Derrière la crise du NPA, les impasses de la LCR

mercredi 16 mai 2012.
 

Le dégonflement en baudruche du NPA témoigne de la fragilité de la construction. Une illusion se dissipe dont nous fûmes beaucoup (pas tous et toutes, moi en bonne partie) à nous être autointoxiqués. Reste à expliquer les causes de cet échec et de cet aveuglement. Tout le monde sent bien en effet que la possibilité d’un nouveau départ dépend plus que jamais de notre capacité collective à dégager les lignes d’un bilan clairvoyant, sans concessions.

Il me semble que trois ordres de facteurs doivent être mobilisés pour comprendre ce qu’il s’est passé. Certes leur distinction est en partie artificielle, puisque nous verrons qu’ils sont enchevêtrés, mais il s’agit d’un exercice d’analyse incontournable.

Il faut d’abord faire la part des erreurs tactiques ayant émaillé la courte histoire du NPA à partir du congrès de fondation. Il faut ensuite interroger la méthode ayant présidé au lancement du NPA puis à sa construction. Enfin nous verrons que ces facteurs renvoient peu ou prou aux angles morts de l’orientation de la majorité de la LCR et du courant politique qu’elle représentait. Rétrospectivement, le lancement du NPA apparaît comme une fuite en avant dont le caractère téméraire a été favorisé par le mirage d’une bulle médiatique et l’interprétation erronée d’un halo électoral.

1- les erreurs récentes

Portée par le succès en trompe-l’œil du processus menant au congrès de fondation, la direction du NPA va accumuler les erreurs successives : la matrice commune à ces erreurs comme cela a été analysé dans de nombreux textes est le refus de prendre en compte la complexité du champ politique à la gauche du PS. L’illusion que le champ provisoirement dégagé pour l’extrême-gauche puisse se traduire par un boulevard permettant une construction en boule de neige est rétrospectivement effarante, tant le nombre de facteurs politiques lourds invalidant une telle possibilité étaient nombreux, à commencer par les coordonnées générales de la période. Ou encore les évolutions politiques contradictoires du mouvement syndical ou de la frange militante altermondialiste.

A partir de cette erreur générique, dont on essaiera de chercher les racines plus bas, va se déployer une orientation fondamentalement sectaire aux effets de plus en plus marginalisants, à la faveur des étapes électorales successives, d’abord aux européennes puis aux régionales, enfin lors de la présidentielle. Autant de haltes sur le chemin de croix…

L’importance de l’émergence du Parti de Gauche et la nécessité de bouleverser notre schéma tactique restent longtemps largement incomprises par une grande partie de la direction et beaucoup de militant-e-s. La déclaration commune avec le PG après les européennes apparaît comme une embardée tactique sans qu’elle soit accompagnée de l’ouverture profonde d’un débat dans le parti, débat qui sera repoussé jusqu’après le premier congrès après le faux départ ayant suivi le bilan des régionales.

Derrière cette difficulté à ouvrir le débat, un débat qui s’ouvrira finalement dans les pires conditions, il y a nécessairement un bilan à tirer sur un fonctionnement de l’exécutif qui a pour effet d’étouffer et de confisquer la discussion y compris des membres de la direction élue du parti. Il y a sans doute un héritage de certains travers de fonctionnement de la LCR, mais aussi le résultat d’une discordance entre exécutif resserré et direction large, accentuée par une coupure relative de nombreux membres de l’exécutif avec les directions intermédiaires et les commissions.

Cette difficulté de fonctionnement trouve son paroxysme dans la gestion de la notoriété de notre porte-parole. Pas de faux débats : nous devons tous beaucoup au talent d’Olivier. Il ne saurait s’agir pour autant de lui dénier toute responsabilité individuelle. Certaines de ses déclarations ont pesé lourd, tout comme les conditions lamentables de l’annonce de son retrait de la candidature présidentielle. Mais le problème essentiel est que le débat sur le profil qu’il incarnait et imposait au parti était quasi impossible et confisqué par un fonctionnement de l’exécutif tout à fait problématique. Certes il est difficile de discuter démocratiquement de ces questions, le risque étant d’ouvrir la boîte de Pandore de règlements de compte individuels. Mais force est de constater que la dépossession par le parti d’un débat sur son profil et de la capacité de discuter et de peser sur son porte-parole a constitué un problème de taille. Sur ce point, la création du NPA a plutôt accentué les difficultés déjà présentes au sein de la LCR depuis 2002.

Autre élément important, l’incapacité du NPA à tenir les promesses de ses principes fondateurs : le congrès de fondation fait de la question écologique une dimension fondamentale de l’orientation du nouveau parti. Pourtant, le profil central du nouveau parti ne suit pas. Le décalage sur cette question d’une part importante de la direction du parti et en particulier de son exécutif, dont singulièrement le porte-parole, avec le texte et l’esprit du congrès de fondation est manifeste. Les coups de boutoir et la « guérilla » de la commission écologie, s’ils ont eu un effet certain, n’ont pas été en capacité de surmonter cet écart. Je crois que cette incapacité politique nous coûte cher. On se trouve ainsi avec un PG plus crédible à une échelle large sur ces questions que le NPA, ce qui est un comble. Cela après avoir raté électoralement la possibilité de capter une partie plus large du vote écologiste. Surtout derrière cet aspect se révèle l’incapacité du NPA à incarner une transformation de profil comparativement à l’ancienne LCR.

Cette mise en sourdine de la question écologique n’est qu’un aspect d’un problème plus général de rabougrissement programmatique où le slogan finit par tenir lieu d’orientation. Le profil « plus radical que moi tu meurs », dérive dépolitisante d’un cours « super-syndicaliste », a comme revers l’incapacité à faire de la politique, par réduction du politique au social. Au lieu d’inscrire le combat du parti dans les évolutions du champ politique, on croit de plus en plus qu’on n’en fait pas partie, qu’on est ailleurs, hors système. L’horizon de luttes sociales éclatées devient l’horizon politique du parti. Le débat sur notre orientation face aux questions de l’emploi et des licenciements devient ainsi impossible à un moment où pourtant les développements de la crise imposent de rediscuter de ce sujet.

La question féministe est un autre signe du profil rétréci du NPA. Certes l’affaire du voile a été désastreuse, mais je ne crois pas que ce soit le facteur principal. Alors que des signes nombreux d’un regain des préoccupations féministes se font sentir, le profil du NPA sur ce plan reste atone. Sans parler du fait que comme sur la question écologique nous ne sommes à l’initiative de rien en tant que parti sur ce terrain (je parle ici du parti par des camarades du Secrétariat femmes et de la CNIF). Mais sur ce plan je crois que la situation est différente de celle de l’écologie : l’affaiblissement du profil féministe du parti date des dernières années de la LCR, et le NPA ne représente pas un saut qualitatif positif sur ce terrain. Ce qui marque aussi une des limites les plus importantes du nouveau parti. La facilité avec laquelle une majorité a pu avaliser le fait que ne soit pas présentée aux présidentielles une des deux femmes porte-parole du parti en a été une nouvelle illustration.

On pourrait faire des constats identiques sur la question démocratique gravement sous-estimée et absente de notre profil politique, victime sans doute de l’anti-institutionnalisme hystérique diffus qui règne dans le parti. Dire que toutes les institutions actuelles sont des institutions bourgeoises ne suffit pourtant pas pour congédier ce pan de la réalité, et les enjeux politiques lourds qui s’y jouent en termes d’acquis démocratiques et sociaux. On fait ainsi comme si l’on pouvait se battre dans un monde virtuel où ces institutions ne seraient que d’inconsistants fantoches, et non des structures de domination empreintes aussi d’acquis politiques réels. Demander ainsi par exemple à inscrire notre bataille contre les licenciements dans l’exigence d’une loi devient la manifestation d’un réformisme rampant. Il ne saurait y avoir pourtant (même sous le socialisme) d’acquis social véritable sans une inscription juridique (la CGT anarcho-syndicaliste le savait elle au début du 20e siècle quand elle se battait pour la loi des 8 heures), et le combat social ne peut se mener en faisant semblant d’ignorer qu’il s’inscrit dans un cadre politique. Car toute bataille sociale globale a aussi sa portée politique et ne peut donc faire abstraction de l’arène politique et des institutions qui la structurent. Ces institutions servent certes d’écrin à la domination bourgeoise, mais sont (doivent être) sans cesse relégitimées par la participation populaire, un dispositif essentiel au maintien de l’hégémonie des classes dominantes. On ne saurait faire voler en éclat cette contradiction ni par le dénigrement ni par l’escamotage. Notre combat (comme celui des anarchistes quoi qu’ils puissent en dire) se situe dans ce cadre, qu’on le veuille ou non. Même lorsque le Parlement se résume à une Douma tsariste il faut chercher à s’y faire élire sous certaines conditions. Dans une optique de transformation révolutionnaire la bataille pour les droits sociaux et pour les droits politiques est d’une égale importance, les deux dimensions étant en réalité indissociables, et l’on ne peut ignorer que les institutions ne conservent leur légitimité qu’en tant qu’elles contiennent encore une dimension réellement démocratique, héritage des luttes passées qu’il s’agit de défendre pour le faire transcroître.

Enfin, il faut constater notre myopie collective dans la sous-estimation de la bataille antifasciste. Comme si notre petit succès allait suffire à éloigner le spectre du FN, dont le poids rémanent et menaçant est pourtant inscrit dans les coordonnées générales de la période. Là encore, je crois qu’a pesé lourd le refus de considérer que le recul du FN ne peut passer à terme que par l’édification d’une force anticapitaliste crédible à une échelle de masse, ce que ne peut être le NPA seul sur une ligne anticapitaliste radicale dans la situation actuelle. « Oublier » le FN permettait plus facilement de se prendre pour Popeye.

2- la construction d’un château de sable

Confrontée à l’audience élargie que lui conférait son succès médiatico-électoral, la LCR a été placée devant la nécessité de prendre une initiative qui permette de les capitaliser, et par là même de transformer son cadre organisationnel. Pourtant, le grand bond en avant finit par un crash. Est en cause non le fait d’avoir pris une initiative mais la forme et la méthode suivies.

Bulle médiatique et halo électoral

L’audience médiatique et électorale d’Olivier traduisait bien quelque chose de positif. Si elle rendait possible la construction d’une force plus large que la LCR, elle n’aurait pas dû masquer le caractère composite de ce qu’Olivier a pu cristalliser à un moment donné. Il y a un écart considérable entre la séduction exercée par un discours radical et la disponibilité pour construire une force anticapitaliste. D’autant qu’une partie de « l’électorat » d’OB votait par défaut ou pour faire pression en l’absence d’autre candidat crédible et attractif à la gauche du PS. C’est notamment le cas d’une partie des électeurs et électrices qui se retrouveront ensuite beaucoup plus dans un discours articulant programme radical et volonté d’insertion institutionnelle. Bref, nous captons à un moment donné un halo électoral du fait d’une conjonction très particulière sans en voir les limites.

Appel du large et autodissolution

L’appel aux anonymes, garanti sincère par l’engagement d’autodissolution de la Ligue, a conduit à un succès en trompe l’œil. Succès dans la mesure où de nombreuses personnes affluent d’horizons et de profils divers. Mais ce succès cache le caractère branlant de l’édifice.

Ainsi, la déconvenue est rapide pour plusieurs raisons cumulées :

• Beaucoup de nouveaux venu-e-s sont dépourvus d’expérience politique et nombreux sont ceux /celles entrant sur un large malentendu. L’appel à construire une force politique sur la base d’un succès électoral déconnecté d’une forte montée des luttes dans une société dominée par les médias, et où le rapport d’adhésion signifié par un vote est lâche, peut conduire à un afflux d’adhérent-e-s, mais sa pérennité et sa solidité seront nécessairement limités.

• Le succès auprès des militant-e-s et responsables syndicaux est limité. Dans ces conditions, la mise en place de la CILT est un échec (dont je porte une part de responsabilité), d’autant plus lourd qu’elle est considérée comme une commission prima inter pares pour une grande partie de l’organisation. De fait, cette commission réussit peu à agréger de nouveaux camarades ayant une forte légitimité syndicale alors même que beaucoup de responsables syndicaux ont quitté au fil des ans pour des raisons diverses l’ancienne CNO de la LCR, qui en a formé l’armature. En résulte une orientation souvent étriquée et ouvriérisante qui flatte un certain basisme ambiant.

• Un des succès réels de la création du NPA, la captation d’une frange militante écologiste radicale, est minée par l’incapacité collective à intégrer l’écologie dans le profil public du parti.

• Le parti et sa direction ne sont pas homogènes sur le projet : d’un côté les partisans d’un parti large, non réduit aux seuls révolutionnaires, de l’autre ceux qui veulent que le NPA soit un parti révolutionnaire. Ces derniers sont minoritaires au congrès de fondation comme le montre le débat sur le nom, mais ils ne manqueront pas de se manifester fortement lors de chaque débat tactique. Surtout, ils tendront à se manifester avec un cours de plus en plus agressif et visant à remettre en cause le projet NPA comme celui d’un parti large. Ils refusent donc d’octroyer une trêve pour permettre de tester le projet issu du congrès dans un climat serein.

• Dès lors l’unité durable nécessaire pour intégrer une partie des nouveaux venu-e-s fait défaut. C’était la condition nécessaire pour imaginer transformer la quantité en qualité, non sans forcément des pertes conséquentes compte tenu des ressorts ambivalents d’adhésions faisant suite à un succès médiatico-électoral. La multiplication de comportements politiques égotistes (je fais ce que je veux parce que je suis moi) de la base au sommet du parti – parfois sous couvert d’une rhétorique autojustificatrice prétendument libertaire – est l’un des signes précoces que la mayonnaise ne prend pas.

• Aucune force organisée autre que la LCR ne participe au processus. Cela s’explique à la fois par les limites de la bataille menée en direction de ces forces, notamment celles dont l’implication aurait signifié un élargissement qualitatif comme les Alternatifs, mais aussi par le fait que les erreurs commises dans la séquence 2005-2007 les ont échaudées. A juste titre d’ailleurs.

• Finalement l’élargissement se fait vers les îles de l’archipel « troskyste » et même « trostkoïde ». Soit un élargissement promesse de rétrécissement. Le comble est sans doute l’intégration de la fraction de LO comme fraction du nouveau parti au moment du dernier congrès. Rentrer dans un parti en fraction, alors que c’est normalement un dispositif pour en sortir, voilà qui est cocasse !

• Les principes de fonctionnement adoptés lors du congrès de fondation se révèlent totalement insuffisants pour gérer les problèmes qui se succèdent, de l’entrisme hostile à la mise devant le fait accompli de tout le parti par un seul comité comme dans l’affaire du voile (peu important ce qu’on pense du sujet par ailleurs).

• Le débat théorique ne se développe pas dans le parti, alors qu’il a largement lieu ailleurs, des cénacles antilibéraux unitaires aux séminaires de la IV.

Le sentiment qui domine donc après trois années éprouvantes est celui d’une perte de substance par rapport à l’ancienne LCR, bien plus grave que le fait brut constitué par la massivité des départs. Ce dégonflement ne signifie donc nullement un retour à la case Ligue.

Cependant, cette manière de voir serait fausse si elle conduisait à accréditer l’idée d’un âge d’or précédant la création du NPA. En fait la crise actuelle du NPA est largement le fruit d’impasses non résolues, accumulées par la LCR pendant la période 1995-2008.

3- une orientation erronée

Une question est en effet à mes yeux fondamentale : comment expliquer cette fuite en avant largement collective qu’a été le lancement du NPA tel qu’il a été opéré ?

Je crois qu’elle renvoie à une difficulté que la LCR n’a pas su poser et penser collectivement : dès lors qu’elle se trouvait avec un capital politique et électoral, elle devait lancer une politique à la fois d’alliance et de confrontation avec les autres forces à la gauche de la gauche. L’alliance, qui peut prendre une variété de formes – du cartel électoral ponctuel au front jusqu’à l’organisation commune - est une figure obligée de la bataille pour l’hégémonie, tout aussi inévitable que la confrontation. Compte tenu des coordonnées générales de la période, marquée tout à la fois par l’échec de la social-démocratie et la faillite du stalinisme, mais aussi par l’incapacité de la gauche révolutionnaire à apparaître comme une alternative, et l’inactualité probable de confrontations révolutionnaires majeures proches, la démarcation entre révolutionnaires et réformistes de gauche se trouve reléguée au second plan, en tout cas jusqu’à nouvel ordre. L’espace politique dégagé par la dérive social libérale du PS ne peut être raflé par une orientation anticapitaliste radicale dans l’état actuel des rapports de forces. S’il libère de la marge de manœuvre pour une telle orientation, et la possibilité de sa cristallisation organisationnelle à une échelle quantitativement supérieure à celui de l’extrême gauche historique, ce ne peut être que dans la mesure où cette orientation est capable de proposer un cadre plus large s’adressant à l’ensemble du spectre antilibéral pour l’unir sur une orientation claire et indépendante du social libéralisme, un cadre qui ne peut donc se résumer à l’orientation anticapitaliste radicale.

Le regroupement sous une forme à déterminer de forces sur la base d’une opposition au social-libéralisme, et le développement d’une force anticapitaliste constituent donc deux horizons distincts mais liés dans cette conjoncture. Cette perspective impliquait l’acceptation d’une variété d’options de tactique politique de confrontation et d’alliance avec des forces non seulement révolutionnaires mais aussi réformistes radicales (ou s’affichant telles) dès lors qu’elles émergeraient ou seraient contraintes d’entrer dans un jeu unitaire même contre leur volonté (cas du PCF). Or en réalité comme l’a montré l’épisode 2005-2007 il n’y avait pas accord au sein de la majorité de la LCR et de sa direction sur une telle vision.

Dès lors que des forces politiques réformistes s’affirment anticapitalistes et/ou antilibérales et disputent le même espace politique que celui que nous occupons en partie à un moment donné, on ne peut régler le problème aux yeux des fractions des masses que nous touchons, ou polarisons, ou dont nous commençons à avoir l’écoute, ni par des procès d’intention (ils vont trahir parce qu’ils ont toujours trahi) ni par une surenchère revendicative (je revendique plus que toi pour montrer que je suis plus à gauche que toi) mais par un jeu de confrontation politique et d’alliance opérant par tests successifs et guidé par la recherche de pas en avant dans le rapport de force politique global et la réalisation de démonstrations politiques à l’échelle des masses que nous influençons ou que nos partenaires influencent. Il ne s’agit pas d’unité à tout prix mais de bataille pour la mise sur pied d’un cadre unitaire sur une ligne juste c’est-à-dire opérant les démarcations essentielles avec le social-libéralisme. Cela suppose d’être prêts à l’alliance si les conditions s’en trouvent réunies, alliance qui peut être ponctuelle ou durable suivant les cas.

La surenchère à laquelle s’est livrée la LCR dans le processus unitaire postérieur à la victoire référendaire du non en mai 2005 porte la marque d’un sectarisme politique en décalage avec les possibilités et les nécessités de la période. Ce sectarisme renvoie au fait que nous avons fait de la surenchère politique sur le contenu programmatique alors que la plateforme générale permettait un accord sur un programme en rupture avec le social-libéralisme, ce qui était bien l’enjeu principal. Le fait que le PC ait pu faire preuve d’un sectarisme plus visible nous a aidé à sauver les meubles à une échelle large, mais non toutefois aux yeux d’une partie importante de la frange militante la plus impliquée et d’autres organisations, deux apports potentiels qui ont ensuite fait cruellement défaut au moment de la création du NPA. Si nous avions été capables de maintenir un profil unitaire réel durant tout cette période, le PC seul aurait porté la responsabilité de la situation d’éclatement de 2007. Et nous aurions été en bien meilleure posture lors de la présidentielle de 2007 puis du lancement d’une nouvelle force politique, qui n’aurait alors pu se concevoir que dans des conditions assez largement différentes de celles qui présidèrent à la création du NPA.

Le succès d’OB à la présidentielle de 2007 a pu laisser croire que ce bilan passerait par pertes et profits. Mais logiquement ce qui avait été esquivé un temps est revenu avec d’autant plus de force à partir de 2008 que le succès de la LCR puis du NPA les plaçait face à des responsabilités perceptibles à une échelle beaucoup plus large. Et aux yeux d’une part grandissante des militant-e-s et électeurs/électrices que nous avions polarisée, notre attitude a été perçue de plus en plus comme un sectarisme et un isolationnisme inacceptables eu égard aux dangers de la période politique marquée par les attaques massives de la bourgeoisie et de son personnel politique.

Derrière ce sectarisme, qui s’est révélé coriace, il y a plusieurs problèmes politiques distincts, partagés par des groupes de camarades plus ou moins importants, mais qui ont pesé de manière décisive sur les choix du parti :

• L’idée que nous ne saurions nous trouver dans une alliance avec des réformistes de gauche, même si c’est pour un temps.

Ce refus constitue une inconséquence profonde par rapport à l’analyse faite de la période. Il suffit d’ailleurs de voir ce qu’il se passe dans une variété d’autres pays européens. Il est évident que cette analyse implique que l’éventualité de participer à une force politique plus large aux côtés de réformistes est une des possibilités ouvertes. Cela ne signifie nullement que c’est un objectif en soi, ni que cela doive nécessairement se produire, simplement cela peut-être à un moment donné la meilleure solution à envisager du point de vue des rapports de forces.

Certes le risque de dérive opportuniste existe, mais on ne saurait le conjurer en écrasant les possibilités de pas en avant qu’offre une situation politique. L’autre versant du danger est en effet celui de l’enkystement sectaire, pathologie répandue et difficilement réversible dont une partie du mouvement dit « trotskyste » est gravement atteinte.

Indiquons par ailleurs que le NPA tel qu’issu du congrès de fondation ne se présentait pas comme un parti révolutionnaire même si la perspective de la rupture était incluse dans ses principes fondateurs. Sa dénomination large avait vocation à permettre la présence de réformistes de gauche (il y en d’ailleurs quelques uns mais ils étaient déjà là du temps de la LCR). Or de plus en plus le NPA tant à réduire son profil à celui d’un parti révolutionnaire, ce qui signifie une véritable involution du projet initial.

• Le fait de confondre tactique électorale et tactique de construction.

Les éventails des forces concernées par l’une et l’autre ne se recoupent en effet pas nécessairement. On peut être amené à faire une alliance électorale beaucoup plus large que le spectre des forces avec lesquelles on envisage de construire une force commune. Or cette idée simple n’est pas du tout partagée. Cela renvoie je crois à une incompréhension de l’autonomie des élections par rapport à la globalité du champ des rapports politiques et sociaux d’une part, et au refus de prendre en compte l’importance des élections dans l’évolution des rapports de force globaux ainsi que dans la dynamique de construction d’une force politique d’autre part. Le dernier point peut sembler paradoxal : pourtant le fait que la tactique électorale ne saurait être un simple décalque de la tactique de construction a précisément pour corollaire que le rétrécissement de la tactique électorale peut avoir des effets très négatifs en termes de construction d’une force politique. Lorsque le NPA fait la preuve électorale de son sectarisme cela a des effets désastreux sur sa construction.

• Le refus largement répandu de considérer les élections comme un moment politique clé, important pour la construction de toute force politique.

Considérer de manière générale que les luttes priment sur les élections, et qu’aucun changement social profond ne pourra résulter d’un simple processus électoral ne signifie pas que le terrain électoral pour une force anticapitaliste ou révolutionnaire ne soit pas un terrain essentiel de lutte. C’est le terrain par excellence de la lutte politique ordinaire (et assez souvent aussi de la lutte politique « extraordinaire »). Obtenir une audience électorale, donc des élus, et assurer une présence institutionnelle, sont des éléments déterminants pour la construction d’une force politique dans un contexte démocratique bourgeois. Si ce pas qualitatif n’est pas franchi, cela ne peut que limiter la construction du parti de manière générale, que limiter sa crédibilité à défendre leurs intérêts aux yeux des opprimés eux-mêmes. Dire cela ce n’est pas de l’électoralisme. Etre électoraliste c’est subordonner l’action et l’orientation du parti à son insertion dans les institutions bourgeoises. Les élections sont certes un terrain déformé de la lutte des classes, mais une lutte isolée contre les licenciements aussi.

• Le déni des rapports étroits entre processus électoraux et processus révolutionnaires

Derrière ce refus de prise en compte du « moment électoral », il y a certainement un débat non mené sur les rapports entre processus électoraux et processus révolutionnaires, caricaturalement opposés alors qu’ils s’entremêlent toujours.

Toute l’histoire des révolutions ou des crises révolutionnaires comprend des moments électoraux clés. Penser que la révolution imposera les conseils et balaiera l’élection d’une assemblée est un pari hasardeux au regard de l’histoire, si tant est qu’il soit d’ailleurs souhaitable formulé comme tel. La dialectique entre élections et révolution joue dans des sens multiples : la victoire de 36 sert de catalyseur au déclenchement des grandes grèves, le scrutin de juin 68 sert d’étouffoir au mouvement, etc. Loin d’être propre aux pays de tradition parlementaire ancienne, l’importance de la question électorale concerne les processus révolutionnaires dans les pays dominants comme dominés. Il suffit de renvoyer à l’importance politique de la revendication de Constituante puis de son élection en Russie tsariste ou aujourd’hui en Tunisie et en Egypte.

Ce qui est dit ici n’équivaut pas à défendre l’orientation de révolution par les urnes, avancée aujourd’hui par Mélenchon. Mais la polémique avec ce dernier ne doit pas se tromper de cible. L’arrivée à la faveur d’une crise d’un bloc de forces révolutionnaires et/ou anticapitalistes et/ou antilibérales au pouvoir est une hypothèse stratégique envisageable parmi d’autres, ici ou ailleurs. La question est de savoir comment à partir de ce qui n’est qu’une victoire électorale sur les dominants faire le nécessaire pour enclencher le processus révolutionnaire sans l’étouffer sous un carcan étatique et parlementaire. Dire que nous avons les réponses serait sans doute très excessif.

• Une vision basiste de la démocratie socialiste

Plusieurs textes l’ont souligné, ce qui semble faire débat avec de nombreux camarades c’est une vision rémanente simplifiée, conseilliste, de la démocratie socialiste. Dans cette vision, la place du suffrage universel où le travailleur s’exprime en tant que citoyen non en tant que producteur est éminemment problématique. Cela a des conséquences probables sur la manière d’envisager le rapport aux élections, même sous domination bourgeoise. Citons Ernest Mandel pour faire bonne mesure : « Toutes ces formes de démocratie directe (Mandel vient de parler des conseils et du referendum) ne sont pas des substituts mais des compléments aux institutions élues au suffrage universel. Après les chocs traumatiques des dictatures fascistes, militaires et staliniennes, les masses laborieuses à travers le monde sont profondément attachées aux élections démocratiques libres d’institutions de type parlementaire. Il serait suicidaire pour les socialistes de s’opposer à cet attachement au nom de quelque dogme erroné faisant écho aux arguments des Bolcheviks et de l’Internationale communiste entre 1917 et 1921. » (Power and Money, 1992, p. 201)

Il y a derrière la survivance conseilliste beaucoup de problèmes théoriques non résolus et non débattus par tout le parti. Je n’ai pas ici la place de développer. Je crois que pèse lourdement le refus de nombre de camarades de tirer un bilan lucide des premières années de la révolution russe. Le stalinisme a certes représenté une rupture avec la phase qui le précède, mais les premières années de la révolution ont été jalonnées de lourdes et terribles erreurs et fautes, qui en ont préparé l’avènement.

Mais il faudrait tenter d’aller plus loin et s’efforcer de comprendre pourquoi l’orientation majoritaire de la LCR s’est révélée incapable d’être à la hauteur de son succès. Certains évoqueraient probablement un certain tropisme gauchiste historique des dirigeants issus de Mai 68 (je renvoie à ce qu’ont pu écrire des camarades aussi différents que Filoche ou Lequenne), mais un tel trait paraît insuffisant d’autant que la composition des directions avait déjà largement évoluée au moment où se nouent les choix décisifs relatés plus haut.

On peut avancer une hypothèse à la fois politique et organisationnelle (un autre texte est nécessaire pour la développer) : à un moment où le parti devait commencer à réfléchir différemment dans la mesure où son succès (disons à partir de 2002) lui donnait de nouvelles responsabilités, ce débat a été rendu difficile par une conjonction de facteurs : le poids de la manière ancienne de voir les choses et qui avait conduit au succès, la crainte d’être emportés ou très affaiblis par les dérives en cas de participation à une force plus large (voir les cas italien et brésilien), la disjonction de plus en plus importante entre dirigeants du parti et membres du parti dirigeants d’organisations ou de mouvements de masse, l’affaiblissement du débat théorique dans le parti résultant partiellement de ce dernier point.

Laurent Garrouste


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