"Il faut renforcer l’Etat pour que la France n’ait plus peur de la mondialisation" (Ségolène Royal)

vendredi 30 juin 2006.
 

Une nouvelle génération arrivera au pouvoir en 2007. Y a-t-il encore un message français à l’international ?

Non, hélas. La France est inaudible parce qu’elle ne met en oeuvre ni chez elle ni dans sa politique étrangère ce qu’elle proclame à l’extérieur. Les beaux discours de Jacques Chirac sur les droits de l’homme ou sur l’environnement ne sont pas appliqués. Cela ridiculise notre pays et ruine sa crédibilité. Avec François Mitterrand, la France tenait son rang parce qu’on la créditait encore d’une vision en phase avec son histoire et avec l’état du monde. Il faut redonner à la France une voix qui porte. Elle l’aura si elle est capable d’éclairer sans passéisme les transformations que nous vivons, si elle affirme une ambition sans arrogance et y conforme ses actes. Il faut redéfinir tous ces enjeux de façon plus démocratique. Aujourd’hui, le Parlement est très peu associé à la politique étrangère. Les Français sont passionnés de politique. Ils ne sont, contrairement à ce qu’on dit, pas indifférents aux questions internationales. Les grands choix diplomatiques, ça les regarde.

Au lendemain de la présidentielle, la réforme des institutions européennes sera à l’ordre du jour. Faut-il renégocier la composition de la Commission, le droit de vote des Etats ?

Il faudra un nouveau traité et surtout un traité social. L’Europe actuelle n’a qu’une jambe économique. Sans sa deuxième jambe sociale, rien n’est possible. Mais je crois surtout qu’il faut donner à l’Europe du souffle et du sens. Il lui faut une idée aussi forte que le fut, du temps de ses fondateurs, l’Europe de la paix. On n’avancera réellement que si l’Europe prouve sa capacité à protéger, à faire reculer le chômage de masse, à incarner un avenir plus heureux. Plus encore que de règles techniques, c’est d’une vraie volonté politique dont nous avons besoin pour construire ce que j’appelle l’Europe par la preuve, qui conjugue l’émulation (stimulante), l’harmonisation (sociale et fiscale) et la mutualisation (champions industriels, programmes de recherche, bonnes pratiques managériales et sociales). L’autre sujet, pour moi, c’est la visibilité de l’Europe, qui n’a pas d’incarnation, pas de président, ni de ministre des affaires étrangères, ni de porte-parole et ne pèse pas sur l’évolution du monde. C’est à l’Europe réelle de rejoindre l’Europe de l’utopie.

Nicolas Sarkozy est pour un directoire à six pour gouverner l’Europe. C’est une bonne ou une mauvaise idée ?

Je me méfie de la domination de quelques-uns sur tous les autres. On a beaucoup heurté par certaines déclarations sur les prétendus petits pays. Regardez les dommages causés par Jacques Chirac dans les pays de l’Est...

Si vous êtes élue, allez-vous respecter les contraintes du pacte de stabilité ?

Il faut desserrer le carcan budgétaire pour que les investissements qui préparent l’avenir n’entrent pas dans le calcul des déficits. Quand la Suède, dans les années 1990, était en pleine crise avec un chômage massif, elle a investi dans la recherche et le développement. Pendant deux ans, cela a fait des déficits provisoires, mais ils sont sortis de la crise et ont maintenant moins de 5 % de chômage.

Sur la mondialisation, Lionel Jospin avait dit "l’Etat ne peut pas tout" à propos de Michelin. Le reprenez-vous à votre compte ?

La mondialisation ne prive pas l’Etat de sa responsabilité. Au contraire ! Pour que la France n’ait plus peur de la mondialisation et même en tire parti, il faut renforcer le rôle de la puissance publique pour lutter contre les précarités et inventer de nouvelles sécurités, empêcher les délocalisations purement financières, anticiper et accompagner les mutations, et aider les entreprises à innover et à créer les emplois de demain.

Quel rôle joue cet Etat ? Quelle forme prend sa protection ?

L’Etat a un rôle déterminant. Même dans les pays qui se disent libéraux, il intervient plus qu’on ne croit. Aux Etats-Unis, la recherche et l’innovation bénéficient d’investissements publics importants, civils et militaires. Lors de la crise financière asiatique, ceux qui ont tiré leur épingle du jeu sont ceux qui, comme la Malaisie, ont opposé aux règles du FMI une politique où l’Etat garde le contrôle du calendrier et des modalités d’ouverture au marché mondial. En Grande-Bretagne, Tony Blair a investi dans les services publics. En Suède, si à l’aise avec la mondialisation, le modèle d’Etat est très poussé, modernisateur, redistributeur, solidaire, financeur actif de la recherche. Et l’un des obstacles majeurs au développement africain, c’est l’absence d’Etat solide et non corrompu. Chaque fois que l’Etat est faible, les pays ont du mal à décoller ou à faire face.

On ne reproche pas tant à l’Etat de ne pas être fort mais d’être inefficace...

L’Etat, lui aussi, doit accomplir une mutation et vivre avec son temps. Il faut redéfinir sa mission, c’est ce que l’opinion réclame. Et donner aux services publics les moyens humains et matériels de faire correctement leur travail. Il doit investir beaucoup plus dans la recherche et l’innovation pour préparer l’avenir puisque le fonctionnement à court terme du marché ne permet pas les choix à long terme.

Sans l’Etat, il ne sera pas possible de préparer l’après-pétrole. Mais il doit aussi libérer les énergies, encourager le goût d’entreprendre, pousser les entreprises à faire preuve d’audace et de créativité. Le service public doit apporter les formations professionnelles qui permettront de changer d’emploi sans dommage, de rebondir ou de se reconvertir avec l’assurance d’un filet de sécurité et d’un accompagnement individuel de qualité. Il faut mutualiser les risques entre les salariés et les entreprises. La droite a estimé qu’en précarisant le contrat de travail, on aurait moins de chômage et plus d’efficacité économique. L’échec est là. Avec 10 % d’emplois réellement créés, le CNE (contrat nouvelles embauches) a surtout abouti à des effets d’aubaine et de substitution.

Face à l’émergence de la Chine et de l’Inde, faut-il ériger des barrières douanières pour faire une forteresse de l’Europe ?

Les meilleures forteresses ont toujours été investies. L’Europe ne doit pas être sur la défensive mais offensive. Elle en a les moyens. Je déplore le discours défaitiste de certaines élites. A les entendre, la France est en déclin. C’est faux : elle reste un pays attractif pour les investissements internationaux, elle a de belles réussites à son actif et beaucoup de talents. Elle doit reprendre confiance en elle, avoir une posture conquérante mais sans arrogance, être au clair sur ses valeurs, ses atouts, et oser les affirmer.

L’Europe doit peser pour introduire dans le commerce international des critères sociaux et environnementaux. Elle doit assumer la compétition tout en protégeant son industrie contre la concurrence abusive. Il ne s’agit pas de revenir à un modèle protectionniste mais de faire émerger des filières industrielles à dimension européenne. Ce n’est pas parce qu’EADS connaît des difficultés qu’il faut renoncer aux grands projets dans des domaines comme l’aéronautique, les transports, l’énergie et la santé. En politique nationale comme à l’échelle européenne, le volontarisme industriel a un sens et il faut l’incarner.

Certains pays investissent dans la high-tech. Mais, en France, les réticences sont grandes sur les nanotechnologies, la recherche sur les cellules souches, les OGM... pro-science ou principe de précaution, comment choisir ?

Si de nombreux chercheurs s’installent aux Etats-Unis, c’est parce qu’on leur donne là-bas les moyens de travailler dans de bonnes conditions. Notre recherche est aujourd’hui asphyxiée : elle devra être, après 2007, une vraie priorité nationale. La liberté et l’indépendance du chercheur sont essentielles. Ce qui ne signifie pas, bien sûr, qu’il n’y a pas une éthique de la recherche. Mais les citoyens ont le droit de connaître les enjeux des découvertes et des innovations qui affectent leur vie : quand ils sont confisqués, la peur peut l’emporter et le principe de précaution s’appliquer de manière excessive.

Il y a eu beaucoup de mensonges : sur le nuage de Tchernobyl, sur l’amiante, les pesticides et la question des cancers, l’impact des OGM. En France, un tournant a été pris avec le sida : les associations de malades ont exigé de savoir. Le patient qui subit l’injonction scientifique, ça ne passe plus. Mais il reste beaucoup à faire pour que les citoyens, qui se posent des questions légitimes, ne subissent plus les diktats d’experts décidant à leur place des risques et des choix qui concernent l’ensemble de la société.

Attac est en crise. Que faut-il retenir de l’altermondialisme ?

Beaucoup de bonnes questions et des mobilisations qui ont forcé à se les poser. Ils ont réussi à bousculer les choses sur la liberté d’accès à des biens partageables. L’idée qu’un autre monde est possible est quand même plus stimulante que l’injonction de se résigner au désordre des choses !

Etes-vous favorable à la taxation sur les avions de Jacques Chirac ou les aides privées à la Bill Gates sont-elles plus efficaces ?

On ne fera pas l’économie d’une fiscalité mondiale. Sur les avions, pourquoi pas ? Ou avec une taxe de type Tobin ou une taxation écologique sur les émissions de carbone, par exemple, qui permettrait de financer les biens publics mondiaux. Ce qui est important, c’est l’utilisation de ce qu’on collecte.

Il faut repenser de fond en comble la coopération et l’aide au développement, en se concentrant sur quatre enjeux majeurs : l’eau, l’école, l’environnement, la santé, et en favorisant les micros-crédits. Les femmes sont aux avant-postes de ces sujets. En Afrique, elles assurent 98 % du travail de la terre mais bénéficient seulement de 5 % des aides. Quand j’étais ministre de l’environnement, je suis allée voir où était passée l’aide. Elle n’était jamais arrivée jusqu’à ses destinataires. Au Mali, j’ai donc fait un chèque sur place directement à des associations. Il faut court-circuiter les Etats corrompus et aller directement vers les sociétés, notamment les réseaux de femmes. C’est une utopie réalisable.

Propos recueillis par Arnaud Leparmentier et Isabelle Mandraud


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