Front de Gauche : et maintenant ?

samedi 7 juillet 2012.
 

Premières réflexions à l’issue de la séquence présidentielles-législatives. Claude Debons – Jacques Rigaudiat - 25 juin 2012.

La séquence électorale présidentielles-législatives est maintenant close. Le moins que l’on puisse dire est que la campagne du Front de Gauche aura connu des phases contrastées en passant du chaud au froid.

Le chaud, c’est la dynamique militante de la présidentielle, les grands meetings de masse, les liens tissés avec les entreprises en lutte et les syndicalistes, l’engouement populaire constaté ; même si, au final, il y a eu un décalage entre la dynamique militante forte et une dynamique électorale moindre. Il n’est pas anormal qu’après les échecs et déceptions accumulées depuis plusieurs années la remobilisation touche d’abord les franges les plus politisées ; pour les autres, il y faudra plus de temps.

Le froid, c’est le score des législatives, où le Front de Gauche progresse en voix et en pourcentage par rapport à 2007, mais recule sensiblement par rapport au score de la présidentielle — alors même que certains d’entre nous espéraient que la pression du « vote utile » serait moindre — et c’est la perte de députés sortants malgré des scores en progrès pour la plupart. Cela laisse le goût amer d’un groupe parlementaire diminué, d’un affaiblissement institutionnel rendant plus difficile de peser au quotidien sur le gouvernement, d’une image de défaite et d’échec propagée par les médias.

Même si la réalité est toujours plus complexe et contradictoire, même si l’acquis engrangé dans ces mois de campagne n’a pas disparu et constitue un socle substantiel pour continuer, il n’en demeure pas moins que le Front de gauche devra affronter l’avenir avec ces handicaps.

Il convient donc de se livrer à une analyse lucide de ce qui a conduit à un résultat bien éloigné de certaines affirmations (« nous serons en tête de la gauche », « nous allons devancer le Front national »), si l’on veut trouver les moyens de rebondir. Face à des militants troublés par les résultats, il est important de donner une grille de compréhension de ce qui s’est passé pour bâtir des perspectives. Nous avions déjà mis en garde, il y a un an, alors que nous prenions nos distances avec le Parti de gauche, contre « une analyse fantasmagorique de la situation française, décrite comme quasi-prérévolutionnaire » servant de « justification à une orientation protestataire-révolutionnariste » ne répondant pas aux attentes populaires réelles. Au vu de la séquence qui s’achève, nous n’avons rien à retirer à cette mise en garde qui nous apparaît au contraire prémonitoire. Dans ce texte, nous nous contenterons de souligner quelques aspects essentiels, considérant que d’autres contributions (rapport de Pierre Laurent, texte de Roger Martelli, remarques de Pierre Khalfa, etc.) complètent utilement l’analyse que nous proposons ici

1 - Le paysage politique ressort transformé de cette séquence électorale.

Nous ne développerons que brièvement et renvoyons aux textes ci-dessus évoqués.

L’élection présidentielle a vu une forte participation nourrie par sa place de clé de voûte de la 5° République, amplifiée par la volonté large de tourner la page du sarkozysme, par la violence de la campagne de Sarkozy sous pression du Front national. Elle a, en retour suscité la mobilisation à gauche.

Au premier tour, la droite réalise son plus mauvais score depuis 1988 (56,4 %) : le recul de Sarkozy et l’effondrement de Bayrou n’étant pas compensé par la poussée de Marine Le Pen, qui a confirmé la prégnance du FN sur la société française depuis 1984. La gauche (43,6 %) se retrouve à un niveau supérieur à 1995, mais reste en dessous des scores de 1974, 1981 et 1988. Ce sont les divisions à droite qui lui permettent de l’emporter. Eva Joly n’a pas réussi à occuper pleinement l’espace de l’écologie politique. Jean Luc Mélenchon a réussi à cristalliser sur son nom un électorat auparavant dispersé à la gauche du PS, réalisant un score à deux chiffres jamais obtenu par un candidat à la gauche du PS depuis Georges Marchais en 1981. Son score est meilleur que le total des voix du PCF et de l’extrême gauche en 2007 (+ 3,7 %), mais reste inférieur au même total enregistré en 2002 (- 2,8 %) et en 1995 (- 2,8 %). C’est indiquer tout à la fois des potentialités… et le travail de conviction qui reste à faire pour aller au-delà.

Les élections législatives ont connu une abstention qui atteint un niveau historique, signe qu’une part de l’électorat a considéré que l’essentiel était déjà fait (inversion du calendrier et proximité des dates aidant), mais aussi, sans doute, persistance du scepticisme devant la capacité du politique à changer les choses. La période de « Trente Glorieuses » et ses conquêtes sociales avaient alimenté la mobilisation électorale à gauche, relayée et amplifiée par le programme commun. La crise économique et l’impuissance des politiques de droite et de gauche à apporter des réponses ont cassé cette dynamique et alimenté un retrait du politique, notamment dans les classes populaires. Pour ceux qui sont allés voter, en tout cas, ils se sont exprimés en faveur des deux formations jugées les plus aptes à exercer les responsabilités du pouvoir. A gauche, il y eu la volonté de donner au président élu les moyens de sa politique. A droite, le choix s’est porté sur le parti jugé le mieux à même de s’opposer à la gauche et de préparer l’alternance, restreignant par là même les espoirs du Front national. D’où une réaffirmation marquée de la bipolarisation partisane et le recul des autres forces par rapport à la présidentielle. Pour le Front de Gauche, il est sensible avec la perte de plus de la moitié des voix (abstention et vote PS), un recul en pourcentage de 4 points environ et la perte de sièges qui en découle. Par contre, le Front de Gauche progresse par rapport au PCF en 2007 et retrouve une audience plus homogène sur tout le territoire. Mais cette progression n’empêche pas plusieurs de nos sortants d’être dépassés par des candidats PS en plus forte progression.

Ces campagnes auront permis à la gauche de l’emporter, mais Sarkozy a réussi à mieux résister qu’on ne l’imaginait malgré son discrédit. L’ampleur du vote PS aux législatives n’est-il que le produit de « la logique des institutions » et ne conduit-il pas à s’interroger à rebours sur la nature du vote Hollande : n’était-il que « par défaut », pour chasser Sarkozy, ou traduit-il une intériorisation de la gravité de la crise et une adhésion/résignation majoritaire à un changement mesuré ? La droite se trouve plongée dans la crise notamment sur l’attitude face au Front national : des digues sont tombées pour certains, alors que d’autres veulent les maintenir ; des recompositions s’annoncent. Le Front national a marqué des points, ce sont ses thématiques qui ont dominé le deuxième tour de la présidentielles, signe inquiétant que son travail d’élargissement de sa prégnance idéologique et politique se poursuit. Le Front de Gauche a confirmé sa place de deuxième force à gauche, mais n’a pas encore accédé à une crédibilité suffisante pour être considéré comme force pouvant conduire un changement concret à l’échelle du pays, cela reste à construire.

2 - Pour le Front de Gauche, la situation est désormais compliquée.

Il y a eu une progression électorale sur les trois ans écoulés, elle a validé la stratégie de rassemblement et permis d’installer le Front de Gauche comme deuxième force politique à gauche. Si le poids politique est conforté, le poids institutionnel s’est, par contre, affaibli avec la perte de la moitié des députés. Contrairement à ceux qui théorisent maintenant une ligne « extraparlementaire », pour mieux évacuer tout débat sur le bilan, nous considérons que, dans une société démocratique, notre affaiblissement parlementaire est un problème. Même si, dans notre conception, la lutte politique ne s’y réduit pas et inclut les mobilisations et interventions diverses, c’est bien l’articulation entre les différents niveaux qui peut donner une pleine efficacité. Quand l’un s’affaiblit, c’est l’ensemble qui se trouve fragilisé.

Bien sûr, il y a le mécanisme institutionnel de la 5° République et du scrutin majoritaire à deux tours qui rend difficile une existence autonome des deux partis dominants. S’il n’est pas idéologiquement et organiquement cristallisé (voir le jeu à quatre, voire cinq, à la présidentielle), le bipartisme PS/UMP ressort institutionnellement renforcé à l’Assemblée nationale. Quand la question du pouvoir est posée, il n’y a aujourd’hui que deux forces qui sont jugées crédibles par une majorité d’électeurs. Pendant longtemps, l’existence de « bastions » du Parti communiste a permis son affirmation autonome. Ce temps est désormais révolu, le Parti socialiste parvenant à évincer, élection après élection, plusieurs des sortants communistes. Bayrou et le Modem en ont aussi fait la douloureuse expérience. Force ascendante, le Front national a pu desserrer l’étau pour 2 ou 3 circonscriptions seulement ; ainsi il fera son entrée à l’assemblée et cela — c’est une première — sans le secours de la proportionnelle. Anticipant l’impossibilité pour eux d’avoir des élus par une voie autonome, Europe Ecologie Les Verts, MRC et Radicaux de gauche avaient négocié un accord programmatique et électoral les liant avec le PS. A droite, le parti radical et le nouveau centre avaient fait de même avec l’UMP. Cela aussi pose de redoutables questions stratégiques pour l’avenir et souligne l’urgence de la bataille pour un changement de mode de scrutin, mais le PS, à qui ce système donne la main sur ses partenaires, ira-t-il très loin dans la réforme promise ?

Bien sûr, le rejet de Sarkozy a bénéficié avant tout au candidat PS, jugé mieux à même d’assurer sa défaite. Le même phénomène s’est reproduit aux législatives, contrairement à l’espoir que certains d’entre nous pouvaient avoir qu’il y aurait moins de pression pour un « vote utile » qu’à la présidentielle. Cela doit nous interroger sur les raisons pour lesquelles nous n’avons pas réussi à suffisamment crédibiliser l’utilité du vote Front de gauche aux législatives. Mais il faut souligner que Hollande et le PS ont su mener les deux campagnes avec des « marqueurs » identifiants qui ont fonctionné : contre la finance (discours du Bourget), pour l’égalité et la justice (héritage républicain fort), pour d’autres choix européens (renégociation du traité Merkozy). Pour modestes qu’elles soient, les mesures prises ou annoncées dans cette toute première phase (retraites, abrogation de la circulaire Guéant, retour à la justice des mineurs, texte sur le harcèlement sexuel, majoration de l’allocation de rentrée scolaire, promesse pour le SMIC) et le dialogue social renoué ont modifié la perception des acteurs sociaux par rapport au mépris antérieur. L’affrontement mis en scène avec l’Allemagne et les manoeuvres pour contourner ses positions (réception d’émissaires du SPD allemand à l’Elysée, discussion en bilatéral avec Monti) ont été perçus comme une volonté bienvenue d’infléchir l’orientation européenne, même si cela reste à confirmer et concrétiser.

Enfin le PS a mené une vraie campagne nationale, donnant ainsi aux législatives leur véritable dimension. Tout cela a favorisé l’élection de députés de la « majorité présidentielle », les électeurs de gauche souhaitant donner à Hollande les moyens de mettre en oeuvre « le changement maintenant ».

Pour autant, il y a des explications qui relèvent de la responsabilité propre du Front de Gauche, de ses limites et de ses choix.

- A la présidentielle, notre campagne a connu trois phases.

- Une première, « bruit et fureur », qui nous laissait scotché à un bas niveau.
- Une seconde, plus « propositionnelle », scandée par les grands meetings de masse, construisant notre utilité pour toute la gauche en remobilisant des abstentionnistes et en ancrant la gauche à gauche pour garantir le changement ; elle nous a permis d’atteindre des sommets sondagiers.
- Une troisième, où nous avons donné à penser que nous tablions par avance sur l’échec de Hollande (« je suis le recours »), que nous nous désintéressions du changement ici et maintenant (refus, par principe et non sous condition politique, de participer à un gouvernement qu’on ne dirigerait pas, affirmation que « nous serons au pouvoir avant dix ans ») et que notre préoccupation première était la compétition avec Le Pen. Cela — avec la pression du vote utile — a contribué à nous amener au score final.

- L’utilité du vote Front de Gauche n’a pas été construite de manière suffisamment crédible ayant oscillé aux présidentielles entre l’ambition de supplanter le PS ou d’en être l’aiguillon et étant largement minorée aux législatives par la faiblesse, sinon l’absence, d’une campagne nationale.

La question de l’articulation au reste de la gauche a connu des réponses fluctuantes, au gré des personnes ou des moments, brouillant la perception de notre démarche et de notre visée. Le discours « révolutionnaire » permettait sans doute de soulever l’enthousiasme des franges politisées de l’électorat et de les faire adhérer à une certaine conception de la gauche : il ne pouvait — dans une situation qui n’est pas prérévolutionnaire — convaincre plus largement que nous constituions une alternative de pouvoir ou, plus modestement, que nous étions en capacité de changer la donne à gauche pour faire aboutir de meilleures propositions. La posture du ni-ni (ni dans l’opposition, ni dans la majorité) ne peut pas être comprise par des électeurs qui souhaitent que la gauche réussisse et peuvent être heurtés si l’on parie par avance sur son échec. Si, comme le disent certains sondages, 30 % des électeurs de Mélenchon ont voté PS aux législatives, cela doit nous interroger.

- Ce déficit de crédibilité a été renforcé par le choix fait, dès la présidentielle et prolongé par l’aventure téméraire d’Hénin Beaumont, d’une stratégie « front contre front » qui nous a déporté du message essentiel que nous devions porter : « Battre la droite et l’extrême droite et ancrer la gauche à gauche pour changer vraiment ». Pire, cela a conduit à une présentation médiatique du Front de gauche comme le « pendant » du Front national, ce qui n’était pas de nature à conforter notre crédibilité en termes de pouvoir. Ce « déport » a été d’autant plus sensible qu’il a manqué une visibilité nationale du Front de gauche dans la campagne des législatives. Ce sont essentiellement des campagnes locales qui ont été menées, privilégiant les « bons » représentants de circonscriptions, mais minorant ainsi l’enjeu national de ces élections. Au total, le résultat d’Hénin Beaumont où, en dépit des efforts militants, l’abstention a progressé et où l’audience du FN n’a pas été érodée doit servir de leçon pour l’avenir et nous interroger sur la meilleure manière de combattre le Front national.

- Enfin, il faut s’interroger sur la pertinence du concept de « révolution citoyenne », qui ne fait écho à aucune tradition historique nationale. Son caractère abstrait fait que les gens ne retiennent que le premier terme associé au « bruit et à la fureur », ce qui suscite nombre d’inquiétudes. Nous lui préférons pour notre part celui de « nouveau front populaire » impliquant une articulation entre luttes sociales et politiques.

En soulignant ces traits, nous ne méconnaissons pas l’ampleur de l’engouement et de la mobilisation permis par une campagne unitaire et dynamique avec un candidat au talent tribunicien incontestable. Il y a eu une nationalisation de l’audience du Front de Gauche sur tout le territoire, qui permet d’envisager une reconstruction plus ample ; mais cette dernière n’a toutefois pas permis d’enrayer l’usure des bastions communistes, ce qui complique la volonté d’autonomie par rapport au PS. Mais si nous voulons que le capital ainsi rassemblé ne soit pas érodé par la déception immédiate, il est absolument nécessaire d’avoir un réel examen critique de ce qui n’a pas fonctionné pour pouvoir le corriger utilement.

3 - Revenir aux contradictions réelles pour bâtir une stratégie crédible.

D’abord comprendre la nature spécifique de l’affrontement de classe qui se joue sur le continent européen et qui n’est pas réductible à une transposition mimétique des révolutions latino-américaines ou arabes. Il s’agit, pour la bourgeoisie, d’imposer un ordre nouveau, celui du capitalisme mondialisé, impliquant la remise en cause du “modèle social” hérité des rapports de forces de l’après seconde guerre mondiale. Or, cette confrontation intervient à l’issue de près de trois décennies d’offensives libérales, de défaites subies, de fragmentation sociale et de recul de la conscience de classe. Il faut bien mesurer que nous ne sommes plus dans la situation des « Trente Glorieuses » et des rapports de forces issus de la Résistance et de la Libération. Nous sommes dans le contexte de la mondialisation, de la mise en concurrence des systèmes sociaux et des régimes fiscaux compétitifs pour parler comme David Cameron, et du tournant libéral de l’Union européenne devenue instrument coordonné de démantèlement social, auxquels s’ajoute de surcroît le surgissement de la question écologique. Nous avons connu une dégradation profonde des rapports de forces, matérialisée par la modification de la répartition des richesses au détriment du travail, un recul des systèmes de solidarité et des services publics, une fragmentation du salariat sous l’effet du chômage de masse et de la précarité, la mise en concurrence des salariés entre eux par les nouvelles organisations productives. Ceci intervenant dans un contexte de désindustrialisation qui a décimé la classe ouvrière, par ailleurs désarmée de sa vision du monde et de son projet historique par la faillite du « socialisme réel » et le ralliement de la socialdémocratie européenne au libéralisme. Le tout, enfin, baignant dans l’idéologie libérale, relayée par tous les grands médias comme par une large partie du monde intellectuel. Elle a profondément bousculé les valeurs, les repères et les représentations héritées de l’histoire du mouvement ouvrier et démocratique dans notre pays et ailleurs en Europe. Excusez du peu ! Comment imaginer que cela n’aurait eu aucune conséquence sur ce que nous appelions la « conscience de classe », sur les voies et les moyens de la mobilisation populaire, sur les conditions de la transformation sociale dans le capitalisme contemporain ! C’est bien cette réalité-là que nous devons absolument regarder en face plutôt que de continuer de la fuir dans des constructions imaginaires qui s’avèreront nécessairement des échecs.

Les mouvements sociaux de ces dernières années en France et en Europe témoignent du refus d’accepter les politiques libérales. Leur persistance est exceptionnelle eu égard aux reculs et défaites subies depuis plus de deux décennies. Ils montrent des potentialités et constituent des points d’appui pour construire une contre-offensive politique et sociale, mais ils butent sur la difficulté de l’alternative. Ces mouvements disent le refus de mesures injustes et brutales. Ils expriment une prise de consciences des méfaits du néo-libéralisme. Ils manifestent le rejet « des banquiers et des politiciens ». Ils indiquent une aspiration à la justice et à la démocratie, c’est-à-dire à un autre partage des richesses et à la maîtrise par les citoyens de leur avenir. C’est un point d’appui décisif pour combattre le néo-libéralisme et ouvrir des perspectives et il faut être au coeur de ces mouvements et encourager leur développement.

Mais ces mouvements butent sur la question de la perspective politique alternative que, dans la plupart de ces pays, ils ne sont pas en capacité de résoudre à court terme pour des raisons profondes (voir ci-dessus), du fait de la faiblesse de la gauche de transformation et de la difficulté pour que, dans ces conditions, l’irruption sociale se transforme en construction politique.

Le dernier mouvement social sur les retraites a ainsi confirmé une capacité de mobilisation forte qui montre que le pays n’est pas résigné à l’acceptation de réformes inégalitaires et injustes Pour une fraction croissante (mais plus réduite que la masse de ceux qui ont rejeté la réforme des retraites), cela s’est accompagné d’un rejet plus global du « sarkozysme », des politiques libérales et, plus largement, du « modèle » libéral (cette prise de conscience a bien évidemment été amplifiée par l’éclatement de la crise qui discrédite profondément ce qui nous avait été présenté comme « la seule politique possible »). Mais quand il s’agit de la conscience politique de l’alternative, là, les choses sont beaucoup plus confuses comme l’avaient déjà montré les élections cantonales — ou à leur manière les sondages — et maintenant les derniers résultats électoraux.

Dans la situation actuelle, il y a donc des potentialités et des limites ; exploiter au mieux les premières suppose de ne pas ignorer les secondes. Cette réalité dessine les tâches politiques qui devraient être les nôtres pour surmonter ces difficultés.

Si la crise signe la faillite du modèle libéral et interdit une adhésion de masse à son projet, le brouillage et la prégnance idéologiques demeurent largement. Le libéralisme n’est pas fort par ses résultats, qui le discréditent, mais par l’inexistence d’un « modèle » alternatif crédible (et nous ne pensons pas que « L’Humain d’abord » y suffise). La question de l’alternative à construire est loin d’être résolue, justement du fait de ce que nous avons énoncé plus haut. Il ne suffit pas de recycler des mots d’ordre anciens pour être crédible. Imaginons un peu que trente ans de libéralisme dominant signifie que la plupart de celles et ceux qui ont moins de 45 ans — si on situe l’âge de raison politique à 15 ans ! — n’ont baigné dans aucune autre « ambiance » ! Il y a donc un travail à faire d’analyse de tout ce qui a changé depuis trois décennies et d’élaboration de réponses qui pour une part doivent se renouveler en s’enracinant dans les réalités et les consciences d’aujourd’hui. Nous avons au Front de Gauche les expériences et capacités militantes et intellectuelles pour mener ce travail. Encore faut-il prendre conscience de son importance pour l’entreprendre.

4 - Tout de suite, répondre à la nouvelle situation.

Dans la nouvelle situation, certains pronostiquent que, confronté à la crise et à ses engagements de réduire le déficit budgétaire, François Hollande va mener une brutale politique d’austérité (“Hollandréou”), qui va provoquer une révolte populaire qui ne manquera pas de se tourner vers nous comme “recours” pour nous porter au pouvoir “avant dix ans”. Dès lors, il suffirait de se prépositionner comme “opposition de gauche” en attendant la “trahison” social-libérale qui ne manquera pas d’intervenir rapidement pour pouvoir “rafler la mise”. Nous ne croyons pas à ce scénario : si la gauche devait échouer, craignons que la déception ne se tourne vers l’extrême droite. Si nous devions adopter ces analyses et orientations néo-NPA nous finirions dans la même marginalité. Attention aux hypothèses trop unilatérales ou aux déterminismes trop simplistes en Histoire !

La crise est profonde et durable, mais les marges de manoeuvre pour y faire face ne sont pas équivalentes selon les pays. En France, la pression des marchés ne s’exerce pas via les emprunts, pour l’instant toujours contractés par notre pays à des taux historiquement bas. Cela peut bien sûr évoluer mais la France n’est pas la Grèce, ni même l’Espagne. Les engagements de retour à un déficit de 3 % en 2013 sont une contrainte poussant à l’austérité, mais il peut toujours y avoir des aménagements de calendrier, surtout si la croissance n’est pas au rendez-vous (on va bien le faire pour la Grèce et sans doute aussi pour l’Espagne, puis le Portugal, puis l’Irlande… !), les réformes fiscales peuvent apporter des recettes supplémentaires, et l’étau européen peut se desserrer quelque peu à l’issue de la confrontation politique en cours. Et si d’aventure la zone euro venait à éclater du fait de la Grèce, de l’Espagne ou autre, Hollande n’en serait pas tenu pour responsable et beaucoup croiseraient les doigts pour qu’il nous sorte au mieux de la difficulté, avant d’envisager de se mobiliser contre lui. Rappelons que si Syriza a dépassé le PASOK c’est à l’issue d’un gouvernement Papandréou ayant mené une politique antisociale inouïe. Ni en Espagne, ni au Portugal, les politiques d’austérité de Zapatero et de Socrates n’ont permis à la gauche radicale de devancer les partis socialistes dans ces pays, en dépit de mobilisations sociales de grande ampleur.

Dès lors, le gouvernement français peut-il parvenir à mener une politique de “rigueur juste”, voire d’austérité mesurée, accompagnée de mesures de justice sociale limitées (voire très limitée si l’on en croit les rumeurs sur la hausse du SMIC !), d’une réforme fiscale permettant d’améliorer les recettes, s’accompagnant d’une inflexion partielle du dogmatisme libéral européen ou sera-t-il contraint par l’aggravation de la crise à des mesures plus brutales ? Comment des citoyens soumis au matraquage médiatique déployé pour expliquer la gravité de la crise et l’inéluctabilité des “efforts” ressentiraient ils cela : comme un “moindre mal” ou comme une agression insupportable ? Quelle pourrait être alors, selon les hypothèses, la dynamique du mouvement social, ses rythmes, ses thèmes, son ampleur ?

Hormis les entreprises confrontées à des licenciements et qui n’ont d’autre choix que de se mobiliser, quels secteurs professionnels seraient susceptibles d’une dynamique revendicative forte à la rentrée ?

La ponction d’effectifs sur certains ministères pour compenser les créations de postes dans l’Education nationale, la Police et la Justice suscitera-t-elle une mobilisation dans les secteurs les plus touchés ? Et sur le plan interprofessionnel, quelles possibilités d’action dans le contexte actuel de division syndicale et de crise de succession à la CGT ? Nous nous garderons bien de trancher de manière péremptoire…

Indépendamment des hypothèses de travail que l’on peut formuler sur les scénarios de la politique gouvernementale ou du mouvement social, c’est la question de notre stratégie et du rapport dynamique au reste de la gauche qui est essentielle si nous voulons éviter le piège de la marginalisation qui résulterait d’une posture d’extériorité purement dénonciatoire et protestataire, ou le piège de la dilution qui résulterait d’une démarche opportuniste insuffisamment critique et distanciée.

C’est une approche dynamique qui nous semble nécessaire. Nous avons été des acteurs de la défaite de Sarkozy et de la victoire de Hollande, nous avons participé, au travers du désistement républicain, au front commun de la gauche au deuxième tour des présidentielles et législatives pour battre la droite et l’extrême droite. Nous sommes donc dans le camp de la gauche, dans la majorité de gauche qui a triomphé de la droite et de l’extrême droite. Mais nous ne sommes pas dans la majorité présidentielle rassemblée autour des “60 propositions”, ni dans la majorité gouvernementale chargée de les mettre en oeuvre ; position illustrée aujourd’hui par notre refus de participer au gouvernement et, demain, par la nécessité de ne pas voter en faveur du discours de politique générale du premier ministre ou du prochain budget.

Nous ne pouvons être audibles de l’immense majorité des électeurs de gauche que si nous parlons du coeur de la gauche et non de l’extérieur, que si nous apparaissons animés de la volonté de réussir le changement en formulant des propositions politiques qui aillent dans ce sens et en mobilisant pour les faire aboutir, en portant à l’Assemblée et au Sénat des revendications du mouvement social, en articulant travail parlementaire et mobilisations citoyennes. Bref, en participant à la construction d’une dynamique de changement. En même temps, nous devons affirmer notre disponibilité à agir avec toute la gauche pour affronter la droite et l’extrême droite, le patronat et la finance, les gouvernements libéraux et la commission européenne, pour desserrer la “contrainte extérieure”, modifier la répartition des richesses et des pouvoirs, satisfaire les besoins sociaux, etc.

La clé pour bousculer la situation, c’est l’intervention du peuple et du mouvement social nous en sommes convaincus, mais nous savons d’expérience que cela ne se décrète pas et que nous ne devons donc pas faire comme si c’était déjà acquis. Il ne suffit pas d’attendre l’irruption populaire, il faut prendre des initiatives politiques pour y contribuer. Certes, ce sont d’abord les syndicats (et associations) qui ont la main dans ce domaine, mais le Front de Gauche doit prendre des initiatives et formuler des propositions crédibles susceptibles de nourrir la mobilisation. Indépendamment de sa propre activité, il doit savoir s’impliquer dans les mobilisations unitaires porteuses d’objectifs convergents.

Plusieurs thèmes de campagnes, d’initiatives, d’actions, viennent à l’esprit :

- contre la ratification du traité “Merkozy”, pour changer les traités, modifier les statuts de la banque centrale européenne, pour une banque publique d’investissement européenne…

- pour un pôle public financier puissant et pas seulement une banque publique d’investissement marginale…
- pour une réforme fiscale ambitieuse et une remise à plat des aides aux entreprises…
- pour des droits et pouvoirs nouveaux pour les salariés dans les entreprises…
- pour la proportionnelle, vers la 6° République…
- pour une politique de l’emploi combinant investissement public, réindustrialisation et transition écologique, réponse aux besoins sociaux par les services publics, réduction du temps de travail, sécurité sociale professionnelle…
- pour un ensemble de mesures en faveur du pouvoir d’achat (smic, loyers, prix…)…
- pour l’élargissement du financement de la protection sociale permettant la garantie des droits…
- etc.

Le Front de Gauche doit être porteur de mesures qui répondent aux nécessités de l’heure, à la fois pour desserrer l’étau de la “contrainte extérieure” et pour répondre aux besoins sociaux. Il doit développer de larges campagnes de masse pour les faire connaître dans la population et mener la bataille politique et parlementaire en direction de la majorité gouvernementale pour leur prise en compte. C’est en apparaissant les plus déterminés à gauche pour réussir un vrai changement que le Front de Gauche apparaîtra utile à la gauche et au peuple et renforcera sa crédibilité.

Claude Debons/Jacques Rigaudiat - 25 juin 2012


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