La crise comme stratégie

jeudi 10 janvier 2013.
 

Plus personne n’y fait attention et le niveau de l’information donné par les médias sur ce sujet est passé depuis longtemps sous la ligne de flottaison. En tous cas il y a eu un sommet européen les 13 et 14 décembre derniers. J’en ai fait un compte rendu. A présent je veux faire rebondir l’analyse sur une phrase très parlante du communiqué final où l’on apprend que la « crise » n’est pas seulement ce que l’on croit. Elle serait aussi une opportunité davantage qu’une calamité. Attention, lecteur pressé, mon texte est dense ! C’est une mise en ordre de mes idées que je mets en partage.

La faillite du système d’information sur l’activité de l’Union européenne est totale. Sortis des récits et jeux de rôle sur les « sommets de la dernière chance » et autres mises en scène mélo dramatiques, les griots ordinaires de « l’Europe qui nous protège » n’ont rien à dire. Il est impossible de trouver où que ce soit la moindre information documentée, la moindre présentation du contenu des mesures prises chez les habituels médias donneurs de leçon de morale européenne. Ni d’ailleurs la moindre curiosité ou investigation, quand la source officielle européenne ne donne pas elle-même une information pré mastiquée sur un sujet. De mon côté j’ai publié mon compte rendu sur ce sujet comme je le fais de toute l’actualité européenne sur mon blog dédié. Je ne recommence donc pas ici mon compte rendu sur l’ensemble de ce qui s’y est décidé. Mais je veux revenir sur un point suggéré par une lecture attentive de la déclaration finale. Je le fais parce qu’il éclaire la scène du moment que nous vivons d’une façon spéciale.

Ce qui n’a pas facilité l’intérêt pour ce sommet c’est que les documents n’ont pas été traduits en français. Aucun ! Ordre du jour, note d’information, tout a été livré en anglais ! C’est la règle dorénavant. Sous prétexte d’économie, les parlementaires et les citoyens sont privés du seul moyen de comprendre les enjeux des décisions prises : la traduction. En allant jeter un œil sur le site de la Commission européenne vous pourrez faire le constat du nombre des documents non traduits. Compte tenu des sommes dérisoires qui sont en cause à l’échelle de l’Europe pour ces traductions, j’en déduis que cette attitude est délibérée. Il s’agit de réserver la compréhension de ce qui se passe à ceux qui ont l’usage de la langue des décideurs. D’un autre côté il s’agit aussi de préparer méthodiquement le passage au grand marché unique transatlantique dont la langue de travail unique sera l’anglais. Dans l’immédiat, ce confinement permet aux médias euro-béats d’en rester à des récits de surface sans risquer d’être mis en cause par un contact direct du public avec les textes réels. Dans ce qui s’est dit il y a en effet matière à dire davantage que les comptes rendus de circonstances ont fait. Notez que ces mots ne valent pas pour autant quitus de ma part sur ce que ces comptes rendus ont rapporté à la connaissance du grand public. En effet, qu’il s’agisse de « l’aide à la Grèce », du fameux « nouveau » contrôle bancaire dont l’anti-minable Ayrault s’est fait de si vibrants gargarismes, et ainsi de suite, tout a été une fois de plus du recopiage manipulateur de la parole officielle, sans imagination ni curiosité, mâtiné par-ci par-là de rumeurs organisées par les attachés de presse des eurocrâtes. Encore une fois, sur ces sujets je vous renvoie à mon compte rendu car il vous permettra d’en prendre la mesure.

Mais dans le texte de clôture de ce sommet, comme je l’ai dit, quelques lignes m’ont frappé. Je les analyse comme un aveu tellement frappant ! Voyez ces lignes. Elles méritent d’être traduites intégralement. Elles expriment davantage que le cynisme ou l’aveuglement idéologique ordinaire des commissaires européens. Lisez lentement : « La crise économique et financière que traverse l’Union européenne a été un catalyseur pour mettre en place des changements profonds. Son impact est visible dans la restructuration profonde de nos économies, qui a actuellement lieu. Ce processus est perturbateur, politiquement stimulant et socialement difficile – mais il est nécessaire pour jeter les bases de la croissance future et de la compétitivité qui devra être intelligente, durable et inclusive. » Ce texte dit, en fait, que la crise est en réalité une stratégie d’action et non pas seulement une difficulté qui s’impose de l’extérieur. Je pense que cela jette sur la situation un jour nouveau. Par la « crise », délibérément, les eurocrates sont en train de faire naître consciemment et méthodiquement un ordre nouveau. C’est la stratégie du choc décrite par Naomi Klein. Attention : vu sous cet angle ce serait une erreur de dissocier l’objectif et les moyens. La politique d’austérité et les moyens autoritaires destinés à les imposer en Grèce, par exemple, forment un tout. Je voudrai qu’on ne l’oublie jamais du moins ici parmi les lecteurs qui viennent me lire dans le but de s’instruire et de compléter leur propre analyse de la période historique que nous vivons.

Donc je veux revenir sur ce point précis de la « crise » comme moyen d’action des dominants. J’ai déjà évoqué dans ma conférence à Londres cette idée de « la crise » en tant que stratégie de réorganisation du rapport de force entre le capital et le travail. Ce point mérite, bien sûr, une entrée en matière pour être compris sans excessive simplification. Le mot « crise », dans le vocabulaire commun, désigne un paroxysme provisoire. On suppose qu’il y aura des soins qui permettront un retour à l’équilibre initial. Pourtant la crise de la dette que nous vivons n’est pas provisoire. Elle implique un mécanisme de fond, structurel, qui forme la trame même du système capitaliste de notre temps. L’endettement et le crédit sont les moyens de masse que le capitalisme a trouvé pour dépasser sa limite interne traditionnelle. Permettez une explication plus approfondie de ce point. Je n’ai pas souvent l’occasion de donner mon analyse sur ce sujet que je crois essentiel. Il me semble que c’est acceptable de votre part, chers lecteurs, dans le cadre d’un texte comme celui-ci, ajouté depuis un séjour de repos dans une note publiée dans le temps de la trêve des confiseurs. Comment « la crise » peut-elle être à la fois une situation inopinée, un incident imprévu du parcours, et une stratégie d’action pour le futur ? Je voudrais l’expliquer.

On s’accordera pour dire que c’est bien la dynamique du système financier global qui a conduit à la situation actuelle. Mais a-t-on clairement à l’esprit qu’à présent la masse de la dette est telle qu’il n’y a pas de soin qui puisse ramener à la situation antérieure. Si la dette n’est pas effacée, d’une façon ou d’une autre, le système roulera à l’abîme en entraînant la civilisation humaine. Mais cet effet de système ne peut être réglé par aucun des acteurs du système. De même qu’il n’y a pas de complot pour conduire à cette catastrophe, il n’y a pas d’état-major pour l’empêcher d’avancer vers son terme. Chaque épisode est le résultat d’un effet de système auto-organisé dont la dynamique est spontanée. Le point crucial est que tous les acteurs, les décideurs de toute nature, banquiers, personnages politiques et ainsi de suite, tous sont inclus dans la situation. Ils en sont une composante. Ils gèrent ce qu’ils trouvent en face d’eux du point de vue des intérêts qui dominent la scène et qui sont aussi les leurs en particulier. Cela leur paraît être la seule voie possible, le seul comportement raisonnable. Certes pour eux, la crise est d’abord seulement un dysfonctionnement. Ils estiment donc que leur devoir est de ramener la situation à l’équilibre. Mais ils n’imaginent pas de le faire autrement que du point de vue des normes, usages et exigences du système lui-même. Nos questions, mises en garde et revendications leur paraissent aussi extravagantes que le serait à nos yeux l’attitude d’un conducteur qui ayant un pneu crevé s’en prendrait à l’industrie de l’automobile au lieu de changer de roue pour continuer son parcours.

C’est donc de l’intérieur du cadre qu’il faut comprendre ce fait apparemment paradoxal : « la crise » offre des opportunités d’aller plus loin dans la logique qui a pourtant rendu possible « la crise ». Elle le peut parce que la situation de crise permet des prises d’avantages. Ce résultat nous l’avons sous les yeux. Bien sûr, personne n’a voulu la faillite du système des « subprimes ». Ni celle de la dette publique grecque. Ni l’effondrement de l’immobilier irlandais ou espagnol. Bien sûr que l’instabilité du système financier et la rupture des flux qui le constituent sont dangereux aussi pour les bénéficiaires de ce système. Cependant, tous ces événements ont eu lieu. Peut-être bien que les maîtres de la finance auraient préféré qu’il en soit autrement. Pourtant ce sont leurs décisions et leurs spéculations qui les ont provoquées, parfois de propos délibérés comme en Grèce. Quoiqu’il en soit, leurs regrets s’arrêtent à la porte des profits fabuleux que cette situation leur permet encore de réaliser. Un tel système ne contient aucun élément d’auto-régulation. Tout au contraire. La dérégulation et ses abus de toutes sortes constituent une belle part de marché. Elle forme même une part significative du PIB de nombreux pays qui constituent la toile des paradis fiscaux. Cette expression n’est pas réservée aux contrées exotiques, du type des Iles Caïman, elle concerne le cœur même du système comme on peut le voir avec le rôle de la City et du Royaume-Uni, qui en est un des rouages les plus actifs.

Quelle que soit l’obligation où nous nous trouvons de parler avec des mots qui obscurcissent ce qu’ils désignent davantage qu’ils ne l’éclairent, nous devons nous en tenir aux faits observables. Les apparences de la « crise de la dette » et les politique d’austérité qui sont censé y répondre ne doivent pas nous empêcher de voir ce qui se passe vraiment à la fin. Au-delà des arguments et des raisons mis en avant par chacun. Sinon on ne peut en comprendre la dynamique particulière de la situation d’ensemble. Ni la façon avec laquelle les événements réputés liés à la « crise financière », ou à la « crise écologique », et à la « crise sociale » forment un tout dans la réalité des faits qui surviennent. Le résultat, dis-je, nous l’avons sous les yeux. Alors même que « la crise de la vie quotidienne » s’approfondit visiblement pour le très grand nombre, pendant ce temps, les profits des très grandes entreprises explosent, la prédation bancaire s’élargit, la part de la rétribution du travail dans la richesse produite diminue, la financiarisation de l’économie s’étend et la part des dividendes par rapport aux investissements augmente. Et la température ambiante du globe monte. Dans ces conditions la suite ne continue pas simplement le présent.

C’est bien parce que les mots nous induisent en erreur qu’il faut utiliser un vocabulaire nouveau pour désigner les évnements. Souvent vous avez vu que j’utilise le mot « bifurcation » pour désigner ce type de situation bien particulier où une modification apparemment très localisée et ponctuelle se produit et fait dévier de sa trajectoire tout le système sans qu’aient changé les éléments qui font sa dynamique. J’en donne souvent une image : ce qui se produit avec un véhicule lancé à toute allure si le chauffeur se fait piquer par une guêpe. J’utilise souvent ce mot pour parler de l’étape qui va se franchir dans le climat lorsque l’impact du changement en cours aura atteint un certain seuil. Ou bien pour désigner ce qui se produira lorsque la Chine passera devant les Etats-Unis. L’image permet de mieux se représenter le mouvement comme un tout qui s’organise d’après ses propres éléments et non comme une interruption momentanée des données qui ont prévalu jusque-là dans le passé récent. La « crise » actuelle est en fait une nouvelle trajectoire, un nouveau moment cohérent et global pour le système dans son ensemble et pour son futur immédiat.

Une autre manière d’entrer dans la compréhension de la réalité que recouvre le mot « crise » est d’en placer les manifestations dans l’histoire pour observer leur incidence. Un regard en grand angle sur le sujet nous apprend d’abord quelque chose. L’instabilité et les « crises » sont consubstantielles au système capitaliste. L’histoire en atteste ! De 1816 à 1929, en plus d’un siècle, il y a eu 14 crises majeures ! Deux d’entre elles se sont réglées par une guerre mondiale. Depuis 1973, en moins de 40 ans, il y a eu déjà 12 crises affectant l’ensemble du système mondial et menaçant de le faire s’effondrer ! Depuis 1992, en 20 ans il y a eu 8 crises ! Ce coup d’œil montre que le rythme de déclenchement de ces crises systémiques s’accélère. D’une façon ou d’une autre, on peut dire que les conditions dans lesquelles se sont dénouées chacune d’entre elles, ont préparé les conditions d’un épisode suivant encore plus violent. Chaque « crise » a augmenté l’instabilité du système dans l’épisode suivant. Cette escalade a fait dire à Jean-Claude Trichet en août 2011, alors gouverneur de la Banque centrale européenne, que la crise actuelle est « la plus grave depuis la seconde guerre mondiale. Cela aurait même pu être la crise la plus grave depuis la première guerre ». Ce n’est pas seulement le moment qu’il faut alors considérer mais la raison pour laquelle il est parvenu à ce point en dépit de l’expérience qui devrait être acquise.

Donc, chaque sortie crise aggrave la violence de la suivante. Entrons davantage dans ce que montre le coup de projecteur. Vu de haut et de loin on peut voir une constante : chaque crise est une crise de surproduction. Cela paraît incompréhensible d’un point de vue du sens commun mais c’est la réalité. Quand tout le monde manque de tout c’est aussi le moment où la capacité de production est la plus élevée. Puis intervient une destruction massive de capital. Guerre, hyper-inflation ou faillites y pourvoient. Puis la reconstitution fournit la dynamique de la phase suivante. Mais, notez un fait peu souvent mentionné dans l’analyse de ce mouvement général : à chaque étape, dans l’histoire réelle, le système a vu l’aire du marché disponible pour l’accumulation du capital se réduire. Et du coup, il lui a fallu pour l’étendre par des moyens de plus en plus artificiels et dangereux. Les deux guerres mondiales ont soustrait au champ du marché toute l’aire de ce que l’on nommait le « camp socialiste », soit le tiers de l’humanité productive et consommatrice. La reconstitution du niveau des forces productives d’avant-guerre dans un espace marchand moindre a contraint à constituer des aires d’accumulation de plus en plus artificielles : économie naine du Moyen-Orient en surcapacité monstrueuse de capitaux, économie d’armement sans objet servant de volant d’entraînement à l’économie productive globale et ainsi de suite. A partir d’août 1971, et la fin de la convertibilité du dollar en or, est née une économie purement financière, sans objet matériel réel, en expansion permanente.

Depuis 1971, la masse monétaire en dollar a augmenté dix fois plus vite que le PIB des USA : la richesse produite réellement a été multipliée par 4 et la masse monétaire par 40 ! C’est ici la base d’une extraordinaire mise en circulation de signes monétaires sans contrepartie réelle. Elle a semblé affranchir le mécanisme de l’accumulation capitaliste de toutes les limites du monde matériel réel. Le crédit et la dette, la marchandisation de tous les compartiments de l’activité humaine et la financiarisation de tous les secteurs sont les bases du système actuel. C’est dans ce cadre que prennent place la situation et les dangers de la situation en Europe.

Une « crise » plus grande est inscrite dans la logique des événements ainsi mis en perspective. Du moins si aucune des conditions initiales du système ne change. L’observation des échanges sur le marché des devises permet de mesurer la hauteur de la falaise de papier qui surplombe l’économie productive réelle et menace de l’engloutir. Les chiffres sont souvent cités. En 1970 les fonds concernés s’élevaient à 20 milliards de dollars par jour. En 1990 à 1 500 milliards de dollars par jour. En 2010 ils atteignaient 4 000 milliards de dollars par jour. Pour comprendre quelle boursouflure sans objet matériel sont ces sommes, il faut les comparer à la valeur des biens réellement échangés. Quand 4000 milliards s’échangent en une journée, pendant ce temps, les biens et services réellement échangés sont de 40 milliards ! Cent fois moins chaque jour ! En 4 jours d’échanges sur le marché des changes, on atteint le montant annuel total du commerce international réel ! Je vais encore faire une comparaison pour bien faire comprendre les ordres de grandeur du monde de signes artificiels dans lequel nous vivons. Quand il circule 4000 milliards, il n’y a que 170 milliards de richesse produite dans le monde ! Il y a donc 23 fois plus de dollars en circulation que de richesse mondiale créée ! Le plus vaste choc que le monde va recevoir est celui de l’ajustement de cette masse de monnaie de singe avec sa contrepartie en biens matériels réels. Cela se produira lorsque les Etats-Unis d’Amérique ne seront plus en tête de l’économie mondiale réelle et que la confiance dans la valeur du dollar sera donc mise en cause par cette situation. Cela est inscrit dans le calendrier.

L’Europe peut donc, à tout moment, recevoir ce choc en plus de celui qu’elle subit. La catastrophe peut être déclenchée fortuitement à tout moment par un incident systémique intervenant n’importe où dans le monde. Et, évidemment, l’Europe peut elle-même déclencher le choc général par un épisode incontrôlé de sa propre instabilité. A chaque pas nous rencontrons l’articulation de ces deux niveaux de la réalité et l’interaction des instabilités structurelles du capitalisme de notre temps. Ainsi, par exemple, quand nous voyons que les Etats-Unis d’Amérique ne peuvent accepter que l’euro soit une monnaie de réserve. En effet l’euro mettrait alors en danger le rôle du dollar comme monnaie de réserve. Mais à l’inverse l’effondrement de l’euro entraînerait aussi tout le système financier mondial dans la catastrophe.

Le texte de la Commission avec lequel j’ai commencé cette longue analyse nous montre que « la crise » a cessé d’être perçue comme un risque par les puissants en Europe et qu’ils la vivent essentiellement comme une opportunité dans une stratégie de réorganisation des sociétés. Le modèle de la stratégie du choc, tel qu’il a été expérimenté sur les pays sortis du Comecon et du « camp socialiste » sert de modèle sur les économies imbibées « d’Etat providence ». C’est pourquoi les eurocrates peuvent continuer à recommander avec insistance les politiques que nous nommons « austéritaires » alors qu’elles semblent être un défi au bon sens ! C’est à ces recommandations qu’est consacré l’essentiel des déclarations de ce sommet. Et cela en dépit de pronostics particulièrement sombres, donnés par les mêmes personnages, sur les souffrances à endurer l’année prochaine, en matière de chômage notamment.

Mais tout ceci contient aussi une mise en garde pour nous aussi. Notre camp ne peut se contenter d’imaginer le futur souhaitable comme une simple reconstruction du monde du passé, désormais idéalisé, celui des « trente glorieuses ». Nous ne pouvons penser l’avenir comme de bons keynésiens à qui il suffirait d’espérer « relancer la croissance » comme le répètent en refrain tous ceux qui continuent de vivre dans l’imaginaire du productivisme. Non seulement pour la raison que tout le monde connaît bien désormais ce qu’il en est des limites de l’écosystème. Non seulement parce que la financiarisation de l’économie ne le permet pas. Mais surtout parce que le productivisme contient une logique d’appel à l’accumulation qui reproduit mécaniquement les mêmes contradictions : il lui faut sans cesse élargir la base des consommateurs et pour cela il lui faut sans cesse tenter de restreindre les coûts de production. Cette logique de la politique de l’offre, quel qu’en soit l’habillage, constitue un modèle de production et d’échange fondamentalement instable. La planification écologique se présente face à cela comme une méthode exactement inverse. Comme politique de la demande, elle a vocation à prévoir la satiété de la société. Comme orientation responsable du futur elle doit éteindre les moteurs de frustration consuméristes qui sont le cœur du modèle publicitaire productiviste. Je suppose que tout le reste du discours sur le modèle alternatif se devine à partir de là sans que je doive en surcharger ce post.

J’ai commencé en montrant comment la « crise » devient une stratégie davantage qu’une nuisance pour la finance. Pour nous il en va tout autrement. Les nuisances de la situation et les résultats de la stratégie de la finance sont intégralement payés par les salariés, qu’ils soient actifs ou au chômage. Misère et insécurité sociale n’ont jamais élevé le niveau de combativité sociale. Mais en même temps, l’idée fait son chemin qu’il faudrait passer à autre chose. C’est sans cesse davantage le cas dans les secteurs de la société qui jusque-là ne regardaient pas de notre côté, parmi les catégories sociales les mieux formées et les plus qualifiées. Les objectifs et les méthodes de la planification écologique forment un horizon de mobilisation autant politique que professionnel. Bien sûr, le phénomène est très loin d’être hégémonique. Mais le mouvement est de ce côté. Car le discrédit des sociaux-libéraux, et l’insupportable bonne conscience routinière de la vieille deuxième gauche type « Nouvel Observateur » ou « Libération », sont devenus de puissants répulsifs ainsi que nous en avons d’innombrables témoignages. Je ne mentionne ces faits que pour les placer dans le contexte. Si la société est conduite au point de blocage que les politiques d’austérité ou d’ajustement structurels ont produit partout ailleurs dans le monde, la société ne songera pas à ce moment-là à se tourner vers les comptables sans imagination du social-libéralisme ou les ethno-libéraux de l’UMP. Cette exclusive s’est déjà maintes fois vérifiée. Pour qu’elle fonctionne vers nous, il est indispensable de n’entrer dans aucune combinaison ou arrangement avec ce vieux monde et son système politique. C’est cela que signifie notre stratégie de l’alternative. Et c’est en cela qu’elle est un recours pour la société.


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