Rachetons les banques pour un euro !

jeudi 19 juillet 2012.
 

Depuis cinq ans, début de la crise financière, la situation économique ne cesse de se dégrader, notamment dans la partie la plus développée du monde occidental. On peut légitiment se demander si le diagnostique de cette crise a été vraiment posé. Nous défendons ici l’idée que les banques ont été et demeurent au cœur de la crise et que la solution du surendettement public mondial passera inévitablement par une reprise en mains par les Etats - subie ou voulue - de leur système de financement.

Rappelons que les banques, surtout les plus grandes, ont fabriqué les produits financiers dérivés (obligations structurées représentatives des crédits subprimes) qui ont été à l’origine de la crise financière de 2007. C’est bien entendu cette crise qui, à son tour, a entrainé le surendettement actuel des Etats. En effet, la dette publique mondiale a augmenté de 45 % entre 2007 et 2011, ce qui est considérable, et pour deux raisons : les Etats ont dû injecter des fonds à la fois pour recapitaliser les banques et pour soutenir l’activité économique de leur pays.

Trop grosses pour certaines d’entre elles pour faire faillite, seuls acteurs à être présents simultanément sur les marchés monétaires et financiers, les banques apparaissent comme "intouchables" aux yeux des responsables politiques. Or, aujourd’hui, nombre d’entre elles demeurent en difficulté à cause des produits ou des crédits toxiques qu’elles ont accumulés dans leurs bilans. Cela ne touche pas seulement les banques de pays comme la Grèce ou l’Espagne. Certaines banques allemandes connaissent elles aussi de graves difficultés. On trouve là une des raisons fondamentales du blocage du marché interbancaire, et par conséquent de la raréfaction du crédit. En effet, faire du crédit coûte aux yeux des banques trop cher en termes de fonds propres. Celles- ci préfèrent titriser les créances de leurs clients, activité peu risquée, totalement éloignée du financement des investissements.

Dans le bilan des banques s’accumulent aussi les titres de dettes souveraines. Dans un cercle vicieux bien repéré, quand des banques en difficulté reçoivent des fonds publics, ceux-ci sont investis notamment dans des obligations d’Etat. Or, la valeur de ces titres s’affaisse à mesure que le surendettement public s’accroît, contribuant de cette façon à dégrader un plus encore le bilan des banques. C’est ainsi qu’une grande partie des banques européennes détient une part substantielle de la dette de leur propre pays. C’est particulièrement le cas des banques espagnoles, italiennes, et grecques, pour ne rien dire des autres, comme les banques françaises par exemple !

Avec ce constat, la solution s’impose. Les banques doivent assumer dans leurs comptes les erreurs qui ont été les leurs et dont les plus graves ont été à l’origine de la crise financière de 2007 et de ses prolongements actuels. Un processus de faillites bancaires que personne n’a voulu pour l’instant envisager apparaît dès lors inévitable. Il est probable que les premiers défauts se produiront en Grèce ou en Espagne. Les Etats rachèteront alors ces banques pour un euro symbolique.

Une partie de la suite est bien prévisible. L’effondrement de ces banques entrainera une secousse systémique de grande ampleur qui s’étendra à l’ensemble du secteur bancaire mondial et pas seulement au secteur européen. Cela se produira dans un délai extrêmement rapide en raison là encore de produits financiers dérivés particulièrement toxiques en cas de crise ouverte, les CDS (Credit Default Swap), ou encore en cas de bankrun (retraits précipités des dépôts dans les banques). Les banques qui succomberont devront également être rachetées, soit pour un euro, un dollar, un yen ou une livre sterling. Cette phase sera très dangereuse car l’activité de financement de l’économie sera profondément perturbée, provoquant fermetures d’entreprises et chômages supplémentaires.

Mais, cet effondrement d’une partie du système bancaire mondial aura une contrepartie positive qu’il faut souligner fortement. Il permettra aux Etats, redevenus propriétaires de leur banques, d’annuler une partie de leur dette nationale puisque chaque puissance publique se retrouvera propriétaire directe de créances sur elle-même. On peut aussi imaginer des accords de compensation entre les Etats pour annihiler une partie des obligations étrangères détenues par les banques redevenues publiques.

Pour éviter un scénario complètement catastrophique, sitôt les premiers rachats de banques réalisés, les Etats devront impérativement rétablir les circuits de financement de l’économie. Avec le regroupement des banques et leur rationalisation, il conviendra d’impulser en priorité l’activité de crédit, gage majeur de redémarrage des activités économiques et du rétablissement de l’emploi. Dans cette urgence, il est clair que les banques centrales perdraient leur indépendance. Peu après, ces nouveaux secteurs publics bancaires seraient à même de proposer les financements de long terme indispensables aux infrastructures de la transition écologique et énergétique.

Pour terminer, il faut revenir sur les raisons qui ont empêché jusqu’à présent la survenance de ce scénario, devenu maintenant hautement probable.

Il y a tout d’abord une raison puissante liée aux intérêts des systèmes de retraite par capitalisation. Ces systèmes ne peuvent souffrir que grandement de voir une partie de la valeur boursière s’évaporer avec un effondrement boursier des banques. Ces intérêts sont plutôt de type anglo-saxons, mais plusieurs pays européens en pâtiraient également (par exemple les Pays-Bas ou la Finlande).

Mais, il y a aussi des raisons idéologiques : racheter des banques c’est évidemment les nationaliser. C’est redonner aux Etats le pouvoir de contrôler la création monétaire et donc le crédit. Jusqu’à présent, une large frange de la pensée politique, pas seulement néolibérale, se refuse à une telle perspective, tout en reconnaissant par ailleurs que de telles opérations de reprise en mains par les Etats peuvent être nécessaires à condition qu’elles soient temporaires.

Plus fondamentalement, l’enjeu de la période qui va s’ouvrir est de savoir si les Etats vont revenir sur les abandons de souveraineté qu’ils ont consentis vis à vis des banques, et notamment des plus grandes, lorsqu’est intervenue la rupture des accords de Bretton-Woods en août 1971. Cette rupture a entrainé par la suite la libéralisation de la sphère financière en rendant "libre", c’est à dire par le marché, la formation des taux de change et des taux d’intérêt. Les banques ont pris alors le relais des Etats en créant une immense industrie de produits financiers dérivés à l’origine notamment de la crise financière de 2007.

Alors que l’économie mondiale n’avait pas connu de crise financière entre 1944 et 1971, après cette période, l’instabilité du système monétaire et financier s’est développée et les premières crises à caractère systémique sont apparues progressivement sous l’action de ces produits dérivés. Il convient aujourd’hui de rebâtir le système monétaire et financier international, en promouvant notamment de nouvelle règles de formation des taux de change et des taux d’intérêt, autant dire en jetant la perspective d’une monnaie qui soit conçue comme un bien commun de l’humanité.

François Morin, professeur émérite à l’université de Toulouse

François Morin est aussi ancien membre du conseil général de la Banque de France et du Conseil d’analyse économique. Il est l’auteur du livre Le nouveau mur de l’argent, essai sur la finance globalisée (seuil 2006 et 2012), et de Un Monde sans Wall Street (Seuil 2011).


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