Le PS légitime Rached Ghannouchi personnalité internationale de l’islamisme radical

mardi 19 février 2013.
 

Ma tournée a été percutée en Tunisie par deux événements. Le premier est la déclaration de Valls contre « les fascistes islamiques » qui a mis à cran les violents et quelques éléments éparpillés filmés en gros plan par ceux qui aimeraient tellement que la révolution tunisienne soit islamiste et sauvage. Puis ce fut le gros faux pas d’une visite officielle de chefs du PS à l’Assemblée nationale française au chef du parti islamiste Ennahda, Rached Ghannouchi, au siège du parti de celui-ci. J’ai dénoncé cette rencontre. Le PS m’a alors accusé de lui faire un mauvais procès : il n’aurait fait que rencontrer toutes les forces parlementaires dans un but d’information. Je veux vous faire connaître mes arguments. Ils tiennent tant à la nature de cette rencontre, qu’au contexte tunisien et à la personnalité de Rached Ghannouchi. Je propose une explication pour un acte aussi incroyable venant de personnalités socialistes dont je ne discute certes pas l’attachement aux principes républicains.

Voyons leur rencontre elle-même. S’il s’agissait bien d’accomplir une simple mission d’information en rencontrant toutes les forces parlementaires, pourquoi la délégation conduite par le PS a-t-elle choisi de rencontrer Rached Ghannouchi, alors qu’il n’est pas parlementaire ? Pourquoi n’a-t-elle pas préféré rencontrer le président du bloc parlementaire d’Ennahda au sein de l’Assemblée Constituante, Sahbi Atig ? Ou le premier ministre Jebali, secrétaire général d’Ennahda ? Ou un de ses ministres, qui sont nombreux dans les rangs d’Ennahda ? Et s’il s’agissait juste de s’informer de manière neutre pourquoi avoir offert officiellement un cadeau à Ghannouchi ? Et pourquoi avoir médiatisé une rencontre tenue dans le bureau de ce dernier, avec prise de photo officielle ? Aucune réponse claire n’a été donnée pour le moment à toutes ces questions. Le choix de rencontrer Ghannouchi dans ces conditions est, à mes yeux, doublement problématique compte tenu de ce qu’il représente personnellement et du positionnement politique très particulier qu’il occupe actuellement sur la scène tunisienne.

Rached Ghannouchi a une histoire qui mérite d’être connue. Co-fondateur d’Ennahda sous l’influence des Frères musulmans, il a passé l’essentiel de sa vie en dehors de la Tunisie. En exil à Londres, mais aussi en Egypte, en Arabie saoudite, au Qatar, au Soudan, où il s’est lié étroitement avec le prédicateur Hassan Al Tourabi et le président Omar El Béchir, au point de disposer d’un passeport diplomatique soudanais. Et en Algérie où il a été conseiller politique du FIS et de son leader Abassi Madani à partir de 1990. VRP international du FIS, il avait organisé notamment les relations de ce mouvement avec l’Arabie Saoudite et le Quatar. Ghannouchi est donc une personnalité internationale de l’islamisme radical autant que tunisienne.

En Tunisie, il est réputé pour son aptitude au double langage. Par exemple dans son rapport à la violence politique. S’il ne prône jamais directement la violence, il se refuse toujours à la condamner quand elle vient de militants de son parti et des groupes salafistes qui gravitent autour de lui. Il se refuse par exemple toujours à condamner l’action des miliciens des "Ligues de protection de la révolution" qui attaquent depuis plusieurs mois des réunions politiques et des manifestations culturelles. Chaque fois il dénonce des provocations extérieures pour transformer les coupables de violences en victimes. Ainsi lors du lynchage mortel de Lotfi Naguedh, responsable régional du parti Nidaa Tounes, il a affirmé que la foule avait été provoquée. Ou lors de l’attaque du siège de l’UGTT le 4 décembre dernier (qui a fait 10 blessés dont des membres du bureau exécutif) en plein Tunis, il a aussi accusé le service d’ordre de l’UGTT de provocations et appelé à des perquisitions au siège de l’UGTT qu’il a accusé de détenir des armes. Pour mieux disculper une nouvelle fois les milices de "protection de la révolution" qu’il a alors présentée comme "les consciences de la révolution" en dénonçant ceux qui en réclament la dissolution, y compris dans son propre parti. Il a tenu la même ligne après l’assassinat de Chokri Belaïd, sa première réaction étant de dire qu’en fait c’était le parti Ennahda qui était victime de l’assassinat. Révoltant ! Ainsi pour beaucoup de démocrates tunisiens, Ghannouchi est ainsi la caution politique et médiatique permanente des violents.

Quant à ses positions de fond, elles sont aussi formulées dans la technique du double langage. Il s’affiche d’un côté en grand défenseur de la révolution tunisienne et prétend vouloir respecter l’acquis moderniste de la Tunisie et notamment le code du statut personnel qui garantit les droits des femmes. Mais il accepte lui-même d’intervenir dans des meetings d’Ennahda où les femmes sont séparées des hommes. Il prône un durcissement des poursuites contre le blasphème et les atteintes au sacré et défend les actions de ceux qui font la chasse aux "mécréants" en attaquant des réunions politiques de l’opposition. Visant les Tunisiens francophones, il qualifie le français de "pollution linguistique". Ces exemples montrent que son projet politique global n’est pas compatible avec une démocratie pluraliste et respectueuse de la liberté de conscience. Il l’a d’ailleurs confirmé dans des vidéos de rencontres privées avec des militants salafistes où il explique qu’il faut extirper les laïques de la Tunisie dans l’armée, la police, les médias et l’économie. Et il y prend l’exemple de l’échec des islamistes en Algérie en 1990-1991, qu’il connait bien puisqu’il était leur conseiller, pour inviter ses interlocuteurs à la vigilance face au camp laïque. Le jour même où je quittais la Tunisie, il déclarait à la télévision que « tous ceux qui s’opposent au gouvernement dirigé par Ennahda sont des ennemis de la révolution et des contre-révolutionnaires ». Il prétend ainsi opérer une captation de l’autorité révolutionnaire d’autant plus insupportable que ni lui, ni Ennahda, n’ont joué le moindre rôle dans la chute de Ben Ali en janvier 2011.

Venons-en maintenant au contexte dans lequel le personnage évolue en Tunisie. La ligne Ghannouchi est fortement discutée au sein même du mouvement Ennahda. Alors même que la délégation parlementaire conduite par le PS rencontrait son leader sulfureux, le numéro 2 de ce parti, Abdelfattah Mourou, fondateur lui aussi du mouvement, appelait au départ de Ghannouchi en des termes particulièrement virulents dans un entretien publié par Marianne : « Rached Ghannouchi doit quitter Ennahda ! il mène le parti et le pays au désastre ! » […] « Les salafistes m’ont agressé et Ennahda ne m’a pas défendu. Je dénonce le laxisme qui a permis toutes ces violences. Je dénonce ce qu’on est en train de faire de la mouvance islamiste. Elle est mon œuvre ! Ce que je demande, depuis le début, c’est l’islam dans son essence. L’islam sans développement civilisationnel et sans croissance, ce n’est pas l’islam. La culture de Rached Ghannouchi et de ses partisans est une monoculture. Or nous sommes multiculturels en Tunisie, nous sommes le produit de 25 civilisations. Quand un prédicateur saoudien est venu avec des petites filles voilées, je lui ai dit : ce que vous faites en Tunisie n’est pas acceptable pour les Tunisiens. Je lui ai dit cela à la télévision » Cette prise de position du numéro 2 d’Ennahda intervient alors que le premier ministre issu du même parti est lui-même entré dans un bras de fer avec Ghannouchi pour imposer un gouvernement de personnalités indépendantes qui remplaceraient notamment les ministres régaliens membres d’Ennahda. Refusant un tel gouvernement, Ghannouchi a appelé à une manifestation nationale samedi à Tunis pour affirmer la légitimité populaire d’Ennahda à diriger le pays. Un manifestation qui fut un échec puisque seulement 15 000 personnes se sont rassemblées à Tunis autour de Ghannouchi, entouré pour l’occasion de responsables salafistes et de députés de l’aile dure de son parti, dont un énergumène qui a réclamé à l’Assemblée l’interdiction de la vente d’alcool en Tunisie.

Selon moi donc dans ces conditions, une délégation parlementaire française avait tout intérêt à ne pas afficher ce qui est une légitimation de fait dans cette situation de crise. Elle devait se contenter de rencontrer des responsables ayant une fonction institutionnelle dans les institutions tunisiennes. Elle devait donc éviter de rencontrer Ghannouchi. Pourquoi ne l’a-t-elle pas fait ? Parce que la veille Manuel Valls avait traité les islamistes de fascistes et souhaité la victoire de leurs adversaires aux prochaines élections. Problème : en Tunisie le parti frère du PS gouverne avec les islamistes d’Ennahda ! Ce que tout ce petit monde se garde bien de dire ici en France. La déclaration de Valls tombait en plein dans la période de crise gouvernementale. Elle revenait à dire que les parrains français lâchaient la coalition. D’où le grand numéro pour manifester le grand jeu du respect au chef d’Ennahda. On voit que ce n’est guère avouable. Comme d’habitude, le PS a joué le grand jeu de l’indignation. Rôle attribué comme chaque fois dans ce cas à quelqu’un qui est censé être de mon bord. Pour mieux montrer mon « isolement » et mes « outrances ». C’est en général le rôle principal des hamonistes sur la scène du débat de la gauche en dehors de la bataille contre les lasagnes au cheval. Ici c’est donc Pouria Amirshahi, député hamoniste des français de l’étranger dans cette zone, qui vint me jeter sa pierre. Rien que du banal. On attend juste qu’Amirshahi condamne la participation de ses camarades à un gouvernement avec les islamistes. Ça serait plus courageux, et surtout plus nécessaire.

1) PS / Ennahda : l’inacceptable rencontre

J’apprends avec stupéfaction qu’une mission parlementaire française dirigée par le PS a rencontré hier officiellement Rached Ghannouchi à Tunis dans le bureau de ce dernier.

Je déplore le soutien ainsi apporté à un parti d’extrême droite religieuse dont le chef n’a aucune fonction officielle dans les institutions tunisiennes.

Cette visite faite en accord avec les autorités françaises est un coup de poignard dans le dos des démocrates tunisiens.

C’est une faute politique de s’afficher ainsi aux côtés de M. Ghannouchi au siège du parti Ennahda, en plein tumulte institutionnel où ce parti d’extrême droite essaie de renforcer son emprise.

Sans doute cette rencontre a-t-elle pour sens de légitimer l’action du parti ami du PS, Ettakatol, qui gouverne avec Ennahda. On mesure dorénavant toute l’hypocrisie des déclarations de Manuel Valls sur le "fascisme islamique" en Tunisie. Et la totale incompréhension par le PS du sens de la révolution citoyenne tunisienne.

Communiqué de Jean-Luc Mélenchon


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message