Halte au populisme "télécratique"

vendredi 26 janvier 2007.
 

Aujourd’hui, face à l’échéance électorale, le danger d’un nouveau populisme politique s’impose à nous, les Français. Cette tentation politique est une conséquence directe de ce qu’il faut appeler un populisme industriel, lequel consiste à réduire la conscience à un "temps de cerveau disponible" (selon l’expression de Patrick Le Lay) et transformer la société en une masse d’individus désaffectés, conduisant à ce que le procureur Jean-Claude Martin a appelé, à propos des assassins d’Ilan Halimi, "le degré zéro de la pensée".

La France souffre. Il semble qu’il n’y ait plus de vie sociale possible : la famille, l’école, l’Etat, les savoirs (savoir-faire, savoir-vivre, savoir théorique) et les institutions publiques ou privées sont en voie de destruction. La télévision, le marketing et la communication, qui dominent massivement la vie publique, sont les premiers facteurs de cette ruine. Ils ont détruit nos désirs et libèrent les pulsions. Car lorsque le désir ne lie plus les pulsions à travers les structures sociales capables de les transformer en sublimation, c’est-à-dire en inventions sociales (artistiques, scientifiques, politiques, techniques, etc.), les pulsions se déchaînent et ruinent la société.

Tel est le règne de la "télécratie". Et c’est dans ce contexte que Ségolène Royal a fait sa percée. Produit de cette télécratie qui remplace l’opinion publique par des audiences de cerveaux privés de conscience, elle a compris que ce devenir nécessite une rupture reconstituant les circuits sociaux du désir - une "démocratie participative". En l’état actuel de son discours, une telle perspective n’est pourtant absolument pas crédible.

Elle ne commencera à le devenir qu’à deux conditions : d’une part, qu’elle dénonce la machine pulsionnelle qu’est devenue la télévision, qui l’a élevée au rang de seule alternative crédible au populisme de Nicolas Sarkozy, et qu’elle entre en lutte contre la télécratie, qui détruit les structures sociales de la société. D’autre part, qu’elle engage en France et propose à l’Europe une politique industrielle de développement des technologies coopératives que rendent possibles les réseaux numériques, par quoi elle ouvrirait l’ère d’un nouveau modèle industriel aussi bien que d’une véritable démocratie participative, capable d’inventer un mode de vie européen, rompant ainsi avec "the american way of life" qui fascine M. Sarkozy, c’est-à-dire avec un consumérisme devenu toxique aussi bien pour les esprits que pour la planète. A cette condition, Mme Royal pourra élargir sa base électorale et, si elle est élue, mettre en oeuvre un programme de gouvernement reposant sur des "idées neuves" dont "il ne faut pas avoir peur", comme elle y insiste, et pour lesquelles elle trouvera de très nombreux soutiens.

Il est grand temps qu’un vaste mouvement social pacifique mais résolu s’oppose à la télécratie qui détruit l’espace et le temps publics et qui emporte irrésistiblement les hommes et les femmes politiques de France et d’ailleurs vers des formes de populisme variées mais toutes plus dangereuses les unes que les autres. Ce mouvement du renouveau devrait précéder, accompagner et dépasser le vote de 2007 en commençant par déplacer la question politique vers un autre terrain que celui du marketing politique.

Par Bernard Stiegler,

Philosophe


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