Sur l’islamo-fascisme

jeudi 3 novembre 2022.
 

« Islamo-fascism » « Islamo-fascism », très répandu dans le monde anglo-saxon (le monde francophone est plus réticent) dispose de la caution du président américain George W. Bush qui l’a employé mais pas inventé.81 Le bouillant polémiste américain, parfois qualifié par ses adversaires de « néo-conservateur » (autre catégorème relativement neuf), Christopher Hitchens a défendu le terme comme pertinent et bien construit dans son essai « Defending Islamofascism : It’s a Valid Term. Here’s Why » dans Slate, 22 oct. 2007.82 Pierre-André Taguieff a eu pourtant raison à mon sens de conclure que le composé comme tel relève « du pur discours polémique » et que le rapprochement, suggéré mais non théorisé, n’éclaire rien du rapport éventuel entre les mouvements et régimes islamistes et les totalitarismes réactionnaires occidentaux des années 1930. Le mot composé est à la rigueur une invite à théoriser, à situer dans l’espace et à historiciser, mais il ne comprend pas en soi une théorie toute faite ! L’Islam salafiste, en tant que courant politico- 79 103. 80 Et particulièrement sévère pour l’antifascisme gauchiste comme je viens de le rappeler, dans Les contre-réactionnaires. Le progressisme entre illusion et imposture. Paris : Denoël, 2007. 81 « ...this nation is at war with Islamic fascists », août 2006. 82 Clifford Geertz a proposé pour sa part la catégorie de Totalitarian Islamic fundamentalists. Walter Laqueur, Fascism, Past, Present, and Future, New York : Oxford UP, 1995, classe les fondamentalismes islamiques dans le « Clerical fascism ». Il voit en effet des recoupements frappants avec les clérico-fascismes d’avant la guerre, de « striking overlaps », 5.

religieux minoritaire mais évidemment attesté globalement, en fort progrès et hyper-actif, est construit en « mythe répulsif », dit Taguieff : fanatisme, pieuse intolérance, mentalité guerrière de la Jihad, exaltation de la violence, culte du sang et de la mort, antimodernisme ambigu (très avide de la technologie des « infidèles » mais peu désireux de la comprendre), nostalgie d’une antique grandeur communautaire, haine des idées libérales et démocratiques « occidentales », obscurantisme autoritaire, xénophobie à l’égard des Incroyants hors de la Oummah, xénophobie dès lors fondée en piété, machisme névrotique, peur et mépris des femmes, formation du tout en une « religion politique » dotée d’un « grand mythe de purification » et de l’utopie eschatologique d’un prochain Caliphat mondial régi par la Shari’a et régénéré dans le sang des Croisés et des Juifs. De tels traits convergents (qui s’appliquent cependant à des sodalités réduites en nombre) semblent inviter indubitablement au rapprochement, non avec le défunt régime de Mussolini, mais, comme le montre précisément Taguieff, avec le nazisme, – devenu stade suprême du « fascisme » dans les esprits postmodernes. # En fait, dès les années 1930 et plus tard, dans les années 1950 chez un Jules Monnerot par exemple,83 le rapprochement savant Islamnazisme et Islam-stalinisme a été fréquemment fait, mais dans l’autre sens. Les totalitarismes ont été perçus comme quelque chose d’« oriental », d’étranger à l’Occident séculier et rationaliste. Le problème avec l’usage courant de Islamofascism / Islamofascisme est qu’on ne sait pas ce que le terme vise ou s’il vise tout à la fois de ce qui peut choquer à divers degrés dans la culture de l’Islam. Vous verrez, selon les contextes, que c’est le salafisme saoudite, l’intégrisme de prédicateurs violents répandus dans les pays de la Oummah et ceux plus ou moins téléguidés travaillant l’immigration récente en Occident, ou bien al-Qaida, les Talibans, le Hezbollah libanais et syrien, le Hamas, les théocraties iranienne et soudanaise et autres, ou encore l’« esprit » de l’Islam tout entier (« esprit » au sens webérien), le Coran, les hadiths ou la lecture littérale de ceux-ci, la jeune femme voilée ou celle emballée dans la bourka, le petit épicier musulman du coin de la rue... 83 Monnerot, Jules. Sociologie de la révolution, mythologies politiques du 20e siècle, marxistesléninistes et fascistes, la nouvelle stratégie révolutionnaire. Paris : Fayard, 1969.


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