Il est urgent de prendre des mesures pour les mathématiques

vendredi 3 août 2012.
 

Par Michèle Artigue, professeure émérite (Université Paris-Diderot), présidente du comité scientifique des Instituts de Recherche sur l’Enseignement 
des Mathématiques (CS-IREM), Jean-Pierre Kahane, membre de l’Académie des Sciences, professeur émérite (Université Paris-Sud), ex-président du CS-IREM, 
Jean-Pierre Raoult, professeur émérite (Université Paris-Descartes), ex-président du CS-IREM.

Depuis la publication des résultats des concours de recrutement 2012 des professeurs de collèges et de lycées, de nombreux articles ont fait état de la baisse inquiétante, dans de nombreuses disciplines, du nombre de candidats, et notamment de ceux jugés par les jurys aptes à être admis. Ce phénomène n’est pas nouveau, mais 2011 en a marqué une importante aggravation, confirmée en 2012.

Cette situation ne surprend pas tous ceux qui, dans les universités, les associations de professeurs et de parents d’élèves, les syndicats, dénoncent, depuis plusieurs années, les difficultés devant lesquelles se trouvent les jeunes professeurs. Ces difficultés ont été aggravées par une réforme hâtive du mode de formation liée à l’obligation de valider, en sus du succès au concours de recrutement, un diplôme universitaire de niveau baccalauréat plus cinq (ce qu’on a appelé la «  mastérisation  »). Un discours politique assurait que cette réforme améliorerait la qualité de la formation, les conditions de son application ont prouvé le contraire. Le découragement des étudiants était inévitable, informés qu’ils sont des difficultés de leurs aînés, placés devant des classes avec une formation professionnelle insuffisante  ; de plus, nombre des plus modestes d’entre eux ont pu être rebutés par la disparition de la rémunération en dernière année des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM).

En mathématiques, cette carence en candidats est flagrante  : alors que le nombre de postes mis au concours du certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement secondaire (Capes) est resté globalement stable (environ 950 en 2012 comme en 2006), le nombre de candidats présents a chuté de 4 129 en 2006 à 1 464 en 2012, avec un saut entre 2010 et 201, division par deux, de 2 695 à 1 303. Les jurys se sont jugés incapables de pourvoir tous les postes mis au concours en 2011 (574 reçus) et 2012 (652 reçus). L’effet de la mastérisation sur cette cassure de 2010 à 2011 est net, mais il se rajoute au phénomène plus ancien de baisse constante des effectifs d’étudiants dans les filières mathématiques des universités et même de celle des nombres d’élèves en spécialité mathématique au lycée. Les causes de ce phénomène sont complexes, faisant intervenir à la fois des facteurs liés aux réformes du système scolaire et des motifs d’ordre sociologique.

Les signataires de cette tribune, qui ont pu observer de près la situation ainsi créée, tiennent à exprimer leur conviction du besoin d’un enseignement mathématique de bon niveau, contrairement à l’option de diminution accrue de la place de cette matière avancée par certains, option exprimée récemment dans une contribution au New York Times et reprise en France dans les colonnes du Monde. Les mathématiques sont un élément indispensable de formation du citoyen. Aujourd’hui, au côté de leur rôle traditionnel de formation de l’esprit, et dans le contexte de la généralisation des moyens informatiques, elles arment les jeunes face à la masse de données, graphiques, statistiques… qui envahissent les médias comme les secteurs professionnels. Elles sont part intégrante de l’activité scientifique et technique, et la qualité de leurs bases mathématiques est un atout reconnu des ingénieurs et autres professionnels formés en France. Le maintien d’une école mathématique de haut niveau est pour notre pays un facteur de rayonnement dont bénéficie l’ensemble de la communauté scientifique, en France et dans le monde.

La baisse du nombre d’enseignants ayant à la fois des bases solides, le goût de leur discipline et une bonne formation professionnelle se révèle donc catastrophique. Après des démantèlements multiples dans l’éducation nationale, dont ont souffert toutes les disciplines, il est urgent de prendre des mesures, dont certaines ne pourront hélas avoir d’effets qu’à moyen ou long terme. Parmi ces mesures indispensables, figure en premier lieu le rétablissement d’un mode de prérecrutement rémunéré, reconstituant celui que constituait, jusqu’à récemment, la deuxième année d’IUFM, voire l’améliorant à l’image des instituts de préparation à l’enseignement secondaire (Ipes) de jadis, créés en 1957. Il faut remédier d’urgence aux effets pervers du chevauchement entre le master et les concours de recrutement, en repensant la place de ces derniers. La mise en place, à la rentrée 2013, des «  écoles supérieures du professorat et de l’éducation  », annoncée par le gouvernement («  lettre aux enseignants  » du 26 juin 2012 de Vincent Peillon), peut fournir le cadre pour de telles mesures, qui doivent être accompagnées d’une réflexion de fond sur la formation des enseignants, harmonisant exigence dans la discipline et formation au métier.

Des mesures d’urgence s’imposent aussi, dont l’impact doit être examiné avec soin. Ainsi est envisagé le fait d’attribuer le Capes aux candidats non admis mais admissibles au concours plus difficile qu’est l’agrégation  ; cela ne peut concerner qu’un nombre limité de personnes, les candidats à l’agrégation étant souvent déjà en exercice dans l’enseignement  ; en mathématiques, il résulte d’une étude du président de l’assemblée des directeurs d’Irem que cette mesure ne pourrait sans doute bénéficier qu’à une cinquantaine de personnes alors que la différence entre le nombre de postes mis au concours et le nombre de reçus au Capes est de 300. Il peut être aussi envisagé de titulariser des personnes auxquelles il a été recouru comme vacataires, ce qui suppose un accompagnement de ces personnels n’ayant pas bénéficié de formation initiale appropriée.

Quelles que soient les solutions, la qualité de l’enseignement fourni nécessite aussi la constitution d’un vrai système de formation continue des personnels, avec une attention particulière à l’égard des plus fragiles, alors que leur formation permanente avait été sacrifiée par les gouvernements précédents.

Oui, la désaffection vis-à-vis du métier d’enseignant est un drame national. Les ambitions des gouvernants comme de toute la communauté éducative doivent être à la hauteur de sa gravité.

Michèle Artigue, Jean-Pierre Kahane, Jean-Pierre Raoult


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