Nicolas Sarkozy remet en cause le modèle laïque français

dimanche 4 février 2007.
 

En effet, la France en particulier, et l’Europe de manière plus générale,diffèrent considérablement du modèle américain. Outre-Atlantique,la religion a précédé l’État et a créé la société politique. Et même si l’État fédéral américain est constitutionnellement laïque, les États-Unis sont sociologiquement empreints de religiosité. L’État est laïque mais la société pas du tout !

À l’inverse,l’Europe a été marquée par un profond conflit entre l’Eglise et les Etats. De ce conflit est né un modèle européen d’organisation des relations entre les religions et l’Etat selon lequel la religion est une affaire totalement privée dans laquelle la sphère publique ne doit interférer qu’avec d’infinies précautions. « Ce modèle européen » s’est décliné de manière différente selon les traditions nationales.

Selon Jean-Baubérot et Françoise Champion, on peut distinguer deux logiques d’autonomisation de la société et du politique à l’égard de la religion : une logique de sécularisation dans laquelle cette autonomisation s’effectue par le bas, à partir de la société civile elle-même, et une logique de laïcisation dans laquelle elle s’effectue par le haut, à partir de l’État. La première concerne les pays à dominante protestante qui connaissent une mutation interne de leurs églises, la seconde touche les pays à dominante catholique beaucoup plus marqués par le conflit entre les ordres étatique et religieux. La religion a donc cessé sur l’ensemble du continent européen de structurer l’organisation, les sources et les finalités de nos sociétés démocratiques.

En ce sens, tout le continent est laïque mais seules les nations dans lesquelles la logique de laïcisation fut à l’oeuvre ont instauré une séparation stricte de l’église et de l’État. C’est notamment le cas de la France. Elle est sortie de l’affrontement entre la République et l’église catholique en organisant une séparation stricte entre d’une part l’église et d’autre part la société et l’État. Cela s’est fait en deux temps.

Celui tout d’abord de la laïcité de combat. « Le cléricalisme, voilà l’ennemi » s’écrie Gambetta à la Chambre le 4 mai 1877. Une série de lois est adoptée dans les années 1880 afin d’émanciper l’école et la société de l’emprise de l’église catholique :

- la loi du 12 juillet1880 supprime l’obligation du repos dominical ;

- celle du 15 novembre 1881 abolit les distinctions de croyances dans les cimetières ;

- celle du 5 avril 1884 réglemente les processions ;

- la loi Naquet du 27 juillet 1884 rétablit le divorce ;

- la loi du 14 août 1884 supprime les prières publiques dans les assemblées ;

- la loi du 21 décembre 1800 crée un enseignement secondaire public de jeunes filles ;

- la loi du 6 juin 1881 instaure la gratuité de l’enseignement primaire public et celle du 9 mars 1882 son caractère laïque et obligatoire ;

- la loi Goblet du 30 octobre 1886 laïcise le personnel des écoles publiques, elle exclut également l’Eglise et toute référence religieuse des lieux où ils étaient traditionnellement présents : la famille, les funérailles, l’enseignement ou encore l’hôpital.

Vient ensuite le temps de la laïcité de liberté avec la loi de 1905 de séparation de l’église et de l’État. Car lorsque la laïcité devient une qualité de l’État, Nicolas Sarkozy ou l’apologiste du modèle communautariste religieux elle se modifie. De laïcité de combat, elle devient alors une laïcité de liberté.

C’est Aristide Briand,le rapporteur de la loi à la Chambre des députés, qui saisit le mieux la transformation de la laïcité lorsqu’elle devient la qualité de l’État : « Quel est le but que vous poursuivez ? Voulez-vous une loi de large neutralité, susceptible d’assurer la pacification des esprits... ? »(15) . « Vous reprenez votre liberté ; il n’est que justice que vous laissiez à l’église la sienne et que vous lui permettiez d’en jouir dans les limites où l’ordre public n’en sera pas menacé »(16).

La loi de 1905 est donc avant tout une loi de pacification car elle est une loi non seulement de neutralité de l’État mais également d’organisation de la liberté de religion, elle permet de réintégrer dans la République ceux qui s’en sont fait exclure, et tout d’abord les catholiques. Jaurès ne s’y était d’ailleurs pas trompé. Il voulait clore la question religieuse pour pouvoir enfin traiter de la question sociale.

C’était le leitmotiv de ses discours en 1905 :« il est urgent de le faire pour passer à la question sociale ». Nicolas Sarkozy poursuit un siècle plus tard un objectif diamétralement opposé : rouvrir la question religieuse pour ne pas traiter la question sociale. N’ayant rien à proposer pour résoudre les problèmes sociaux de notre société, si ce n’est donner les pleins pouvoirs au marché,il prend argument de la diversité de notre société pour réhabiliter les identités communautaires et revenir sur la loi de 1905 et chacun des trois piliers de la laïcité française : l’autonomie des cultes,la liberté religieuse, et le respect de l’ordre public.

Premier pilier de la laïcité française, l’autonomie des cultes résulte de la séparation de l’État et des églises. Elle est proclamée dès l’article 2 de la loi de 1905 :« la République ne reconnaît,ne salarie,ni ne subventionne aucun culte ».En accordant des droits et des obligations aux religions, Nicolas Sarkozy bafoue le principe de séparation de l’État et des églises et fragilise l’autonomie des cultes. Sous le prétexte fallacieux d’actualiser la loi de 1905, il propose en fait de revenir au régime bonapartiste du concordat de 1801 et des articles organiques de 1802. Avec ses textes, Bonaparte avait organisé le clergé catholique. Certes,il n’en avait pas fait une religion d’État
- puisqu’il avait également doté d’un statut les cultes luthérien, calviniste et israélite - mais il avait organisé un régime de cultes reconnus par l’État. C’est exactement ce que Nicolas Sarkozy propose aujourd’hui aux Français en revenant sur les principes de la loi de 1905. Une administration des cultes qui octroiera le statut de religion et donc les privilèges qui y sont associés.

Deuxième pilier de la loi de 1905,la liberté religieuse est la conséquence de la séparation de l’église et de l’État. Au terme de l’article 1er de la loi de 1905, « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public » mais elle ne peut le faire que parce que le principe de séparation libère l’État de toute appréciation ou qualification concernantles convictions religieuses ou philosophiques.

Comme l’a dit André Philipp,alors président de la commission de la Constitution, devant l’assemblée constituante le 29 août 1946, « la laïcité n’est pas une philosophie, ni une doctrine,c’est simplementla coexistence de toutes les philosophies,de toutes les doctrines, le respect de toutes les opinions etd e toutes les croyances  ».Revenir sur la laïcité,c’est amener l’Etat à faire le tri dans les philosophies,les croyances et les opinions  ! En fait,Nicolas Sarkozy propose aux Français un retour à la tradition du gallicanisme de l’Ancien régime, une tentative d’appropriation de l’église par l’État,ou, à tout le moins,un contrôle politique des églises de France.

Le respect de l’ordre public, troisième pilier de la laïcité française,est la seule limite à la liberté religieuse (comme d’ailleurs aux autres libertés). La République garantit la liberté des cultes « sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public » selon les termes mêmes de l’article premier de la loi de 1905. Aucune liberté n’est absolue et pas plus la liberté de conviction religieuse ou philosophique que les autres.Cette liberté peut être source de danger pour la société et pour les individus ainsi que nous le rappelle le développement des mouvements sectaires.

Or la laïcité de l’État facilite en France le traitement juridique de la question des sectes.En effet, l’État n’a pas à qua lifier certaines doctrines de secte ou de religion, il se contente d’apprécier si les activités des groupes sectaires peuvent être poursuivies devant les tribunaux.Cette approche a fait les preuves de son efficacité. Nicolas Sarkozy propose d’en saper les fondements,c’est-à-dire le principe de séparation des églises et de l’État.


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