A propos des censures du Conseil constitutionnel, par Patrick Le Hyaric

dimanche 13 janvier 2013.
 

Pour Patrick Le Hyaric, Directeur de l’Humanité, Député européen, Vice-président du groupe de la gauche unitaire européenne, les dernières décisions du Conseil constitutionnel posent beaucoup de questions qui méritent d’être méditées. Bien au-delà de la petite écume médiatique qu’on nous envoie au visage.

La censure de la taxation à 75 % pour les revenus de plus d’un million d’euros a été l’objet d’une émotion légitime de l’immense majorité des contribuables, lourdement sollicités par l’effort fiscal.

Mais, « de l’autre côté du périph », dans les « beaux quartiers », nul doute qu’elle a été l’occasion de sabrer le champagne au-delà des fêtes de fin d’année.

L’annulation de cet élément de justice, même si sa portée est limitée, est d’autant plus amère comparée aux 20 milliards de recettes fiscales supplémentaires attendues pour 2013 sur la base d’un accroissement des impôts indirects et injustes, notamment, de la TVA et les taxes sur les carburants. Au moment même, où en ce début janvier, les familles populaires devront payer plus cher le gaz, l’électricité, les transports, les timbres, la redevance télé, etc…

Elle est odieuse si on la met en rapport aux 20 milliards d’euros de crédit d’impôts, programmés sur trois ans, octroyés sans aucune contrepartie aux entreprises. La ristourne fiscale de 30 et 40 millions d’euros faite au fossoyeur des hauts fourneaux de Florange en fait partie. Elle est comme un emblème de ce qu’il ne faudrait pas faire pour redresser le pays et l’emploi. C’est sans doute pour cela que cet élément n’est pas à la une des journaux radios-télévisés ? On préfère nous passer le mauvais film de ceux qui cherchent la nationalité belge ou russe. Faut-il en rire ou en pleurer ?

Ajoutons qu’entre la proposition portée par le candidat Hollande et le vote du budget, la disposition présentée comme emblématique « de gauche » avait déjà été peu à peu vidée de sa substance. Les sportifs et les artistes devaient être partiellement exonérés. Certains revenus exceptionnels aussi plus tard. Il a même été envisagé de limiter la somme à 2 millions d’euros pour un couple.

Rappelons aussi que pour être assujetti à cette tranche de 75%, il faut gagner au moins…. 60 fois le SMIC.

Le Conseil constitutionnel creuse les déficits en exonérant le capital.

Un débat s’est engagé sur le montant des « coups de canif » du Conseil constitutionnel au projet voté par le Parlement. Il constitue un manque à gagner de 500 millions d’euros selon le gouvernement, ou de 700 millions d’euros selon d’autres sources. Combien d’instituteurs, d’infirmières, d’agents de pôle emploi pourrait-on rétribuer avec une telle somme ?

A l’examen, c’est sur la nature des mesures retoquées qu’il faut porter attention. Au détail près, toutes les mesures repoussées ont un commun dénominateur. Elles concernent les hauts revenus ou les revenus du capital.

Censurée la « charge excessive » sur les « retraites chapeau », ces retraites en or des grands patrons.

Censurée la « charge excessive » sur les « bons anonymes », sur les gains des « stock-options », sur les « actions gratuites ».

Censurée la « charge excessive » sur les rémunérations des hauts-dirigeants des grandes entreprises de même que celle sur les « plus-values immobilières sur les terrains à bâtir » dont bénéficient les gros promoteurs.

En réaction à ces décisions, les porte-paroles de la droite et de l’extrême-droite, associés au syndicat des puissances de l’argent ont affiché une mine triomphale.

Pour annuler la mesure de taxation à 75% des revenus de plus d’un million d’euros, l’argumentaire du Conseil constitutionnel s’est appuyé sur une règle de la fiscalité française qui consiste à prendre en considération pour l’imposition les foyers fiscaux et non les individus. Un jugement rendu froidement au nom du principe de l’égalité devant l’impôt. Ainsi, le Conseil Constitutionnel déclare que : « l’article 12 instituait une contribution exceptionnelle de solidarité de 18% sur les revenus de chaque personne physique alors que l’impôt sur le revenu pesant sur les mêmes revenus, ainsi que la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus de 4%, sont prélevés par foyer. Ainsi deux foyers fiscaux bénéficiant du même niveau de revenu issu de l’activité professionnelle pouvaient se voir assujettis à la contribution exceptionnelle de solidarité de 18% ou au contraire en être exonérés selon la répartition des revenus entre les contribuables composant le foyer. Le législateur ayant ainsi méconnu l’exigence de prise en compte des facultés contributives, le Conseil Constitutionnel a, sans se prononcer sur les autres griefs dirigés contre cet article, censuré l’article 12 pour méconnaissance de l’égalité devant les charges publiques ».

Les services de Bercy connaissaient certainement ceci. Pourtant ils ont quand même fait voter le texte par le Parlement avec ce vice juridique. Pourquoi le Conseil d’Etat n’a-t-il pas alerté sur ces problèmes ?

La réponse se trouve sans doute dans un billet de Christian Eckert, rapporteur de la commission des finances, publié sur son blog. Dans celui-ci, il évoque le fait qu’il avait explicitement souligné ce « point-faible » de la proposition gouvernementale au cours des discussions préparatoires à la loi de finance.

La mesure était conçue comme une taxe « individualisée » et non comme un impôt « conjugalisé » explique-t-il : « Nous l’avions conçue et bâtie comme un outil de dissuasion des salaires exorbitants, pas comme une tranche supplémentaire de l’impôt. Ainsi, un couple où chacun gagne 600 000 euros n’était pas taxé. Un autre couple où l’un gagne 1 200 000 euros et l’autre rien, l’était. Chaque couple dispose pourtant du même revenu. »

Demeurait cependant une ambiguïté pour le député socialiste, ambiguïté concernant l’interprétation de son statut, « impôt » ou « taxe ». Celle-ci l’avait amené à élaborer un amendement en vue de parer à un éventuel rejet de la mesure. « J’avais, continue-t-il, sur le conseil avisé de mon équipe d’administrateurs à l’Assemblée Nationale, fait préparer un amendement pour éviter cette distorsion entre foyers fiscaux. Comme toujours, cela a été évoqué avec le cabinet du Ministre du Budget en amont des séances publiques pour éviter que le rapporteur du Budget soumette un amendement qui ne recueille pas l’assentiment du Gouvernement qu’il soutient. On m’a dissuadé de déposer cet amendement. »

Qui est ce « on » ?

La vulnérabilité de ces articles était donc bien connue des services de l’Etat. Pourquoi le gouvernement a-t-il alors pris le risque de les voir « retoqués » et repoussés à une échéance ultérieure.

Un coup à gauche ou une volonté ?

La taxation à 75% était devenue emblématique pour François Hollande, à tel point qu’elle lui a permis de relancer sa campagne électorale du « côté gauche », au moment où Jean-Luc Mélenchon perçait dans les enquêtes d’opinion.

Ce symbole ne concernait que 1500 contribuables et surtout il ouvrait un vide entre le taux de 45% et celui à 75%. Mais après le discours du Bourget sur la finance, il permettait d’ancrer le candidat socialiste dans la tradition de la gauche française.

Mais, paradoxalement, la manière dont cette mesure a été avancée et la manière dont elle a été votée, puis la manière dont est exploitée la décision du Conseil constitutionnel, a affaibli le mouvement vers une vraie réforme fiscale. Ceci donne même prétexte à une incroyable campagne politique et médiatique contre « l’impôt » et même contre l’impôt des plus fortunés qui « s’enfuient ». Drôle de retournement de situation alors que les travailleurs, les retraités, riches ou pauvres, vont payer plus d’impôt avec le gel des barèmes, mais surtout avec les impôts indirects, de la TVA aux taxes sur les carburants.

Décision constitutionnelle ou politique ?

Ce même Conseil constitutionnel déclarant conforme le dernier traité européen, alors qu’il retire des pouvoirs de souveraineté budgétaire au Parlement, a émis cette fois encore des jugements de caractère politique sur les décisions du Parlement lui-même.

En déclarant par exemple que l’article sur les « retraites chapeaux » taxant à 75,34%, violait le principe « d’égalité devant l’impôt » pour le ramener à 68,36%, le Conseil constitutionnel opère un coup de force contre le législateur.

Lorsqu’il annonce la prorogation d’une « niche fiscale » sur les successions en Corse, au motif qu’elle serait illégitime, il se substitue aux élus de la Nation pour trancher une question politique, celle de « la nature de l’intérêt général ».

Le Conseil constitutionnel n’est-il pas en train de contester au Parlement la définition de ce qui est de l’ordre de l’intérêt général ? N’est-ce pas un pas de plus dans la perspective de la mise en œuvre du traité européen qui va jusqu’à obliger les Etats à laisser les institutions européennes décider de la nature des impôts qu’ils peuvent lever et des dépenses publiques qui seraient autorisées ?

Maintenant un débat sur la réforme fiscale

Au vue de tous ces éléments et des déclarations du Premier ministre, on peut craindre que le sort de la disposition emblématique du candidat François Hollande à la présidentielle rejoigne celui fait à ceux qui ont été baptisés « pigeons », ou de l’ISF sur les œuvres d’art.

Ce chantier ne peut pas attendre juin ou septembre.

Si une rectification devrait être présentée en urgence, au-delà, un débat s’impose sur une réforme en profondeur pour une fiscalité progressiste qui reste à faire. On ne peut en effet laisser dicter la loi par un gouvernement des juges !

Celle-ci passe effectivement par le relèvement du niveau de taxation des grandes fortunes et des revenus spéculatifs.

Notre système fiscal, tant national que local, est fortement injuste. Il pèse trop lourd sur le travail et est trop léger pour le capital. Pesant sur la consommation des ménages et les PME, il est contreproductif pour l’emploi et pour le développement du bien-être social.

Pour les hauts revenus, des taux supérieurs à 80 et même 90 % ont été pratiqués, notamment aux Etats-Unis au lendemain de la Seconde Guerre et jusqu’aux années 1980.

Il conviendrait de revenir à une réelle progressivité, avec neuf tranches au lieu de cinq actuellement.

Créer un impôt sur les donations et successions pour les grands patrimoines, instaurer un véritable impôt sur la fortune qui prenne en compte tous ses éléments sont des mesures urgentes qu’il faut avoir le courage de prendre au plus vite. Supprimer les niches fiscales qui permettent aux plus grandes entreprises d’échapper en partie à l’impôt peut rapporter 50 milliards immédiatement va de pair avec une diminution du taux de TVA sur les produits de consommation courantes.

La fiscalité des entreprises peut être révisée dans le sens d’une modulation en fonction de l’utilisation des bénéfices afin de favoriser celles qui les réinvestissent pour l’emploi, le développement productif durable, la formation de salariés et la recherche.

Ce ne serait que justice si la décision « très politique » du Conseil constitutionnel permettait d’ouvrir un vrai débat populaire sur l’indispensable réforme progressiste de la fiscalité.

Menons-le ! Et agissons ensemble en ce sens !

Patrick Le Hyaric


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