Le nécessaire rassemblement

samedi 5 janvier 2013.
 

Nous vivons une période tellement inédite que nulle expérience passée ne peut nous servir de repère, a fortiori de modèle. Jusqu’à ce jour, le Parti socialiste avait pu infléchir sa politique vers le centre, mais en récusant toute cohérence se rapprochant peu ou prou du «  social-libéralisme  » des Allemands ou des Britanniques. «  Oui à l’économie de marché, non à la société de marché  », disait Lionel Jospin contre Tony Blair. Pour tout le monde, aujourd’hui, François Hollande a fait explicitement le choix d’une cohérence sociale-libérale, autour de la référence à la double baisse du déficit public et du coût de travail. Nous ne sommes donc plus ni en 1984, au moment du tournant assumé de la rigueur, ni en 2000, quand s’enlisait la gauche plurielle. Aujourd’hui, de ce fait, l’heure n’est ni au «  oui, mais…  », ni au «  non, mais…  ». La seule réponse possible à la politique gouvernementale choisie, c’est «  non et non  »  : tout ce qui peut altérer la clarté de ce message devrait être écarté.

La question qui se pose à nous n’est donc plus de savoir s’il faut dire non, mais de montrer pourquoi et comment nous le disons. Pas pour faire la peau des socialistes  : ils n’ont pas besoin de nous pour cela. Pas non plus pour «  faire la différence  »  : le PCF s’y est essayé naguère et s’y est cassé les dents. Nous disons non pour deux raisons et pour elles seules  : la politique retenue par le pouvoir socialiste conduit le peuple et la gauche dans le mur  ; le refus net de cette politique est le seul acte inaugural possible d’une nouvelle construction majoritaire à gauche, autour d’une démarche constructive qui transforme et qui réussit. Face à une droite radicalisée et en recomposition, la chance de la gauche est à gauche et pas au centre. Ou alors, le champ est ouvert à l’amertume, au ressentiment et… à toutes les aventures.

Notre horizon est du côté de cette majorité nouvelle. Ce que nous voulons n’est pas que le Front de gauche devienne majoritaire à la place du PS. Notre ambition, en revanche, est que le Front de gauche assume toutes ses responsabilités, y compris gouvernementales, en étant le ferment d’une nouvelle majorité bien à gauche. Évoquer une nouvelle majorité, c’est aller bien au-delà du Front de gauche. Y ont leur place, potentiellement, des socialistes de gauche qui ne peuvent accepter que le socialisme s’identifie à ce point à la capitulation, et des écologistes qui ne peuvent accepter que l’on continue de dissocier le combat écologiste et la transformation sociale. Ne rien faire qui empêche le mouvement de ces forces dans notre direction devrait être notre préoccupation de tous les instants. Sans doute la solidité du Front de gauche tient-elle à une cohérence qui s’est tissée patiemment au fil des années. Mais quand quelqu’un s’approche de la table d’une alternative conséquente, il ne saurait être question de lui demander de montrer patte rouge avant de lui fournir un couvert. Ce qui compte, ce n’est pas ce que tel ou tel a pu dire ou faire, hier ou avant-hier, mais ce qu’il dit aujourd’hui des choix sociaux-libéraux et ce qu’il entend faire pour promouvoir d’autres choix.

Cette méthode, qui agrège des forces au lieu de les repousser et de les éparpiller, devrait être mise en place partout, en toute circonstance, de l’européen au local, sans modèle passe-partout de rassemblement. C’est en la promouvant que le Front de gauche sera, non pas un guide, mais un ferment. Pour être un ferment, il faut bien sûr exister en tant que tel. L’enjeu décisif de la prochaine période est donc la visibilité du Front de gauche  : pas la seule addition des interventions de ses composantes, mais sa présence rassemblée. Ce qui doit se voir, ce ne sont pas les pièces multiples du Front, mais le Front lui-même  : dans l’immédiat, il pourrait se voir dans la rue, aux côtés de ceux de Florange.

Mais pour être visible comme un ensemble, il faut fonctionner comme une entité rassemblée. Le Front n’a pas un seul moteur, il est un véhicule hybride  : il y a les organisations qui le composent, avec leurs militants, leurs règles et leurs contraintes, et il y a la dynamique citoyenne, celle qui a nourri la vague de 2005, celle qui a fait la ferveur exceptionnelle de la présidentielle. Si, d’une manière ou d’une autre, l’une ou l’autre de ces dimensions a l’impression qu’elle est négligée, le Front de gauche tout entier en pâtira. Il nous faut apprendre à concilier les exigences des uns et des autres. Pour l’instant, j’ai l’impression que l’équilibre n’est pas atteint et que la dimension du cartel l’emporte sur celle de la citoyenneté directe.

Avec de la bonne volonté réciproque, nous devrions pouvoir rapidement surmonter cette difficulté et trouver un équilibre vertueux.

Roger Martelli


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