Le commerce de la crise de l’UMP et la crise

mardi 4 décembre 2012.
 

L’implosion de l’UMP est un pain quotidien abondant et quasi gratuit pour les médias dominants. Jusqu’à l’absurde ! Cette situation est un fait au moins aussi important que son objet ! Comme il est parlant le coup de sang de l’impassible Mazerolle ! Son cri du cœur exaspéré c’est l’aveu du rôle dégradé auquel sont condamnés les professionnels de l’information quand ils sont contraints de courir à côté du fourgon mortuaire comme les éboueurs derrière la benne à ordures. Depuis le vote, les chaines d’information en continu sont en « émission spéciale » permanente si l’on peut dire. Cette transe est évidemment une composante de la crise elle-même en éclairant son moindre recoin et du coup en l’approfondissant, d’une déclaration à sa riposte obligée. Je me réjouis de la désintégration de la superstructure politique du système. Elle raccourcit les délais qui conduisent au « qu’ils s’en aillent tous ».

Dans ces conditions, la politique est un spectacle peu couteux pour les « producteur » d’information. Cette dimension économique de la production de l’information n’est pas un à côté du phénomène d’hystérisation de l’information politique. C’en est la composante centrale. D’un point de vue médiatique dans six mois et peut-être moins il n’y paraitra plus sur la même scène parce qu’un nouveau coup aura effacé celui-ci. Mais le dégout réel provoqué sur la conscience des spectateurs, toutes tendances confondues ne seront pas réparés. Dans ces conditions, quoi qu’il arrive, si superficiel qu’ait été cet épisode, il entre en plein dans le processus de désintégration de la sphère politique qui est le propre des périodes « qu’il s’en aillent tous ».

Il faut sans cesse revenir au tableau d’ensemble pour ne pas perdre le fil de ce qui se passe réellement. Ce n’est que par un effet d’organisation de la prise de conscience que des évènements simultanés semblent totalement autonomes et disjoints. Et cet effet est lui-même une production sociale. Il résulte de la façon dont le système médiatique hiérarchise et organise ses productions, comme je viens de l’illustrer. Dans la réalité -attention la phrase va être presque aussi longue que son objet- la crise de l’UMP éclate en même temps que la situation grecque se paralyse et que la conférence sur le climat s’embourbe, tandis que le gouvernement Ayrault joue son autorité à cache-cache dans les bocages et les bois de Notre Dame des Landes et que les sénateurs renvoient le budget à l’assemblée sans discuter le volet dépenses parce que le volet recette n’a pas été adopté, phénomène sans précédent, je crois, depuis le début de la cinquième république. Je mentionne tous ces faits parmi d’autres qui pourraient tout aussi bien y figurer parce qu’ils forment un continuum qui fait sens. La crise de l’UMP est une composante d’une désintégration globale qu’elle amplifie.

Ce premier aspect de ce qui nous est donné à voir ne doit pas, lui non plus, nous coller le nez sur la fenêtre. Un autre fait mérite attention, du point de vue du système lui-même. Les grands médias et les sondeurs n’ont rien vu venir à propos de cette crise ! Depuis la fin de l’été, ils répétaient en boucle, sondages à l’appui, que François Fillon allait écraser Jean-François Copé. Même si on ne connait pas le résultat réel, tout indique que Copé n’a pas été si "écrasé" que ça. Selon les instances de l’UMP, c’est même lui qui a gagné ! Revenons à ce que les maitres des cérémonies médiatiques en disaient avant que le résultat ne les démentent cruellement. Le 19 août, un sondage IFOP pour le Journal du Dimanche donnait Fillon avec le double de voix de Copé : 48% contre 24%. Quelques jours plus, tard, le même IFOP voyait même Fillon avec trois fois plus de voix que Copé dans un sondage pour Atlantico : 62% contre 21%.

Le même écart de un à trois était pronostiqué par Harris interactive le 24 septembre pour 20 minutes : 45% des sondés souhaitaient l’élection de Fillon contre seulement 13% pour Copé. Et chez les seuls sympathisants UMP sondés, c’est la même chose : 71% préféraient Fillon, 23% Copé. Un mois après, Harris interactive n’avait pratiquement pas changé d’avis : son sondage en ligne du 23 octobre pour 20 minutes et LCP donnait Fillon à 67% et Copé à 22%. L’institut BVA voyait pour sa part un écart de un à deux entre les deux hommes comme dans son sondage du 15 octobre pour Orange, l’Express et France Inter qui donnait Fillon à 66% de préférence chez les sympathisants UMP contre 33% pour Copé. Le mois suivant, BVA disait toujours la même chose pour Orange, l’Express et France-Inter. Quelques jours plus tard, le même BVA, dans un sondage pour un autre client, en l’occurrence Itélé, confirmait l’écart : 67% pour Fillon, 32% pour Copé. Et BVA notait que "le rapport de force a plutôt tendance à se figer".

Les sondeurs se sont encore une fois « trompés ». Cela implique que les médias qui ont acheté et diffusé ces sondages nous ont donc trompés. Bien sûr, tous se protégeaient en répétant en préalable que les votants ne seraient pas les sondés. Car seuls les adhérents de l’UMP pouvaient voter alors que les sondages portaient sur les "sympathisants" de l’UMP. Mais ce n’était pas vraiment crié très fort ! Il fallait bien vendre quand même. Imagine-t-on un média publiant une enquête avec comme précision « ce résultat ne veut rien dire mais nous le commentons sur deux pages ? » Et puis les sondeurs ont tellement besoin d’une revanche depuis leurs échecs à répétition à propos de la présidentielle ou même d’Henin-Beaumont ! Les sondeurs espéraient donc bel et bien que les adhérents obéiraient à leurs injonctions. Ils ne s’en cachaient pas. C’était l’analyse de Cécile Bracq, de l’institut BVA, en novembre : "Nous sommes à 65% de sympathisants UMP qui souhaiteraient que François Fillon soit le président de l’UMP contre 33% pour Copé. Ca n’a plus beaucoup bougé ces dernières semaines alors évidemment c’est toujours la même chose : théoriquement les militants les adhérents peuvent complètement invalider le choix des sympathisants, mais ce serait tout de même extrêmement étonnant compte tenu des différences qui existent entre ces deux candidats". Fin août, Jérôme Fourquet de l’IFOP ne disait déjà pas autre chose : "On peut se demander aujourd’hui si la mesure auprès des sympathisants est conforme à l’avis des militants, et plus spécifiquement des plus actifs qui seront sans doute les seuls à voter (…) Pour Fillon, on pense que, comme cela avait été le cas lors de primaires socialistes, les sondages seront proches de la réalité. L’écart est très conséquent aujourd’hui. Il peut se resserrer mais la tendance aura du mal à totalement s’inverser".

Donc les sondeurs ont eu tout faux ! Mais le business a été rentable pour eux. En effet, les coûts ont été réduits au minimum. Je donne un seul exemple. Opinionway a ainsi réalisé le 8 octobre un sondage sur un échantillon de … seulement 523 personnes ! Sachant que 160 000 adhérents UMP ont voté sur plus de 40 millions d’électeurs en France, je laisse imaginer le nombre d’adhérents UMP qui étaient présents dans cet échantillon de 523 personnes. Et je pourrai aussi revenir sur la multiplication des sondages "en ligne" comme ceux d’Harris interactive. Il n’y a dans ce cas aucun moyen de savoir qui répond, si le répondant ne ment pas dans l’espoir de fournir ce qu’il croit être la "bonne réponse" pour empocher une hypothétique récompense, ni même s’il ne répond pas plusieurs fois sous une fausse identité. Qu’importe, pour les sondeurs, ça ne coûte pas cher. Et pour les médias, ça fait parler, donc vendre du papier ou des heures d’émission. Quelle conséquence ? Je viens de dire qu’elle importante contribution au murissement de « qu’ils s’en aillent tous » c’est là. Pour être franc, je m’en réjouis. Plus brève sera la séquence ! Mais si l’on examine la question sous l’angle de l’éthique républicaine en général, il n’y a vraiment pas lieu de pavoiser. La nocivité absolue du sondage politique est amplement confirmée. Ici ce furent des mois de pilonnage au profit d’une position contre une autre avec des apparences de vérités chiffrées. Du coup ce fut une incapacité à penser la situation sur des bases honnêtes pour les gens qui ont fait confiance aux chiffres et aux commentaires qui les accompagnaient. Quant au fonctionnement de la démocratie institutionnelle c’est une nouvelle déroute morale : celle de la prétendue commission des sondages, complice de cette manipulation par sa répugnante passivité. Naturellement ça ne servira de leçon à personne. Parce qu’aucune leçon de cette sorte ne peut avoir d’effet. Il est dans la nature du système. Ce n’est pas un complot, c’est un effet de système. Il résulte de la désinvolture des pratiques médiatiques, de la logique des économies d’échelle, et de la nécessité de cracher de l’info à une cadence incompatible avec le rythme de la réalité et des capacités humaines de traitement de la matière première !


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