1992 : François Hollande défend la mondialisation capitaliste et l’Europe libérale

lundi 14 septembre 2015.
 

Je suis allé sur le site de l’Assemblée nationale pour examiner les comptes-rendus du débat du 6 mai 1992.

Ceux qui veulent vérifier et approfondir pourront le faire aisément.

L’acceptation de l’union économique et monétaire est explicitement reconnue par Hollande comme l’acceptation de la mondialisation.

Extrait :

« Car ce qui est en cause, ce n’est pas le marché unique, pas plus que l’union économique et monétaire. C’est, plus fondamentalement, l’acceptation par la France des règles de la mondialisation. C’est parce que nous avons accepté la mondialisation que nous sommes aujourd’hui soumis à des contraintes monétaires, budgétaires, financières.

Dés lors, le seul débat qui compte - et il a été posé tout à l’heure par le groupe communiste - c’est de savoir si nous acceptons les règles du capitalisme international ou si nous ne les acceptons pas. Si nous entrons dans le jeu de la mondialisation, alors les contraintes financières, monétaires et, subsidiairement, européennes s’imposent.

Aussi, le débat sur « moins d’Europe ou plus d’Europe » devrait être un débat sur « plus d’intégration dans le marché international ou moins d’intégration sur ce même marché ».

La vraie rupture n’est donc pas par rapport à un ordre européen jugé supranational, mais par rapport à un ordre international fondé sur la libre circulation des capitaux. »

Le plus drôle, ou le plus tragique, aujourd’hui alors que la spéculation ravage l’Union, ce sont les affirmations de Hollande à l’époque. On ne sait si elles doivent être attribuées à la démagogie ou à la naïveté.

Extraits :

« C’ est donc l’union économique et monétaire, la monnaie unique, qui permettra de tarir la source de la spéculation sur le territoire européen. »

« De plus, la Banque centrale européenne sera placée sous le contrôle - en tout cas, le traité le précise- d’une autorité économique forte : le conseil des ministres. C’était la proposition constante de la France. Cela permettra à la politique monétaire européenne d’être déterminée non pas par les gouverneurs des banques centrales, comme c’est aujourd’hui le cas - et encore à peine, puisque c ’ est en fait le gouverneur de la Bundesbank – mais par des responsables politiques. Qui s’en plaindra ? »

Au moins, à l’époque, François Hollande disait clairement son choix en faveur de la mondialisation capitaliste (pléonasme volontaire). Aujourd’hui, force est de reconnaître que sa promesse de campagne non tenue pour renégocier le TSCG ne doit rien à la naïveté, tout à la démagogie.

Cordialement,

Didier

2) Texte intégral de l’intervention de François Hollande le 6 mai 1992

Madame le ministre, monsieur le garde des sceaux, je concentrerai mon propos essentiellement sur la monnaie unique et l’union économique et monétaire.

L’Europe aura donc une monnaie unique au plus tôt le 1er janvier 1997, au plus tard le 1er janvier 1999. Cette perspective justifie à elle seule un débat qui, on l’aura compris, n’est pas simplement constitutionnel. Philippe Séguin résumait hier, avec talent quoique un peu longuement, des arguments généralement utilisés par les opposants les plus irréductibles à l’union économique et monétaire. A ses yeux, la monnaie unique constituerait une perte majeure de souveraineté nationale, sans avantages décisifs au plan économique.

Je me permettrai, pour ce qui me concerne, de discuter cette assertion sur deux plans .

Premièrement, est-on vraiment sûr que l’union économique et monétaire corresponde à un réel abandon de souveraineté ? Deuxièmement, le statu quo actuel n’est-il pas la pire des hypothèses pour l’économie française ?

Tout d’abord, nous devons constater que, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France a toujours accepté des disciplines monétaires fortes. Que l’on songe aux parités fixes nées avec le système de Bretton Woods en 1945, qui était rattaché à l’or : les parités ne pouvaient fluctuer au-delà de leur valeur pivot de plus de 1 p . 100 . Ce système a vécu près de trente ans . Puis, en 1972, à la suite d’un plan, déjà « plan d’union économique et monétaire », dit plan Werner, on a créé un « serpent monétaire » qui, lui-même, prévoyait des contraintes de change . S’il n’a vécu que peu de temps, ce serpent monétaire a été remplacé en 1978 par un « système monétaire européen », lequel prévoyait - et, à l ’époque, il y avait eu aussi une discussion constitutionnelle là-dessus, notamment à l’initiative de Michel Debré - une mise en commun des réserves de change, en particulier des réserves en or, et la création d’un fonds monétaire européen qui ressemblait quelque peu à la Banque centrale européenne du traité de Maastricht.

Donc, depuis longtemps, qu ’ on le veuille ou non, la France a consenti à des abandons de souveraineté en matière monétaire. Certes, nous avions aussi gardé, si je puis dire, le bénéfice de la dévaluation et, au fil du temps, nous avons cédé à ce délice-là, quelles que soient les majorités politiques . Mais la dévaluation est devenue, au-delà de la liberté que l’on peut garder, une opération de plus en plus difficile à réaliser et, en outre, une opération humiliante car soumise à l’ accord de nos partenaires européens.

On nous dira que, malgré tout, nous gardons une liberté de manœuvre dans le maniement de la politique monétaire, dans la gestion de la politique budgétaire, voire dans la politique conjoncturelle .

Quelle illusion ! L’abandon du contrôle des changes, l’ouverture et la libéralisation des marchés, l’internationalisation de l’économie, qu’ici la plupart des parlementaires ont acceptée, voire réclamée, rendent l ’autonomie de nos décisions plus que relative.

Il est vrai qu’il n ’ existe pour l’instant sur le plan communautaire aucune norme quant à des déficits budgétaires . Mais qui ne voit que les marchés en ont construit une de toutes pièces, qu ’ ils appliquent avec constance ? C ’ est vrai qu’il n’existe pas au niveau communautaire de règle automatique dans la gestion des masses monétaires. Mais qui ne voit que les opérateurs, sur les marchés, observent à la loupe les indicateurs, avec une méticulosité qui les amène souvent à « surréagir » par rapport à des phénomènes purement conjoncturels ?

On peut feindre de croire que la France est aujourd’hui seule au monde, qu ’elle peut imposer sans risque n ’ importe quel système fiscal, n’importe quel déficit budgétaire, n’importe quelle gestion monétaire et l’on peut alors s’effaroucher de l’union économique et monétaire, qui briserait cette liberté-là . C’est au mieux une naïveté, au pire une hypocrisie de la part de ceux qui ont tant milité pour l ’ intégration de la France dans le marché international des capitaux . Car ce qui est en cause, ce n’est pas le marché unique, pas plus que l’union économique et monétaire . C’est, plus fondamentalement, l’acceptation par la France des règles de la mondialisation. C’est parce que nous avons accepté la mondialisation que nous sommes aujourd’hui soumis à des contraintes monétaires, budgétaires, financières.

Dés lors, le seul débat qui compte - et il a été posé tout à l’heure par le groupe communiste - c’est de savoir si nous acceptons les règles du capitalisme international ou si nous ne les acceptons pas . Si nous entrons dans le jeu de la mondialisation, alors les contraintes financières, monétaires et, subsidiairement, européennes s’imposent.

Aussi, le débat sur « moins d’Europe ou plus d’Europe » devrait être un débat sur « plus d’intégration dans le marché international ou moins d’intégration sur ce même marché ».

La vraie rupture n’est donc pas par rapport à un ordre européen jugé supranational, mais par rapport à un ordre international fondé sur la libre circulation des capitaux. Le débat que nous devons avoir aujourd’hui, si nous parlons de la monnaie unique ou de l’union monétaire, n ’est pas un débat européen, mais un débat profondément politique sur la place de la France dans la division internationale du travail.

Certes, les plus prudents des opposants à l’union économique et monétaire voudraient arrêter la construction monétaire là où elle est arrivée aujourd’hui . Cette apologie du statu quo serait pour notre pays la pire des hypothèses, le pire des cas de figure.

Comment fonctionne le système monétaire européen aujourd’hui ?

Après avoir longtemps eu des effets plutôt vertueux en imposant à des pays généralement peu scrupuleux au regard des grands équilibres des politiques économiques plus réalistes, le système monétaire européen est devenu depuis quelques années une machine monétaire fonctionnant à rebours des intérêts des pays sages. En effet, en raison du mécanisme de stabilité des changes, ce sont les pays les plus inflationnistes, les plus déficitaires qui imposent aux autres pays du système leurs taux d’intérêt élevés puisque les capitaux cherchent le meilleur rendement en se portant sur les places jugées les plus avantageuses, quelle que soit la monnaie de référence, puisque nous sommes dans un système d changes stables, voire fixes .

C ’est donc le pays consentant les taux d’intérêt les plus élevés qui attire les capitaux les plus abondants . D’où la perversité d’un système qui permet aux places financières des pays les plus déficitaires, les plus inflationnistes, d’avoir les capitaux les plus abondants, tant ils sont payés par des taux d’intérêts élevés ! Dans ce contexte, la France, qui enregistre moins d’inflation et moins de déficit que l’Allemagne, est contrainte de consentir des taux d’intérêt réels plus élevés tant que ce polymonétarisme au niveau communautaire demeure . Tant que, dans le système monétaire européen, il peut y avoir des arbitrages entre plusieurs monnaies et que l’on est dans un système stable, c’est le pays le plus inflationniste qui impose aux autres ses taux d’intérêt.

Paradoxalement, c’est donc la monnaie unique qui fournira à l’Europe la clé de la baisse des taux d’intérêt, puisqu’elle privera la spéculation de ses instruments d ’ action sur la plupart des places européennes.

A l’ inverse, si nous différons le choix de l’union économique et monétaire ou si nous nous contentons de la monnaie commune que M. Balladur, M. Séguin ou d’autres ont appelée de leurs vœux, les avantages disparaîtront et les arbitrages entre les devises des différents pays européens ou entre ces devises-là et l ’ écu continueront de perturber le marché et obligeront à une fluctuation encore plus forte des taux d’intérêt . La monnaie commune, c’est le maintien de la spéculation à l’intérieur des frontières du système monétaire européen.

Le système monétaire européen actuel organise, en effet, une fausse stabilité monétaire, puisqu’elle se paie par des variations de taux d’intérêt supposées compenser des ajustements réels qui ne s ’opèrent plus.

C’ est donc l’union économique et monétaire, la monnaie unique, qui permettra de tarir la source du la spéculation sur le territoire européen. C’est la monnaie unique qui permettra un niveau de taux d’intérêt plus bas qu’aujourd’hui. Rappelons qu’aujourd’hui le niveau des taux d ’ intérêt en Europe est bien supérieur à celui que l’on constate aux Etats-Unis et au Japon. Dans une certaine mesure, notre construction monétaire, aujourd’hui, nous oblige à des taux d’intérêt plus élevés que dans le reste du monde. Pour terminer, je reviendrai un moment sur deux arguments utilisés par M. Séguin dans le débat d’hier.

Il a d’abord mis en cause l’indépendance de la Banque centrale européenne. Le débat, là aussi, est légitime . Outre que la thèse est curieuse venant d’un responsable politique dont la formation n’a eu de cesse de militer pour l’indépendance de la Banque de France, et qui a même déposé une proposition de loi dans ce sens elle n ’ est pas juste, puisque, jusqu’à nouvel ordre, la Bundesbank, qui impose la politique monétaire européenne et qui est directrice dans le maniement des taux d ’ intérêt, n’est pas précisément sous le contrôle des autorités politiques françaises. De plus, la Banque centrale européenne sera placée sous le contrôle - en tout cas, le traité le précise- d’une autorité économique forte : le conseil des ministres. C’était la proposition constante de la France.

Cela permettra à la politique monétaire européenne d’être déterminée non pas par les gouverneurs des banques centrales, comme c’est aujourd’hui le cas - et encore à peine, puisque c ’ est en fait le gouverneur de la Bundesbank – mais par des responsables politiques. Qui s’en plaindra ?

M. Séguin a également évoqué la normalisation de la politique économique, et notamment fiscale, provoquée par l’union économique et monétaire. Mais que n’a-t-il protesté de 1986 à 1988, lorsque le gouvernement de Jacques Chirac faisait baisser l’impôt sur les sociétés, la TVA ou la fiscalité du patrimoine - rappelons-nous la suppression de l’impôt sur les grandes fortunes - en fonction d’impératifs européens, d’une concurrence européenne accrue ou d ’une harmonisation européenne ? Que n’a-t-il protesté, avec d’autres, de 1988 à aujourd’hui lorsque les gouvernements de Michel Rocard, d’Edith Cresson et maintenant de Pierre Bérégovoy ont demandé des allégements d’impôt au nom de cette même harmonisation ?

M. Pascal Clément. Il fallait les faire !

M. François Hollande. Ce qui m’amène à penser qu’aujourd’hui il y a bien, derrière le débat européen, un débat plus politique. Car tantôt nous faisons de l’Europe l’auxiliaire d’une politique économique qui ne serait pas forcément admise au plan national, tantôt en nous faisant un bouc émissaire commode devant des difficultés purement nationales.

M. Chiades Ehrmann. On peut en dire autant de Roland Dumas !

M. François Hollande. N’utilisons donc pas l’Europe quand cela nous arrange, et notamment pour des politiques fiscales qui ne sont pas les plus progressistes, mais ne l’utilisons pas non plus lorsque nous ne voulons pas procéder à des ajustements qui relèvent de notre propre autorité nationale.

En fait, nous voulons toujours l’Europe comme un accommodement devant notre manque de courage national, nous n’en voulons plus lorsque nous souhaitons retrouver une volonté qui, jusque-là, ne s’est pas exprimée.

M. Alain Bonnet. Très bien !

M. François Hollande . A cet égard, l ’union économique et monétaire se situe dans la continuité, qu’on le veuille ou non, d’une politique économique et monétaire engagée depuis plusieurs années . Et derrière le débat sur l’union économique et monétaire, la seule question qui est de savoir si cette politique économique est bonne ou mauvaise . Si on la considère comme mauvaise, alors, oui ! il faut se battre contre l’union économique et monétaire . Si en la considère comme bonne, il y a peu de motifs pour mener cette bataille. Le débat, à mon sens, doit donc moins porter sur le traité d’aujourd’hui que sur les principes mêmes de la construction européenne fixés voilà déjà plus de trente ans . Maastricht, de ce point de vue, n’est pas une rupture, tout juste une accélération d’un processus d’ailleurs trop lent.

(Applaudissementssur les bancs du groupe socialiste et du groupe de l’Union du centre.)


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