Si le Mali m’était conté

jeudi 24 janvier 2013.
 

Hollande avait à peine fini de parler quand j’ai écrit mon communiqué à propos de l’intervention au Mali. On devine que j’ai pesé mes mots. On comprend aussi après ce que je viens de raconter ce que sont devenues toutes les nuances de ce que j’ai écrit : une transcription en noir et blanc. Qui n’est pas pour sans condition, sans réserve, sans question, sans mémoire et sans prédiction défavorable est donc contre. C’est-à-dire pour laisser faire. Donc pour la prise de Bamako par les terroristes, pour la charia, les supplices publics et l’asservissement des femmes. A moins qu’étant opposé à tout cela, mais sans me mettre au garde à vous, je sois seulement un inconscient des réalités de notre temps « dans-le-monde-qui-change-et-où-il-faut-défendre-les-frontières-de-la-démocratie-et-des-droits-de-l’homme-et-surtout-ceux-des-femmes » devant chaque pick-up rempli de barbus. Amen !

Ceci étant mis en facteur commun contre tout ce que je vais écrire à présent, voyons ce que j’ai osé dire, dix minutes après que Hollande a parlé. J’ai affirmé que l’intérêt d’une telle intervention pour régler le problème posé au nord de ce pays était discutable. Puis j’ai ajouté que l’intérêt de mener cette opération alors que les intérêts fondamentaux de la France ne sont pas en cause, selon le président lui-même, est très discutable, à moins de se proclamer Zorro de la planète. D’autant plus discutable qu’il y a des armées africaines très professionnelles dans le secteur. Puis j’ai conclu en notant que le fait de décider cela tout seul sans saisir le gouvernement ni le parlement est condamnable. Ce sera mon plan pour poser ici quelques arguments qui valent la peine de marquer une pause dans la marche au pas des esprits et des commentaires.

La légalité internationale de l’intervention d’abord n’est pas aussi assurée que le gouvernement veut bien le dire. Contrairement à ce qu’affirment nombre de médias sans l’avoir vérifié, cette intervention n’a été ni autorisée a priori, ni validée a posteriori par l’ONU. Les paragraphes 10 et 11 de la résolution 2085 de l’ONU, demandaient d’ailleurs expressément aux parties engagées dans la planification militaire des opérations (Cédéao, Union africaine, pays voisins du Mali, autres pays de la région, partenaires bilatéraux et organisations internationales) de retourner devant le Conseil de sécurité « avant le lancement des offensives ». Or cela n’a pas été fait. C’est même l’ambassadeur de France auprès des Nations Unies, Gérard Arnaud, qui l’a avoué. Il admet lundi 14 janvier que l’intervention est une « opération française d’urgence » et pas encore une mise en œuvre de la Résolution 2085. Et il ajoute que la question de savoir comment passer de l’une à l’autre est « une vraie question ». En effet, c’est un problème sérieux de savoir comment mettre en conformité une opération militaire française avec une mission internationale dont le nom même induit un commandement africain. La seule intervention pour laquelle l’ONU a clairement donné un mandat est celle d’une mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine, dite MISMA. Pourtant, de l’aveu même de l’ambassadeur français à l’ONU après la réunion qui s’est tenue à huis clos lundi 14 janvier et qui n’a donné lieu à aucune nouvelle résolution, les contingents africains n’étaient toujours pas arrivés à Bamako trois jours après le début de l’intervention. Notons que, dans les premières heures, l’orchestre médiatique affirma pourtant en boucle que l’intervention se faisait avec la participation de troupes africaines. Notez : en temps de guerre les informations pipeautées circulent vite et beaucoup par le biais des réseaux d’intoxication communicationnels, de la flemme, du panurgisme et de « l’ubris militaris ».

Les inconditionnels de l’opération « Serval » invoquent l’article 51 de la Charte des Nations Unies qui prévoit un droit de défense légitime en cas d’attaque armée d’un pays membre. Or la légitimité de l’appel des autorités provisoires du Mali à une intervention française est aussi discutable : l’actuel gouvernement du pays n’est pas un gouvernement démocratique mais le résultat d’un coup d’état mené en mars 2012 par le capitaine putschiste Sanogo. Ce dernier impose maintenant ses décisions au président par intérim Dioncounda Traoré. Pour l’heure, aucune date n’est fixée pour la tenue des élections qui devaient avoir lieu en 2012. Il nous est donc non seulement permis d’affirmer que la légalité internationale de cette intervention est discutable mais aussi que la légitimité de l’appel à l’aide du gouvernement Malien fait problème.

Mon communiqué affirmait ensuite que la décision d’intervenir alors que les intérêts fondamentaux de la France ne sont pas en cause est discutable. C’est le Chef de l’Etat lui-même qui l’a dit dans son allocution en affirmant que « la France sera toujours là lorsqu’il s’agit, non pas de ses intérêts fondamentaux, mais des droits d’une population ». J’espère bien que ce n’est pas la nouvelle doctrine diplomatique de la France. On peut d’ailleurs discuter sa thèse à plusieurs titres : de quels droits s’agit-il ? Et de quelle population ? Les groupes armés ne sont-ils pas une menace pour les intérêts fondamentaux du pays et pour les ressortissants français au Mali en particulier ? Passons la maladresse du discours du Chef de l’Etat et ses implications, n’est-il pas troublant que le « Canard enchaîné » suggère que le Qatar aurait pu fournir un appui financier, voire des forces spéciales, à certaines factions rebelles au Nord Mali pour former leurs recrues ? De cela au moins nous aurions aimé discuter.

Pour finir, mon communiqué condamnait une décision prise par le seul Chef de l’Etat sans consultation préalable du Parlement et sans réunion du Gouvernement. Plus qu’ailleurs, ces instances doivent avoir leur mot à dire dans le domaine des interventions des forces armées à l’étranger. C’est d’ailleurs la substance d’un amendement (n°292) qu’avaient soumis les membres du groupe socialiste (signé par deux ministres actuels, Montebourg et Valls, et par l’actuel président du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale, Bruno Le Roux) au moment de la révision constitutionnelle de juillet 2008. Ils souhaitaient alors que « le Gouvernement informe le Parlement des interventions des forces armées à l’étranger dans les trois jours qui suivent le début de celles-ci », qu’il « précise les objectifs poursuivis et les effectifs engagés » et enfin qu’il soumette « ses propositions au vote des deux assemblées dans les deux semaines qui suivent leur information ». Ils motivaient cet amendement en expliquant que « dans une logique démocratique avancée, il est nécessaire que le Parlement se prononce par un vote ». Les socialistes ont peut-être changé d’avis, moi pas.

En décidant seul, sur le fil de la légalité internationale, de déclencher cette opération, François Hollande expose le pays au risque d’un enlisement qu’il faut à tout prix éviter. Il est capital, au moment où nous sommes en train de partir d’Afghanistan, que les armes se taisent le plus rapidement possible et que notre pays ne soit pas engagé dans une nouvelle « guerre contre le terrorisme ». Les Bush, père et fils, leurs faucons, l’intervention menée par l’OTAN en Libye, nous ont appris qu’une guerre menée contre un concept relevait d’une illusion impériale qui ne conduisait jamais qu’au malheur.

A) Communiqué de Jean-Luc Mélenchon A propos de l’intervention au Mali 11 janvier 2013

L’intérêt d’une intervention militaire extérieure pour régler le problème posé au nord du Mali est discutable.

En décider alors que les intérêts fondamentaux de la France ne sont pas en cause, selon le chef de l’Etat lui-même, et alors que les troupes africaines sont engagées, est discutable.

En décider seul, sans en saisir préalablement ni le gouvernement, ni le Parlement, est condamnable.


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