Nationaliser Gandrange et la sidérurgie

dimanche 11 novembre 2012.
 

Va-t-on laisser Mittal faire table rase de la sidérurgie lorraine et européenne  ?

Le gouvernement ne doit pas jouer aux apprentis sorciers

Par Bernard lamirand, ancien responsable CGT de la sidérurgie et ancien membre de la Communauté européenne du charbon et de l’acier.

En ce qui concerne la sidérurgie lorraine, ce qu’a proposé le gouvernement relève du bricolage.

C’est une suite, tout compte fait, de tous les rapiéçages effectués depuis la casse industrielle de l’acier, en 1979, par Giscard d’Estaing, puis par les socialistes, en 1984, avec Laurent Fabius, quand ils étaient au pouvoir sous Mitterrand, et ensuite sous Chirac, avec Francis Mer, qui accepta que l’acier français soit kidnappé par l’aventurier Mittal et qui lui a alors confié le capital du groupe Arcelor privatisé, habillé pour faire du profit maximum en ayant élagué de nombreux outils de production considérés comme non rentables. Mittal a pu ensuite travailler à des délocalisations lui permettant de faire davantage de profits tout en conservant les brevets et les clients dont, en particulier, l’automobile.

Que restera-t-il de l’acier français d’ici quelques années avec ce maître de forge mondial qui n’a rien à faire des travailleurs français et, plus largement, européens qu’il méprise.

On voit où nous a menés cette politique de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca), si chère à son créateur, le très réactionnaire Robert Schuman, qui devait permettre à la sidérurgie européenne de se doter d’une grande industrie de l’acier, et je me souviens, en tant que représentant CGT à la Ceca dans les années 1980, des discours du commissaire européen à l’Industrie, le vicomte Étienne Davignon, vantant les restructurations pour l’avenir de l’acier européen, et en particulier lorrain.

Tous ces politiciens ont armé le bras du profit maximal qui, à petit ou grand feu, tue tout ce qui reste encore de ce que fut la force de l’Europe, et en particulier de la France  : l’acier, symbole de développement et de progrès sociaux.

Gandrange nous avait déjà révélé ce qu’était ce dépeceur Mittal avec son unique but  : se faire du fric. Nous avons vu comment il avait manipulé Nicolas Sarkozy, incapable de s’y opposer par raison de classe et d’approvisionnement pour les entreprises utilisatrices d’acier, qui se ravitaillaient en laminés à bon marché grâce aux productions délocalisées.

Ici, les travailleurs de Florange ont vu le coup arriver, et ils se sont mis en lutte dans l’unité, ce qui n’avait pas toujours été le cas (n’oublions pas que les plans aciers de 1979 et de 1984, qui ont touché particulièrement la Lorraine et l’ont affaiblie, ont été signés par les organisations syndicales réformistes lorraines, et notamment par Jacques Chérèque, secrétaire de la CFDT puis préfet à la reconversion et ministre sous le gouvernement Bérégovoy). Alors, tant mieux si, aujourd’hui, les organisations syndicales défendent mordicus leur usine de Florange dans toute son entité avec la filière liquide et la filière laminage et transformation.

Je dis bricolage si la filière fonte est cédée, même au franc symbolique, et qu’elle est distinguée de la filière transformation en produits finis pour les industries de la métallurgie, que garderait le sinistre Mittal.

On parle d’un repreneur. Mais quel repreneur s’aventurera dans ces hauts-fourneaux à l’arrêt depuis plus d’un an, en sachant que le flibustier Mittal tient la filière produits laminés avec la clientèle française, notamment pour l’automobile ou pour les boîtes de conserves ou de boissons  ?

Et puis, comment faire preuve de plus d’amateurisme  ? Peut-on sérieusement envisager que Mittal s’engage à trouver un repreneur et à faire des investissements dans la filière laminage à chaud et à froid  ? Avec ce patron, qui n’a que le fric comme étendard, peut-on croire qu’il répondra présent pour trouver un concurrent qui viendrait chasser sur ses terres de profits  ? En existe-t-il un seul, d’ailleurs, prêt à le faire  ? Cela relève d’une naïveté coupable ou alors de ce que l’on pourrait appeler une opération de «  billard à trois bandes  » pour dire, au bout du compte, que tout a été fait et qu’on n’y peut rien  : une sorte de réédition de ce qui vient de se passer concernant Citroën Aulnay, où le gouvernement a vilipendé, dans un premier temps, le patron de Peugeot pour ensuite dire qu’il faut accepter de fermer l’usine moyennant un plan social.

Ce gouvernement –  j’ai entendu Arnaud Montebourg sur BFM – indique qu’une loi va obliger les entreprises qui délocalisent à s’assurer de retrouver un repreneur. Encore un coup fourré pour éviter ce que propose le Front de gauche  : la mise en place d’une vraie loi contre les licenciements boursiers en les interdisant purement et simplement.

Et Arnaud Montebourg indiquait sur BFM que cette proposition gouvernementale pourrait concerner Mittal. Allons donc  ! Mittal ferme non pas Florange mais un outil de production  : les hauts-fourneaux. Et il peut très bien ergoter qu’il maintient le site grâce à ses productions de laminage qui lui permettent de faire de fructueux profits, et ainsi ne pas être obligé de respecter la loi que proposeraient les socialistes.

L’idée d’un repreneur vient ici comme la bouée de sauvetage, elle est aléatoire, elle met en cause l’harmonie de la production d’acier et sa transformation sur le site de Florange. Elle engendrera inévitablement le doute sur sa crédibilité et les travailleurs seront laissés dans une situation de totale précarité avec la crainte à tout moment d’une remise en cause existentielle.

S’il faut un repreneur, il en existe un qui résistera aux déprédations de ce dépeceur Mittal  : c’est l’État. Ce qui suppose la nationalisation de toutes les usines françaises de la sidérurgie et la mise en place d’un plan pour utiliser les productions d’acier de Florange, de Fos et de Dunkerque pour les entreprises françaises de la transformation des métaux.

Il est temps encore d’y penser. Y compris au niveau de l’Europe, car l’acier risque de quitter le continent européen pour être fabriqué par des employés à bas salaires et dans les pires conditions de travail, comme c’est déjà le cas avec ce patron asservisseur.

Cela devrait être une revendication à débattre au niveau du projet industriel des syndicats européens, sinon la France mais aussi l’Europe n’auront plus que leurs yeux pour pleurer. Car il ne restera plus un gramme d’acier produit par l’Europe si on laisse ce brigand continuer à avaler les dernières entités industrielles de l’acier européen pour les recracher dans les crassiers des usines sidérurgiques mortes.

Bernard lamirand


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