Pays baltes : espace réactionnaire en Europe

lundi 25 juin 2012.
 

Nous pouvons le constater avec amertume : l’appartenance des pays baltes à l’Union Européenne n’a pas changé l’attitude révisionniste des élites politiques de droite de ces États envers les résultats de la Deuxième Guerre mondiale. Le processus « d’héroïsation » des combattants pronazis continue, par exemple au niveau des écoles et des universités.

Quand les politologues et politiciens libéraux, de droite, raisonnent sur l’Union Européenne comme espace de liberté et de progrès ils « oublient » comme d’habitude de dire qu’aujourd’hui cet espace a des lacunes assez manifestes. Vraiment, quand on prend en compte les pays baltes contemporains le mot « progrès » ou la notion de « liberté » perdent leur sens…

Bien sûr, la présence des partis de droite au pouvoir n’est pas toujours mortelle pour les valeurs démocratiques. Mais quand a lieu la conjonction des principes idéologiques de droite et des préjugés nationalistes, alors la menace virtuelle devient bien réelle. Pour le moment les pays baltes, surtout la Lettonie et l’Estonie, restent des “sociétés bi-communautaires” où plusieurs centaines de milliers d’habitant-e-s permanent-e-s, des russophones dans la plupart des cas, sont privés de droits civiques. L’accès à la citoyenneté est difficile et non transparent. L’URSS n’existe plus depuis plus de vingt ans, pourtant en Lettonie 290 000 habitants permanents ne sont pas citoyens et n’ont pas droit à participer aux élections, même locales ; le nombre des « non-citoyens » en Estonie se monte à 97 000 hommes et femmes, des Slaves principalement. En Estonie et en Lettonie aujourd’hui, plus d’un tiers des habitants permanents ont le russe comme langue maternelle, mais les autorités continuent de mener une « bataille linguistique », sous des mots d’ordre nationalistes, contre la langue russe en la chassant des domaines de l’éducation, du commerce et de la gestion locale. Vraiment, les langues suédoise en Finlande et italienne en Suisse sont plus respectées que le russe dans les pays baltes.

La politique antisociale des gouvernements de droite pendant la crise est bien connue en Europe. Mais si on parle de la Grèce ou de l’Espagne, on oublie toujours la Lettonie et la Lituanie. Dans ces pays baltes les pouvoirs ont entrepris des réductions budgétaires antisociales depuis 2009. Comme résultat, en Lettonie, par exemple, les salaires et les pensions de retraite minimaux ont diminué de près d’un quart ; en même temps les prix des services publics ont beaucoup augmenté. Des centaines de milliers de salariés originaires des pays baltes sont obligés d’aller travailler dans des États européens plus stables. Cette situation est habituelle pour les nationaux baltes « de souche » ainsi que pour les russophones baltes. La législation sociale dans le monde balte est devenue, après l’indépendance, assez régressive et la totalité des lois sociales fixe la prééminence des classes bourgeoises locales et du grand capital. Par exemple, en Lettonie et en Estonie de dizaines de milliers de locataires ont perdu le droit d’habiter des appartements et des maisons en faveur des descendants d’anciens – pré-soviétiques – propriétaires des logis.

Les libertés politiques aussi sont un problème pour les jeunes des pays baltes. En particulier, les partis communistes sont interdits sous prétexte que les PC avaient aidé à l’« occupation des pays baltes par l’Union Soviétique ». Les activités des partis et associations de la gauche radicale sont très difficiles et se trouvent sous « surveillance » des pouvoirs. Vraiment, au plan politique, culturel, social et économique, les États baltes tirent avec force l’UE vers le bas…

Mais pour moi, en tant qu’ historien et fils de vétéran de la guerre contre l’Allemande nazie, la politique officielle des gouvernements conservateurs des pays baltes (par rapport aux résultats de la IIe Guerre mondiale) excite particulièrement mon indignation. La réhabilitation des alliés locaux du nazisme a commencé en Estonie, Lettonie et Lituanie juste après la dissolution de l’URSS. Il s’agit de la « réhabilitation politique » des combattants nationalistes qui, aux côtés de l’Allemagne, ont pris les armes contre l’Armée Rouge. Ces anciens combattants ont obtenu des pensions supplémentaires, de nouveaux avantages sociaux : les gouvernements souverains baltes ont reconnu leurs « mérites » dans la « lutte contre l’occupation soviétique »…

Mais pire : l’entrée des pays baltes dans l’UE n’a pas changé la donne. La région balte continue de se développer comme « zone de tolérance » envers les « vétérans fascistes ». Alors que les manifestations des anciens combattants de l’Armée Rouge sont, comme d’habitude, interdites c’est avec empressement que les autorités nationales permettent aux anciens combattants, ayant soutenu l’Allemagnee nazie, de manifester et de tenir des meetings ! Les exemples les plus honteux de cette situation nous les voyons en Lettonie contemporaine qui est « par cumul » l’un des pays les plus pauvres de l’UE, avec un grand degré de pauvreté et un niveau assez bas des droits sociaux de ses citoyens.

L’exemple récent c’est la marche traditionnelle, rituelle, le 16 mars, des « vétérans » de la Waffen SS à Riga, capitale de la Lettonie. Cette action a rassemblé plus de deux mille participants, pas seulement des vieux à cheveux blancs mais aussi de jeunes ultranationalistes. Tous les députés du bloc parlementaire d’extrême droite « Tout à la Lettonie », partie prenante du gouvernement actuel, étaient présents. Les manifestants criaient des slogans contre d’autres nationalités (russes, juifs…), en faveur de l’État du « peuple letton ». Dans un discours, un prêtre luthérien, Guntis Kalhné, a placé les combattants lettons des légions SS au même niveau que les combattants de la Libération. Mais les pouvoirs des pays baltes ne veulent pas accepter les réalités historiques : les légions de SS des territoires baltes sont issues de la police auxiliaire et portent une grande responsabilité pour les crimes de masse contre des civils en Europe de l’Est.

Nous pouvons le constater avec amertume : l’appartenance des pays baltes à l’Union Européenne n’a pas changé l’attitude révisionniste des élites politiques de droite de ces États envers les résultats de la Deuxième Guerre mondiale. Le processus « d’héroïsation » des combattants pronazis continue, par exemple au niveau des écoles et des universités. Au niveau national, on ignore les appels des organisations de défense de droits de l’homme sur des cas précis où les participants à des forfaits fascistes sont glorifiés. Hélas ! De nouveau nous constatons que la politique sociale ultralibérale, le nationalisme étatique sans bornes et l’oubli historique des victimes de crimes nazis, peuvent bien se mélanger et aller main dans la main. Cette situation existe dans les frontières de l’Union Européenne, les forces européennes progressistes doivent s’engager contre tels défis !

Rouslan Kostiouk, docteur en histoire et professeur à la faculté des relations internationales de l’Université d’État de Saint-Pétersbourg


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