Les enfants précoces sont des sentinelles embarrassantes

jeudi 20 décembre 2012.
 

À l’école, certains enfants dérangent. Parmi eux, les enfants dits «  à haut potentiel  ». Souvent déstabilisants, incompris, en souffrance, ils finissent parfois par être tout simplement exclus. Il s’agit de 2 à 3 % des enfants d’une classe d’âge répartis dans tous les milieux socioprofessionnels. Ils ont la spécificité et la difficulté de fonctionner différemment, dans leur mode de pensée, de raisonnement, d’apprentissage. Une pensée en arborescence, complexe, par associations, qui s’organise autour de questionnements incessants, de recherches spontanées, de modes de résolution très rapides, de résultats par intuition, etc. Ces enfants grandiront en continuant à se sentir en décalage, différents, inadaptés. Certains s’en sortent et parviennent à trouver des champs d’activité qui leur correspondent  : recherche, création, défense des droits de l’homme ou de différentes causes collectives, etc.

Mais l’enfant doit d’abord traverser le système scolaire. Étape attendue avec impatience mais qui se transforme souvent pour lui en une longue suite de souffrances. Il va vite devoir se dissimuler, pour tenter de s’adapter aux types d’apprentissages imposés, conçus pour un mode de pensée plus linéaire, plus logique que le sien, avec des consignes et des attentes qui restent parfois pour lui incompréhensibles, ne font pas sens. Il aimerait ne pas se sentir rejeté par les autres élèves et par les enseignants, ne pas subir les moqueries, harcèlements, humiliations… Beaucoup se retrouvent en grande difficulté scolaire, voire exclus, définitivement abîmés, sans diplôme, avec des formes de dépression bien spécifiques et souvent mal connues et donc mal prises en charge par les professionnels de santé.

Le travail des associations et des professionnels engagés sur ces questions a permis d’aboutir à la reconnaissance des besoins spécifiques de ces enfants et à l’élaboration de textes de loi, pour le droit à des parcours adaptés. Seulement, dans les faits, les pratiques peinent à changer. Certaines académies s’obstinent dans le déni, le rejet  : ces enfants n’existeraient pas, ne seraient qu’une invention de parents déséquilibrés et élitistes, des enfants capricieux et à problèmes, qu’il faudrait au bout du compte faire plier et faire rentrer dans les rangs.

Mais c’est au final un véritable problème collectif qui est soulevé par la situation et la souffrance de ces enfants. Ils font partie de ces «  sentinelles  » sociales qui tentent, par leur détresse, d’alerter, de faire entendre quelque chose qui concerne en fait l’ensemble des enfants et de ce qu’ils vivent dans le milieu scolaire. De l’insupportable, de l’injonction contradictoire, de la confrontation à la violence institutionnelle et organisationnelle, de la quantification, des méthodes fondées sur la compétition, la sanction, la sélection, l’humiliation, l’exclusion sociale… La souffrance et l’envie de mourir des enfants et des jeunes, qui ne cessent d’augmenter, sont à mettre en lien, en parallèle, avec celles des salariés dans le milieu du travail.

Le travail à mener est grand, de sensibilisation et de formation. Il se confronte à des résistances profondément ancrées, tant individuelles que collectives. Comment mettre en œuvre des concertations, locales et nationales, dans le sens du droit à la vie, à l’éducation  ? Sans doute serait-il nécessaire que des élus locaux se risquent à entendre la souffrance des familles et des enfants, dont ils se doivent d’être les représentants.

Il est urgent et nécessaire de sortir du déni et du silence, de comprendre plus précisément d’où viennent les résistances et comment faire avancer la situation. Ce serait déjà un premier pas, collectivement, pour aider les enfants à ne plus avoir envie de mourir  !

Par Caroline Labourdette, Psychanalyste, psychosociologue, réalisatrice.


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