Au secours, le MEDEF revient !

lundi 10 septembre 2012.
 

Jean-Marc Ayrault est allé ouvrir l’université d’été du MEDEF, le 29 août. Pourquoi ? En commençant son discours, il a ironisé : « Je m’étonne de l’étonnement que suscite ma présence parmi vous ». S’il fallait prolonger cette sorte de déclaration à tiroir, on pourrait répliquer que nous nous étonnons de son étonnement devant notre étonnement. En effet sa présence n’avait rien de naturel ni même de légitime. Car c’est bien la première fois qu’un premier ministre en exercice prononce le discours d’ouverture. Cela n’a donc rien de « normal ». Quand Jean-Marc Ayrault compare cette situation avec celle du maire de Nantes qu’il a été et qui fréquente les « chefs d’entreprise de sa commune », il se moque du monde. La République a des exigences que la localité ne connaît pas. Enfin, l’honneur d’être la figure de proue du premier gouvernement de gauche depuis dix ans créé un devoir particulier. Sa présence à cet endroit et son caractère exceptionnel fonctionne évidemment comme un symbole ! Lequel ?

Pourquoi est-il là ? Pour appeler à une mobilisation ? Pour expliquer le seuil franchi avec la défaite de Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle ? Pour fixer les nouvelles règles du jeu que la toute puissante organisation patronale devra respecter dorénavant ? Pour inviter au respect des syndicalistes maltraités depuis dix ans ? N’est-ce pas là la condition de base de ce dialogue social avec lequel il fait à tout propos et hors de propos des vocalises ? Non rien de tout cela. Il est venu pour montrer la patte blanche de ses bonnes intentions et même pour insister assez lourdement sur ses convergences de fond avec cet organe central d’un certain patronat. Les paroles douces n’ont pas manquées. Ainsi quand il affirme : « Je suis attentif à vos propositions ». Lesquelles ? Mais surtout en déclarant : « Vous pouvez compter sur le soutien du gouvernement ». Le soutien, carrément ! Imaginons la même phrase à l’endroit d’un syndicaliste salarié ! Comme si tout était possible en même temps : « soutenir » le MEDEF et les revendications des salariés ! Ces déclarations contre-nature pour le chef d’un gouvernement de gauche ont conduit Bernard Thibault à demander le jour même au gouvernement de choisir entre les demandes du MEDEF et celles des salariés. Et plutôt que de répondre sur le fond, Jean-Marc Ayrault a ironisé sur ces critiques.

Cette façon de parler a évidemment un contenu politique. C’est une façon de reconnaître au MEDEF son rôle de cache-sexe. Le Medef représenterait « les entreprises ». Il ne serait pas un mouvement politique. Et c’est aussi une amnistie. Le MEDEF n’aurait aucune responsabilité dans la période Sarkozy. Pourtant c’est l’ensemble de son programme que celui-ci a appliqué. Martine Billard a publié un livre sur le sujet et chacun peut s’y rapporter ! A entendre ce discours, on pourrait même se demander si les salariés jouent encore un rôle dans l’économie. Voyez plutôt : « Je veux mettre l’entreprise au centre de nos politiques économiques » ou encore : « C’est l’entreprise qui est au cœur de processus de croissance et de création d’emplois. » Ou bien : « Le gouvernement que je dirige veut encourager la France qui entreprend parce que c’est la condition de la croissance, de création de valeurs et d’emplois ». On se rend compte avec de telles déclarations que le premier ministre a adopté le point de vue de classe qui est habituellement celui de la droite : le moteur de l’économie serait le capital et non pas le travail qualifié des salariés. Ce n’est pas tout.

On pourrait se dire que tout cela n’est que « parole verbale ». Mousse sur un os trop rude à avaler d’un coup. Pas du tout. C’est au contraire l’énoncé de la prémisse des vieilles rengaines éculées de cette sorte de patronat. Les convergences de vue avec le MEDEF ne se sont donc pas arrêtées aux généralités. Elles ont aussi porté sur des points concrets de la doctrine patronale, que l’on retrouve habituellement dans la bouche de l’UMP. On a ainsi appris de Jean-Marc Ayrault que « la réforme fiscale visera à améliorer la compétitivité des entreprises ». Ou encore que le système éducatif devrait « favoriser l’acquisition de compétences ». Les « compétences » ! Le mot est connoté à la fois dans le vocabulaire de l’enseignement professionnel et dans celui des conventions collectives. Nous sommes les défenseurs des « qualifications » ! Un concept beaucoup plus large qui vise un mode d’apprentissage et de savoirs beaucoup plus larges et durables que les « compétences » étroites et périssables dont le MEDEF considère que les jeunes peuvent se contenter. La différence entre les deux termes entraîne en cascade la question de la hiérarchie des salaires dans les conventions collectives.

Je veux revenir sur ce blanc-seing donné au MEDEF de représenter « les entreprises » en général et non un mouvement très particulier. Dès le début de son discours, Jean-Marc Ayrault s’est adressé « aux chefs d’entreprises » en général comme si le MEDEF les représentait tous. Tout au long de son discours, il a fait comme s’il s’adressait aux entreprises en général, et même à l’ensemble de l’économie, en parlant au seul MEDEF. Or le MEDEF ne représente pas « les entreprises » en général, et encore moins l’économie du pays. En fait, le MEDEF usurpe régulièrement la représentativité patronale en s’arrogeant le droit de parler au nom de l’ensemble des chefs d’entreprises et même des entreprises tout court. C’est un point que j’ai déjà eu l’occasion d’aborder pendant la campagne présidentielle, en particulier dans mon discours de Vierzon, le 3 avril. J’y suis revenu à plusieurs reprises dans un silence médiatique qui est une véritable signature. J’y reviens. Des pans entiers de l’économie ne sont pas représentés par le MEDEF. Par exemple, l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie n’est pas membre du MEDEF. De même, l’Union des industries alimentaires qui emploient 500 000 salariés s’est désaffiliée du MEDEF en 2010. Elle était le cinquième contributeur du MEDEF. Pourquoi l’industrie agro-alimentaire a-t-elle quitté le MEDEF ? Parce qu’elle considérait qu’elle manquait de visibilité et d’influence face à d’autres branches puissantes du MEDEF comme la métallurgie. Elle s’estimait aussi mal défendue face à d’autres secteurs patronaux comme la grande distribution. Enfin, elle jugeait insuffisante la prise en compte des intérêts des PME alors même que Laurence Parisot vantait la "PME attitude". Car 92% de l’industrie alimentaire est constituée de PME. Du coup, l’industrie alimentaire trouvait excessif le niveau de sa cotisation au MEDEF.

Il y a aussi les chefs d’entreprises qui s’affilient à d’autres organismes considérés comme représentatifs. C’est le cas par exemple de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises ou de l’Union professionnelle des artisans. Ainsi, Jean-François Roubaud, le président de la CGPME a déclaré le 15 mars 2012 dans Le Figaro que « La vérité est que nous avons des points de divergence avec le Medef qui ne peut pas représenter et les grandes entreprises et les TPE/PME. Il n’est donc pas illogique qu’il y ait plusieurs organisations patronales, comme il y a plusieurs types d’entreprises dont les intérêts sont souvent communs mais parfois différents ». J’ajoute que deux secteurs sont complètement exclus de la représentativité patronale et ne peuvent participer aux négociations interprofessionnelles. C’est le cas des professions libérales qui constituent pourtant le quart des entreprises de France. C’est aussi la situation des 800 000 entreprises de l’économie sociale et solidaire. Elles emploient 2 millions de salariés dans les associations, coopératives, mutuelles, etc. Les employeurs de l’économie sociale ont présenté leur propre liste aux élections prudhommales de 2008. Ils ont obtenu 19% des voix. Mais ils sont exclus des négociations interprofessionnelles. Pourquoi ? Comment le MEDEF peut-il avoir obtenu un tel privilège de représentation que Jean-Marc Ayrault est venu cautionner sans précaution de langage ?

S’il en est ainsi c’est grâce à l’UMP qui a protégé le MEDEF lors de la réforme de la représentativité syndicale en 2008. La représentativité des organisations de salariées est désormais assise sur le résultat aux élections professionnelles dans les entreprises, les branches et au niveau national. Cela crée certaines difficultés. Mais cela s’applique aux syndicats de salariés. Les salariés choisissent les organisations qui les représentent. Par contre, l’amendement du rapporteur UMP Jean-Philippe Poisson prévoyant la négociation d’un accord sur la représentativité patronale a été retirée sous la pression du gouvernement et du MEDEF. Et la réforme de la représentativité patronale promise par François Fillon en 2010 n’a jamais été présentée. Les organisations patronales représentatives continuent donc de disposer d’un privilège. La représentativité patronale est une zone de non-droit. C’est l’Etat qui reconnaît arbitrairement trois organisations représentatives (MEDEF, CGPME, UPA) en dehors de toute règle légale et de tout critère de représentativité. Ces trois organisations se partagent 700 000 mandats dans les organismes sociaux, sans aucune élection.

On comprend pourquoi. En octobre 2011, la très libérale "Fondation Concorde" a publié une étude intitulée « Renforcer la voix du monde de l’entreprise : projet pour moderniser la représentation patronale ». On y apprend que le « taux moyen d’adhésion à une organisation syndicale [patronale] (Medef, CGPME, UPA) » ne dépasse pas… 8% ! C’est-à-dire autant que la proportion de salariés syndiqués. Pourtant si l’on entend souvent des attaques contre la représentativité des organisations de salariés, on n’en entend rarement contre celle des organisations patronales. Pourtant, les premières font régulièrement la démonstration de leur capacité à mobiliser des millions de salariés. Le MEDEF prouve-t-il autre chose que sa capacité à avoir le bras long et à bénéficier d’une étrange omerta sur ce qu’il est vraiment ?

Tout cela est conforme à la doctrine « démocrate » constante de François Hollande depuis 1984 et cette tribune parue dans « Le Monde » sous le titre : « Pour être moderne soyons démocrate ». De cette ligne d’action, de son contenu et de son contexte, j’ai fait le sujet d’un livre : « En quête de gauche ». L’un des points de la « méthode » démocrate est l’effacement de la conflictualité sociale dans le discours. Les « démocrates » situent leur point de vue « entre les intérêts de l’entreprise et ceux des salariés ». Ce qu’ils résument en se disant « à l’écoute des unes et des autres ». Le tour de passe-passe est dans l’énoncé. Car si l’on voit qui sont « les salariés », on ne voit pas dans ce genre de formule que le mot entreprise et le mot patronat sont sous-entendus comme équivalents. Pourtant « entreprises » et patronat ne sont pas équivalents. Loin de là. L’entreprise est un collectif de production. Cette idée englobe les machines, les processus de production, la qualification des travailleurs, la nature et la qualité du produit. Cet ensemble est pertinent quelle que soit la nature de la propriété de ladite entreprise. La concurrence des produits et de leur valeur d’usage finit toujours par établir un standard de production imposé à tout producteur. Le patronat par contre est une classe sociale. Ses intérêts sont distincts de ceux de l’entreprise. La meilleure façon de le vérifier est de constater comment certains patrons ou certaines familles patronales peuvent être conduits à liquider leur entreprise dans le seul objectif de maximiser le profit qu’ils en retirent. Un point de vue de gauche est donc à la fois « favorable à l’entreprise » et hostile au patronat organisé sur ses intérêts de classe. Mieux : dans la période du capitalisme financier transnational on ne peut pas « être favorable à l’entreprise » sans être hostile aux organisations de classe du patronat. La qualification, la stabilité de l’entreprise, le développement des produits innovants qui ont une utilité sociale et écologique avérées, tout cela impose des stratégies de long terme et de faible taux de profit qui sont incompatibles avec la cupidité et le court-termisme ordinaire du capitalisme de notre temps. En brouillant tous ces repères Jean-Marc Ayrault n’a rendu service à personne. Et même pas à lui. La preuve.

A peine sortie de sa rencontre à caractère municipal avec le MEDEF, Ayrault s’est fait mordre la main qui caressait. La madame Parisot s’est dite en attente et les autres chefs de clan ont dit qu’ils étaient perplexes et je ne sais quoi selon la grande tradition du « toujours plus » de cette bande. Bel aveu involontaire que cette phrase de madame Parisot disant « nous ne faisons pas semblant d’aller mal ». Bref, une visite pour presque rien. Le lendemain, Montebourg se faisait huer sur place. Voilà ce qu’il en coûte d’aller au contact sans rapport de force. Le MEDEF a parfaitement analysé la faiblesse du gouvernement et il en tire aussitôt profit.


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