Liaisons UMP-FN : un processus de convergences politiques à hauts risques

dimanche 24 juin 2012.
 

Au-delà de la séquence électorale où l’on a pu constater la mise en œuvre 
en vraie grandeur de rapprochements entre la droite et l’extrême droite, le parti de Nicolas Sarkozy a fait un choix idéologique délibéré en rupture avec le gaullisme.

Engagés depuis les années 1970, les rapprochements entre la droite parlementaire et le Front national ont connu, dans la pratique du second tour des législatives, une accélération qui ne doit rien au hasard. Ils obéissent à la fois à une réflexion stratégique de l’extrême droite et à de nouveaux impératifs idéologiques de la droite, en particulier de l’UMP.

Un exemple de dernière minute, parmi bien d’autres, a illustré cette dérive de la part du parti sarkozyste. Jeudi, l’un des candidats UMP de Val-d’Oise, Yanick Paternotte, député sortant placé en mauvaise posture pour le second tour par la gauche, a mis en ligne sur son site de campagne un appel de la candidate du Front national à voter en sa faveur. Celle-ci invite ses électeurs du premier tour « à voter et faire voter pour le député sortant », afin de « faire barrage au PS ». Elle détaille sa posture  : le député UMP « a toujours pris des positions courageuses et claires, particulièrement en matière de sécurité, de lutte contre les fraudes et pour le respect de la laïcité, notamment en votant pour l’interdiction du port de la burqa ». Au cours du week-end, Nadine Morano, qui avait lancé sans vergogne un appel aux électeurs frontistes, a été piégée par un humoriste se faisant passer pour un dirigeant national du FN. Elle lui a dans un premier temps cordialement accordé une discussion politique en lui reconnaissant de nombreuses qualités…

Au-delà de l’effet conjoncturel électoral, la droite s’est saisie de ce scrutin pour effectuer un pas de plus vers l’extrême droite. Exit « le cordon sanitaire », « les valeurs gaullistes » et le Front républicain face au parti d’extrême droite. La preuve par Alain Juppé, peu suspect de dérive jusque-là, mais à l’évidence en évolution contre nature  : « Les électeurs du Front national ne sont pas des pestiférés. » Ajoutant  : « Nous avons le devoir de les écouter et, éventuellement, de leur répondre. » Jean-François Copé a filé dans le même sens, tout en tentant d’atténuer la portée du rapprochement qu’il officialisait pour ne pas insulter l’avenir au sein de la droite  : l’une des raisons de l’échec de Nicolas Sarkozy a bien été les divergences d’appréciation sur la ligne d’extrême droitisation qu’il a poussée très loin. Les instances nationales de l’UMP ont donc opté « pour un ni-ni ». Trompeur. Ni Front national ni PS. Ce qui revenait à décerner un brevet de respectabilité au parti de la famille Le Pen.

Enfin, parmi les derniers développements de ces rapprochements, on notera que le Siel (Souveraineté, indépendance et libertés), mouvement du souverainiste Paul-Marie Coûteaux, seul allié du FN au sein du rassemblement frontiste, a appelé à voter pour cinq candidats, dont quatre UMP, parmi lesquels Jean-Paul Garraud et Brigitte Barèges, personnalités faisant interface entre la droite UMP et le FN. Il a évoqué « des valeurs communes ».

Le mouvement se développe ainsi dans les deux sens. Le Front national a mis du sien en pratiquant des ruptures secondaires dans sa stratégie. D’abord une dédiabolisation mettant en sourdine les relents néonazis et la nostalgie vichyste. Exit les dérapages racistes. Le but recherché étant de faciliter le vote FN, en apparence moins sulfureux. Le FN a aussi travaillé à une nouvelle cohérence idéologique  : il prétend gouverner et affiche un programme antimondialisation présenté comme alternatif. Selon l’étude réalisée par Terra Nova, « le néo-FN de Marine Le Pen a opéré un renversement à 180 degrés », passant d’un ultralibéralisme poujadiste à un programme de protection économique et sociale. Le fonds idéologique demeurant identique  : défense de l’identité nationale, rejet de l’étranger, de l’immigration, les musulmans ayant seulement remplacé les juifs dans le rejet de l’autre.

Pour des raisons différentes, l’UMP, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, a été un acteur déterminant du rapprochement. Loin d’être une simple tactique conjoncturelle, il s’agit d’une entreprise systématique. Elle s’est développée à l’occasion des campagnes présidentielles de 2007 et 2012, mais l’ex-leader de la droite en avait fait son horizon politique comme ministre. Le sarkozysme a déplacé le centre de gravité de la droite, qui était au centre droit avec le gaullisme du RPR, vers une droite radicale. L’opération s’est effectuée à travers des ruptures antihumanistes, signant une victoire idéologique pour le Front national. Au point que, dès maintenant, on peut parler d’un axe UMPFN  ?

Pas de montée xénophobe particulière dans l’opinion publique. Mais Nicolas Sarkozy a repoussé vers la droite les digues en énonçant ou en validant des déclarations ou des prises de position qui auraient été considérées comme inadmissibles jusque-là. Il y a donc un double processus de convergences. Celui du Front national et celui de l’UMP. Ce qui laisse désormais comme une probabilité envisageable une construction politique occidentaliste et traditionnellement réactionnaire. D’autant que la séquence politique, idéologique et électorale a laminé la quasi-totalité des autres sensibilités présentes jusqu’à présent au sein de la droite. La nébuleuse centriste sort pulvérisée de l’épisode, à l’instar de Jean-Louis Borloo, Hervé Morin. Ou plus, de François Bayrou. Créée à l’origine pour unifier les droites, dans une vision post-gaulliste voulue par Jacques Chirac, l’UMP, sous le sarkozysme, aura été une lessiveuse à idées. Les différents courants n’ont d’autre choix que se soumettre à l’extrême droitisation ou se saborder. Ce qui semble ainsi politiquement propice à une recomposition avec tout ou partie de l’UMP. Et tout ou partie du Front national qui attendra mieux.

Sauf que cette nouvelle donne politique à droite doit aussi interroger la gauche, sur le fond et la forme. Le risque pour celle-ci étant d’abandonner le combat politique et idéologique face à une droite dure, en se contentant de procéder à des explications de texte sur les mesures gouvernementales.

Dominique Bègles, L’Humanité


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