Rupture "tranquille " de Sarkozy : Le risque de promotion des sectes

lundi 12 février 2007.
 

Nicolas Sarkozy souhaite doter les religions d’un véritable statut qui leur conférera certes des obligations

- et notamment celle de participer à la régulation sociale de la société

- mais surtout des droits vis-à vis de la puissance publique qui participera à leur financementetfacilitera le recrutement,la formation et la rémunération des ministres du culte.De cette manière, il pose inévitablement la question de la définition de la religion.Quelles sont les religions qui pourront prétendre à ce statut ?

En 1905, les cultes étaient clairement identifiés, on recensait en métropole les cultes catholique, réformé,luthérien et israélite et,en outre mer,l’islam.

Aujourd’hui, la situation est bien plus complexe

- les catholiques peuvent appartenir à plusieurs rites,sans même compter les intégristes fidèles du défunt Mgr Lefebvre ;

- les orthodoxes relèvent de différentes écoles ;

- de nouvelles églises protestantes sont apparues à côté des luthériens et des réformés :les Anglicans,les Baptistes,les Pentecôtistes, les évangélistes de toute nature ;

- il y a encore les bouddhistes, les hindouistes et bien évidemment les musulmans...

Cette énumération montre combien l’entreprise de Nicolas Sarkozy est aujourd’hui chimérique... Réalisable dans le contexte religieux simplifié du début du 20ème siècle, il ne l’est plus un siècle plus tard au temps de la multiplication des rites et de l’individualisation des pratiques et des croyances. Nicolas Sarkozy s’est tout simplement trompé de siècle.

Et que faire en premier lieu avec les mouvements fondamentalistes ? Des intégristes catholiques,des églises évangélistes les plus fondamentalistes, des Juifs orthodoxes ou encore des fondamentalistes islamistes qui encouragent le port du voile dans les écoles ? On sait que Nicolas Sarkozy est particulièrement bienveillant à leur égard :« Que des hommes de foi croient « fondamentalement », fondent leur vie sur la foi et veuillent respecter les fondements de leur religion, quoi de plus normal  ? »(17).

Il semble ignorer que le fondamentalisme peut être parfois incompatible avec la liberté de conscience et certaines des lois de la République. Jean Louis Langlais,président de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires jusqu’en août 2005,remarquait dans une interview donnée au Nouvel observateur(18) : qu’« une lecture littérale du dogme religieux peut conduire à des pratiques qui mutilent la liberté individuelle ».

Et que faire, ensuite, des sectes qui revendiquent le statut de religion ? Cette revendication procède d’une stratégie globale visantà obtenir une reconnaissance officielle. Elle se heurte aujourd’hui au principe de la séparation des églises etde l’Étatqui renvoie les pratiques religieuses à la sphère privée, et ne reconnaît aux pouvoirs publics aucune compétence pour définir ce qui est religieux et ce qui ne l’estpas.Mais quand un statutdes religions existera, les pouvoirs publics serontcontraints de répondre aux sollicitations des sectes eton peutcraindre à juste titre qu’elles ne parviennent que trop souvent à obtenir satisfaction.

Les expériences étrangères le prouvent. En Autriche, une loi de 1998 a créé un statut de « communauté confessionnelle » qui permet,au bout d’une période de dix ans, d’accéder à la catégorie des religions reconnues.Les Témoins de Jéhovah bénéficient d’ores et déjà de ce statut et il est fort probable qu’ils seront considérés comme une religion reconnue au bout de ces dix années (en 2008). En Italie, les communautés religieuses peuvent signer des accords avec l’État afin d’entretenir des aumôneries, d’assurer l’instruction religieuse des élèves dans les écoles publiques, de célébrer des mariages civilement valables et de bénéficier des mêmes financements publics que l’église catholique.Les Témoins de Jéhovah ont signé un accord avec l’État.Au Québec, le statut de « corporation religieuse »,qui permet de bénéficier d’exonérations fiscales, a été accordé au mouvement Raëlien en 1994.

Nicolas Sarkozy ou l’apologiste du modèle communautariste religieux

La France a déjà fait l’expérience de cette tendance irrésistible à la reconnaissance des sectes lorsqu’ils existentdes avantages accordés aux communautés religieuses.Cette situation se rencontre heureusementrarementpuisque le principe de séparation de l’église et de l’État a précisément pour objet de libérer l’État de toute appréciation ou qualification concernant les convictions religieuses ou philosophiques.

Elle se rencontre pourtant car la suppression du service public des cultes décidée en 1905 a conduitle législateur à prévoir le remplacementdes établissements qui en avaient la charge par des associations cultuelles.Ces associations s’inscrivent bien évidemment dans le cadre des associations déclarées prévues aux articles 5 et6 de la loi de 1901.

Toutefois,au fil des ans,plusieurs avantages,notamment fiscaux, leur ont été accordés. Obéissant à un régime de droit commun destiné à organiser la séparation des églises et de l’État, les associations cultuelles ont été ainsi dotées d’un régime dérogatoire.

Elles bénéficient d’une exonération de taxe foncière pour leurs édifices affectés à l’exercice d’un culte, depuis la loi du 14 juillet 1909 complétée par l’article 112 de la loi du 29 avril 1926.Depuis la loi du 13 janvier 1941, cette exonération s’applique à tous les édifices cultuels, y compris ceux qui ont été acquis ou construits postérieurementà 1905.Contrairement aux associations de droitcommun,elles peuvent,depuis une loi du 25 décembre 1942,recevoir « des libéralités testamentaires et entre vifs destinées à l’accomplissementde leur objetou grevées de charges pieuses ou cultuelles ».

Elles bénéficient d’un régime de faveur en matière de droits de mutation à titre onéreux depuis l’adoption d’une ordonnance du 30 décembre 1958. Enfin, depuis la loi du 23 juillet 1987,les dons consentis aux associations cultuelles peuvent ouvrir droit à des déductions fiscales pour les donateurs,dans la limite de 5 % du revenu imposable pour les personnes physiques,et de 3,5 ‰ du chiffre d’affaires pour les personnes morales.

On comprend mieux pourquoi la principale offensive juridique menée par les sectes sur le terrain de la reconnaissance religieuse porte sur le régime de l’association cultuelle prévu par la loi du 9 décembre 1905. Les Témoins de Jéhovah ont ainsi engagé une bataille juridique de grande envergure,en incitant leurs associations locales à contester devant le juge administratif les décisions d’assujettissement à la taxe foncière dont elles font l’objet. Et ils ont fini par la gagner !

Loin de renforcer la lutte contre les dérives sectaires, l’ambition de Nicolas Sarkozy de doter les religions d’un véritable statut risque d’aboutir au résultatinverse :la légitimation par le droitde certaines sectes se prévalant du statut de religion ! Alors que l’État laïque peut sans difficulté lutter contre les dérives sectaires au nom des troubles à l’ordre public,il sera contraint,dans la logique sarkozienne, de financer des sectes et de leur assurer des privilèges fiscaux !

Et cette pente dangereuse sera d’autant plus rapidement et facilement dévalée que les Etats-Unis, au nom de la liberté de conscience, militent pour l’octroi du statut de religion à certains groupes sectaires. Le département d’Etat américain, dans les rapports annuels qu’il consacre à la liberté de religion dans le monde,a déjà mis,à plusieurs reprises, la France à l’index. Dès 2000, il dénonçait la «  stigmatisation de certaines religions en les associant à tort à des cultes ou sectes dangereux » et déplorait qu’« un rapport de l’Assemblée nationale de 1996 de même qu’un rapportparlementaire de suivi de 1999,étiquettent 173 groupes comme "sectes",décisions qui ont contribué à une atmosphère d’intolérance envers les minorités religieuses. Quelques uns des groupes de cette liste sont d’évidence dangereux, mais la plupartsontseulementmal connus ou impopulaires  ». Un an plus tard, il qualifiait les Scientologues, les Raëliens, les adeptes du Vajra Triomphant et ceux de l’Ordre du Temple Solaire de « groupes religieux minoritaires » !

Dans ce contexte,Nicolas Sarkozy pourra-t-il résister à l’amicale pression américaine, lui qui se veut le plus américain des hommes politiques français, lui qui veut rompre avec le modèle social européen au profit du modèle américain ? Il ne pourra plus, pour récuser les prétentions américaines, se réfugier derrière la séparation organique entre l’État et les églises puisqu’il l’aura fragilisée afin de légitimer l’intervention de l’État dans la sphère reli gieuse. Parions qu’il finira par céder au nom de la liberté des consciences et de l’amitié transatlantique !

Il le fera à sa manière, de façon habile, sans s’exposer directement,en laissant les juges se prononcer en lieu et place du pouvoir politique. Et ce qui est déjà arrivé avec les témoins de Jéhovah en France se reproduira avec d’autres mouvements sectaires  !

Le statut de religion leur sera accordé et l’État, dans son nouveau rôle de promoteur des religions, participera à leur financementetfacilitera le recrutement, la formation etla rémunération des ministres de ces cultes sectaires !

Nul doute que les scientologues seront les premiers à bénéficier de ce nouveau statut ! On se souvient en effet que Nicolas Sarkozy a pris le temps de recevoir à Bercy etde déjeuner longuementavec Tom Cruise le 30 août2004 alors que Jacques Chirac avaitrefusé de recevoir l’acteur membre de l’église de scientologie.

Le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie ne pouvait ignorer la véritable nature de l’église de la scientologie.C’est une organisation manipulatrice, uniquement préoccupée par la rentabilité financière, qui joue sur la culpabilité des adeptes pour les retenir,en sacrifiantleur vie familiale et relationnelle, en leur soutirant des sommes astronomiques pour des prestations qui ne semblent jamais apporter les résultats escomptés. Elle figure parmi les 173 sectes recensées dès 1996 par l’Assemblée nationale et la commission de l’Assemblée nationale constituée en 1999 pour enquêter sur la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes ainsi que sur leurs activités économiques et leurs relations avec les milieux économiques et financiers. Ces rapports citentla Scientologie comme « le meilleur exemple » de secte ayant bâti sa fortune sur la vente et l’investissement dans le monde de l’entreprise !

Le président de l’UMP ne pouvaitpas non plus ignorer l’engagement de Tom Cruise en tant que scientologue. L’acteur fait en effet preuve d’un fort prosélytisme et parlait ouvertement de la scientologie dans le texte de l’interview qu’il a fait distribuer juste avant son entrevue à Bercy. Les deux protagonistes auraientd’ailleurs,selon Tom Cruise, parlé « de tout, de scientologie, de cinéma, de vie familiale ». Voilà qui donne du crédit à l’hypothèse évoquée lors d’une émission 90 minutes de Canal + selon laquelle le « premier passage » au Ministère de l’Intérieur de Nicolas Sarkozy aurait abouti à une baisse de la surveillance de la scientologie et à la mise à l’écart d’un policier en charge du dossier. En tout cas,et sans aller aussi loin dans la mise en cause du président de l’UMP, il est clair que cette entrevue a bien plus servi les intérêts de l’église de la scientologie que ceux de la lutte contre les dérives sectaires !


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