« Il faut une prise de contrôle publique du système bancaire »

vendredi 24 août 2012.
 

par Jordi Escuer. Membre d’Izquierda Unida et de 
la plate-forme madrilène pour 
la nationalisation 
des caisses 
d’épargne, 
cet Espagnol se bat avec des associations, notamment pour 
la nationalisation
 de Bankia.

Comment est née 
la plate-forme 
et quels sont 
ses objectifs ?

Jordi Escuer. Elle est née en juin 2011, dans la communauté de Madrid, à l’initiative de membres d’Izquierda Unida, d’Attac, de représentants d’associations d’habitants et d’anciens conseillers de la Caja de Madrid, la caisse d’épargne régionale. Nous réclamons que l’ensemble des caisses d’épargne, qui représentent en Espagne la moitié du système de financement de l’économie, soient nationalisées au lieu de les privatiser. Dans notre région, nous demandons la nationalisation de la Caja de ­Madrid qui, avec six autres caisses, est devenue aujourd’hui Bankia, l’une des «  grandes stars  » de la crise financière espagnole.

Mais nationaliser Bankia, 
pour quoi faire ?

Jordi Escuer. Pour la transformer en banque publique, sous contrôle ­démocratique, et qu’elle puisse ­développer elle-même l’activité du secteur et des services publics, et s’attaquer au problème ­majeur de ­l’Espagne : 5,5 millions de ­travailleurs au chômage. Sans banque publique, on ne pourra pas engager une grande politique de création d’emplois.

Avec les caisses d’épargne, nous avions un système de banques semi-publiques, mais elles ne fonctionnaient pas ­correctement. Il s’agirait de limiter les rémunérations des dirigeants, de démocratiser le système d’élection des directions, de changer leur fonctionnement. Par exemple, elles ont financé largement les promoteurs immobiliers, au lieu de promouvoir le système public du logement.

Les problèmes du système financier espagnol se limitent-ils aux caisses d’épargne ?

Jordi Escuer. Les banques privées ont des problèmes similaires. La ­tentative de réduire la crise du ­système ­financier espagnol à celle des caisses d’épargne vise à justifier la privatisation de ces dernières. L’avantage qu’a, à l’heure actuelle, une grande banque privée comme Santander, c’est d’avoir une activité bénéficiaire hors d’Espagne qui lui permet de couvrir une partie de ses pertes. L’ensemble des banques espagnoles ont cette particularité d’avoir un ­niveau de fonds propres très bas par rapport à leurs dettes. En moyenne, leur rapport est de 
1 à 29, alors qu’il devrait être de 1 à 6. Même la banque Santander a un ratio très élevé.

Cette crise du système financier est-elle uniquement due à ses engagements dans la spéculation immobilière ?

Jordi Escuer. La bulle immobilière est un problème très important, mais ce n’est pas le seul. Dans le cadre du plan européen, le gouvernement nous dit que les banques ont besoin de 60 milliards d’aides, c’est faux. En matière de crédits immobiliers et de crédits à la construction, les crédits douteux se montent, selon des chiffres officiels, à 180 milliards d’euros. La proportion de crédits immobiliers aux ménages à risques est, à l’heure actuelle, assez faible mais elle peut augmenter car les familles font les plus grands sacrifices pour garder leur logement. Et avec la deuxième récession en cours, nombre d’entre elles risquent de ne plus pouvoir tenir. Le taux de risque des crédits bancaires va donc augmenter.

Existe-t-il, selon vous, d’autres risques ?

Jordi Escuer. Les grandes entreprises espagnoles sont aussi très endettées. Contrairement à ce qui est affirmé, la plus grande part de la dette espagnole vient du privé et non du public. L’État n’a pas les moyens à lui tout seul de pallier tous ces déséquilibres, c’est pour cela qu’il fait appel aux aides européennes.

Mais comme les uns et les autres ne veulent pas reconnaître la gravité de la situation et que, sans ces aides publiques, la banque espagnole s’effondrerait, à chaque fois un nouveau problème apparaît. En outre, ils pensaient que l’économie allait repartir mais, au contraire, en raison des coupes budgétaires et du recul du crédit à l’économie, elle entre à nouveau en récession, ce qui fausse donc tous leurs plans.

Pourtant, manifestement, ces aides publiques ne semblent pas permettre de résoudre la crise…

Jordi Escuer. Effectivement. Nous en sommes à la quatrième réforme bancaire et, à chaque fois, la situation empire. Par ailleurs, les banques ne vont pas pouvoir rembourser ces aides. L’État espagnol a soutenu le système bancaire à concurrence d’un montant de 215 milliards d’euros. La plus grande partie sous forme de 133 milliards d’euros de garanties. Le reste est constitué par des apports en capital. En outre, la Banque ­centrale européenne a prêté 325 milliards d’euros aux banques espagnoles et la plus grande part a bénéficié aux deux grandes banques, BVA et Santander. Sans cette aide, elles connaîtraient de grandes difficultés.

Quelles mesures proposez-vous ?

Jordi Escuer. Il faut des audits réalisés par des professionnels du public, ­indépendants des directions. À partir de là, nationaliser les caisses d’épargne et, pour les autres banques, transformer les aides en participations publiques avec l’entrée de représentants dans les conseils d’administration, de telle façon qu’il y ait une prise de contrôle publique du système bancaire. À partir de ces audits, il faut déterminer les dettes à rembourser, celles qui ne doivent pas l’être et imputer les pertes en premier lieu aux gros actionnaires et créanciers, intervenir dans les filiales ­installées dans des paradis fiscaux, etc. ­Actuellement, les banques prêtent à des taux d’intérêt très élevés. Pour les ménages, le crédit à la consommation est ­autour de 20 % ; dans l’immobilier, il est environ de 10 %. Nous considérons qu’elles doivent jouer leur rôle ­auprès des entreprises et des familles qui ont besoin de financements. La droite continue à considérer qu’il faut accorder sans cesse plus d’aides au système financier. Le Parti ­socialiste (PSOE) ne dit pas autre chose. Lui et les organisations syndicales du secteur ont participé à la direction des caisses d’épargne et ils ont ­accepté pendant des années qu’elles fonctionnent davantage comme des banques que comme des institutions ayant une ­vocation sociale, et cela, c’est une hypothèque politique qui tire en arrière la gauche et dont nous ne nous sommes pas encore ­dégagés. La gauche doit rompre avec ces ­pratiques.

Entretien réalisé par 
Pierre Ivorra, L’Humanité


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