise pas au point de se diluer. C’est le contraire qui s’est produit. Comment cela s’est-il joué ? Par l’action et les mobilisations politico-sociales que nous avons impulsées ou accompagnées au fil des mois. Avec le 30 septembre dernier et cette marche du 5 mai, nous en sommes à deux démonstrations de force. Et la force allant à la force, la marche du 5 Mai a prouvé que l’opération d’étouffement et de dénigrement des solfériniens et de leurs griots n’a strictement rien produit à l’endroit où se joue la partie réelle. Telle est notre technique d’éducation populaire de masse. Dans cette technique, les difficultés et les obstacles à surmonter sont des vaccins utiles et des matériaux fonctionnels pour construire le type de conscience collective dont nous avons besoin pour agir.

Par exemple, le venin médiatique craché à grand jet par « Le Monde », « Libération » et « le Nouvel Observateur » travaillent utilement les milieux qu’ils atteignent. La masse « prout-prout » se conforte dans ses préjugés ? Et alors ? N’exagérons pas l’audience des rubriques politiques de ces supports dans le pays. Sachons aussi que pour le reste de ce petit lectorat, il s’agit de gens instruits et cultivés. Nécessairement, beaucoup ont aussi parfois un sursaut de recul intellectuel. Aussitôt la prise est faite. Une fois le procédé médiatique diffamatoire perçu, une seule fois, le vaccin se diffuse et fait son œuvre. La méthode de la conflictualisation des enjeux politiques, c’est aussi un judo dans les consciences.

L’enjeu de la démonstration qu’il fallait faire dès le lendemain de l’élection présidentielle c’est évidemment de prouver que les objectifs de notre propre campagne vivaient toujours dans les esprits. Nous avons franchi cette étape. La marche du 30 septembre contre le traité européen a été exemplaire de la méthode que je viens de décrire. En dépit des duperies habituelles et des tours de passe-passe de communication du nouveau pouvoir, peine perdue, la conscience populaire et sa mobilisation n’ont pas fait défaut. Mais surtout cette première marche a permis que nous commencions à élargir notre mouvement dans une forme politico-sociale, unissant des partis des associations et des syndicats dans une même lieu dans une même action. Cette caractéristique est décisive ! Elle est une condition préalable du mouvement de fond qu’il nous faut construire et déclencher. Le 5 mai, de nouveau, sans que rien n’ait été sollicité, toute la fin de la marche était faite de drapeaux, ballons et bannières syndicales, exactement comme la tête de manifestation était composée des délégations des entreprises en lutte dans le pays. C’était décisif !

L’autre caractéristique c’est que cette capacité d’action autonome s’est construite à l’intérieur même de la nouvelle période ouverte par la présidence de François Hollande. C’est là la nouveauté totale dans l’histoire de la gauche. Du temps d’une présidence du PS une force populaire maintient son indépendance et affirme ses objectifs. Cela ne s’est jamais vu. Cela ne s’est pas construit sans discussion et surtout rien ne s’est fait à l’improviste. Combien de discussions, combien parfois de tensions ont accompagné cette maturation ! L’essentiel était tout au long de ces épisodes légitimes de rester unis. Certes tout a été rendu plus difficile, plus dangereux, par la meute écumante qui n’a cessé d’aboyer autour de nous. Quand on se souvient du pitoyable numéro de « Libération » sur les soi-disant problèmes de compte de campagne présidentielle à la veille de la marche du 5 mai, on sait de quelle niveau de hargne il est question. Je n’oublie pas non plus les abandons et les tirs dans le dos qu’il aura fallu subir dans ces circonstances et ils n’ont pas été très élégants. Mais en même temps, les chefs solfériniens se sont isolés autant par le contenu de leur politique que par leurs pratiques. Pire : le sentiment d’impunité où ils se sont crus parvenus en dépit de leurs violences, notamment contre nous, les conduit dorénavant à appliquer la méthode à tous ceux qui résistent si peu que ce soit aux désidératas de leur petite coterie. A preuve l’incroyable grossièreté de Manuel Valls traitant le président de l’Assemblée nationale de « démagogue » en raison de ses propos sur l’Allemagne de madame Merkel ! J’en reste à cet exemple pour ne pas répéter tout ce que vous savez déjà ce régime constant de brutalités politiques qui humilie à tour de rôle tous ses soutiens. Parlementaires, partis alliés, syndicats, chacun, l’un après l’autre aura été malmené, ridiculisé, autant en acte qu’en parole. Ils se sont même crus plus forts après chaque capitulation autour d’eux. Mais si diviser pour mieux régner reste une technique qui a son efficacité, elle suppose pour réussir des moyens qui ne sont pas réunis, loin de là.

En effet, le contenu de la politique menée empêche les « soutiens naturels » de fonctionner. Quel syndicat veut prendre en charge la politique d’austérité ? Quel parti veut partager la gloire des réalisations de Jean-Marc Ayrault ? Quelle association va exiger la diminution de ses subventions et se glorifier d’en avoir obtenu de plus drastiques que prévues ? Ces fractures-là libèrent des masses considérables de gens qui, vaille que vaille, doivent sortir de l’orbite des solfériniens. Cela compte cent fois plus que l’aide objective que nous apporte la gauche du PS en sapant de l’intérieur l’autorité de leur parti et de ses dirigeants. Evidemment cette aide nous est sincère et très précieuse et il n’est pas question d’en sous-estimer la portée. Elle légitime avec efficacité notre critique et notre travail sur les franges désorientées de l’électorat socialiste. Il est incontestable que le score très élevé que vont atteindre les amendements déposés par Gérard Filoche, Emmanuel Maurel et Marie Noëlle Lienemann contre l’Europe libérale peuvent ouvrir une belle brèche dans le mur construit par les solfériniens pour empêcher la libre circulation des personnes et des idées à gauche. On peut même raisonnablement parier qu’ils parviennent à être majoritaires comme je l’avais été en face de Lionel Jospin sur cette question européenne précisément. Mais si précieux que cela soit tactiquement, ce n’est pas l’essentiel. L’essentiel n’est plus depuis longtemps dans le rapport des courants du PS à la masse citoyenne. Pourquoi ce rapport serait-il de meilleure qualité que celui du parti tout entier avec le grand nombre ? C’est donc du grand nombre que tout vient et à qui tout retourne.

Du coup, ce qui est déterminant c’est bien le choc imposé par les solfériniens à toutes les forces sociales liées à la gauche politique dans l’histoire. En quelque sorte tout le monde doit se repositionner vaille que vaille sauf à être aspiré dans la dégringolade et la déchéance du parti et des hommes et femmes du pouvoir en place. La pente prise est donc à la dislocation d’un côté et à la réorganisation contrainte de l’autre. Le bilan à cette heure est le suivant : la majorité politique gouvernementale est divisée entre ceux qui sont pour ou contre l’austérité et l’Europe Merkel, de même, d’une façon ou d’une autre, dans le monde syndical, de même dans le monde associatif. Pendant ce temps, au contraire, nos moyens d’action, le niveau de conscience et d’éducation des nôtres se sont renforcés dans l’épreuve. Et cela en dépit de la démoralisation et de la résignation instillée partout par les solfériniens. C’est un point d’appui considérable dans la situation.

La date du 5 mai elle-même, selon les observateurs donnait son sens profond à notre marche. Elle serait un message en direction de Hollande un an après son élection. J’accepte cette lecture qui me convient d’autant mieux que la marche a été un succès énorme. Et de fait c’est bien ce qui s’est passé dans les médias. Et cela aussi me convient. Pour autant il ne peut être question d’accepter le contenu personnalisant que cette assignation implique. Ce n’est pas la personne de François Hollande qui est en cause et pas davantage celle de son translucide premier ministre. Nous ne devons pas perdre de vue quel était l’objectif initial. Le point de départ était d’organiser une riposte digne, citoyenne et politique à la déchéance de la démocratie créé à la fois par l’affaire Cahuzac et par la réponse présidentielle grotesque sur le registre « tous suspects d’être pourris ». De notre côté, en y ajoutant dès le départ la double consigne « contre la finance et l’austérité » nous avons achevé de dessiner notre tableau : nous travaillons à un changement de régime et de politique. Telle est notre ambition et rien ne doit la réduire. La force des applaudissements place de la bastille après mes paroles sur le thème du changement de régime ont bien montré le niveau d’exigence et de compréhension des marcheurs du 5 Mai.

On peut dire de cet objectif qu’il est révolutionnaire dans le contexte européen actuel. Non ? Surtout si l’on tient compte de l’abaissement de notre pays devant le gouvernement Merkel. Dès jeudi, après être passé à Bruxelles pour renouveler l’acte de capitulation et baiser la main qui nous frappe, François Hollande appellera les Français à collaborer avec les auteurs du coup d’état financier en Europe. L’acte II du quinquennat sera commencé. Si les mots ont un sens la stratégie qu’il faut déployer pour abattre ce dispositif doit être à la hauteur de la tâche. Dans notre cas il s’agit d’abord et avant tout de construire la masse critique populaire consciente capable de prendre en charge le travail à faire. Nous ne le faisons pas à l’aveuglette ou bien en consultant je ne sais quel copié collé de recettes d’un autre âge de l’action. Nous tenons compte des embûches observées dans des situations comparables. Notamment dans la dernière période en Amérique latine et dans le Maghreb. C’est dans cet esprit que s’inscrit notre plan de marche.

C’est le sens de cette première période, d’ici fin juin, qui comporte déjà plusieurs rendez-vous liés les uns aux autres. Deux temps principaux sont inscrits sur l’agenda spécifique du Front de Gauche. Cela ne veut pas dire que les autres rendez-vous déjà connus n’entrent pas dans notre trajectoire. Mais si le sens des rassemblements appelés pour l’amnistie sociale, la loi contre les licenciements boursiers, ou la marche des femmes contre l’austérité du 9 juin prochain sont évidents et portés par des collectifs, ce n’est pas le cas des consignes plus récentes. Je parle ici des « répliques » de mobilisations populaires à organiser sur le mode du 5 Mai en début juin en même temps que nos camarades espagnols et portugais. Et je parle des assises du 16 juin. Quel rapport entre les deux ?

Les marches citoyennes enracinent la base géographique de la mobilisation nationale réussie le 5 mai à Paris. Il faut y mettre du soin. Tous les dirigeants du PG se répartiront dans tout le pays. Je serai à Toulouse pour la marche qui est convoquée le 1er juin. Et sans doute en compagnie de Martine Billard à Amiens le lendemain. Et les assises ? Quelle place occupent nos Assises ? Il faut bien la comprendre. Elles sont essentielles. La brèche ouverte par nos marches est indispensable pour avancer. Elle est un préalable. Sans mobilisation populaire tout n’est que combinaison politicienne. Mais elle ne se suffit pas à elle-même. Il s’agit de construire un débouché politique large au fleuve que nous faisons naitre. Nos assises préparent les bases du programme qui pourrait coaliser des forces pour une alternative populaire de gauche au gouvernement Ayrault. Avons-nous une chance raisonnable d’avancer dans cette direction ? Oui mille fois. Et d’autant plus qu’on y travaille avec sérieux, souplesse, ouverture et sans esprit de récupération.

Rien ne démontre mieux l’articulation entre les marches citoyennes et leurs débouchés politiques que l’exemple donné par la participation d’Eva Joly et de ses amis à la marche du 5 Mai. Pour ma part j’attribue à ce groupe politique une bonne part du succès de la mobilisation. Ce n’est pas une affaire de nombre, même si dans ce cas il est tout simplement impossible à évaluer compte tenu du nombre des marcheurs sans attache partisane particulière. Je pense donc pour résumer mon idée qu’il était d’autant plus facile de venir à cette marche qu’on la savait aussi appelée par Eva Joly, en quelque sorte. Cette appréciation s’applique à tous les marcheurs en général. Dans l’implication d’Eva Joly il y a un diagnostic très dur sur la situation. Elle l’a présenté sans détour dans son discours sur place. Ses amis les plus proches, loin de se fondre dans la foule ont marché en cortège avec une banderole. Ils se sont rendus visibles et ils ont été applaudis tout le long du parcours. On connait la réplique des appareils politiques. Elle s’exprime comme une menace à travers la rumeur répandue par quelques agents d’influence aigres et malveillants dans les médias moutonniers. Eva Joly n’aurait fait tout cela que pour une place dans nos listes aux élections européennes. Sous-entendu : sa reconduction n’est pas assurée compte tenu de son choix à propos de la marche. Ici les solfériniens n’innovent plus beaucoup. A noter que les mêmes ramasseurs de rumeurs n’auront pas pris le temps d’enquêter sur le contact organisé par Matignon, ni sur ses offres, pour dissuader Eva Joly. Recopier les ragots est facile. Travailler est dur. Naturellement il n’a jamais été question de ce sujet entre nous et elle, ni avec aucun de ses proches. Eva Joly est une partenaire centrale sur laquelle nous espérons pouvoir compter pour nos Assises. D’autant que la direction d’Europe-Ecologie les Verts s’y associera sans doute aussi. Certes la gauche du PS est restée inexistante à propos de la marche. Courageux mais pas téméraires les camarades. C’est assez banal. Peut-être parce qu’ils ont craint les réactions des marcheurs. Dans ce cas ils auraient tort. Quoiqu’il en soit les dirigeants participeront eux aussi aux Assises. Le but n’est pas « d’élargir » le Front de Gauche. Ni bien sûr, non plus, à l’inverse, on le devine, d’aller apporter de l’eau au moulin d’hypothétiques partisans de notre inclusion dans le dispositif gouvernemental. Au contraire. Il s’agit de se demander comment sortir de la politique d’austérité en France et en Europe. Et, à partir de là, on comprend qu’on peut préfigurer l’arc de forces politiques qui serait prêt à s’investir dans cette « autre politique », en rupture avec le cours actuel. Dans ces conditions, les marches citoyennes jouent le rôle de défricheuses de futur autant que de déblayeuses du présent. Marches et assises sont les deux volets d’un même parcours politique en vue de la révolution citoyenne.


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