La dérive sarkozyste montre que les frontières entre les deux droites sont poreuses

mardi 15 mai 2012.
 

Il y a depuis assez longtemps deux droites en France (1).

- L’une conservatrice, traditionaliste, attachée aux liens du sang, au terroir, à la nation transformée familialement en patrie, à l’ordre hiérarchique et à la religion qui lui apporte sa justification idéologique  ; elle est liée, pour une grande part, en dehors de ce qu’il reste d’aristocratie, au petit patronat, aux commerçants, aux artisans et au monde rural, dont elle prétend défendre les intérêts. Elle hait l’organisation syndicale, entretient un rapport paternaliste à ses ouvriers et employés, elle ne supporte pas les corps intermédiaires, spécialement quand ils sont élus ou quand ils incarnent la légitimité républicaine de l’État  : elle leur préfère le rapport direct et fusionnel à un chef plébiscité qui saura mettre fin aux discussions oiseuses du débat démocratique et elle n’hésitera donc pas à verser dans le fascisme. Tout cela a été théorisé par Maurras, Rivarol, Barrès et bien d’autres, à commencer par Burke, ce penseur anglais hostile à la Révolution française.

- L’autre paraissait être celle de Sarkozy. Une droite moderne, portée par et portant le développement capitaliste tel que l’avait décrit Marx dans le Manifeste  : une économie des grands monopoles, abolissant les frontières, transformant peu à peu le monde en un immense marché, ne voyant dans les immigrés qu’une main-d’œuvre à bas prix dont elle a besoin et s’interdisant donc de les stigmatiser, adhérant aux valeurs du cosmopolitisme. Non par conviction internationaliste, mais par intérêt, puisque la bourgeoisie qui est au cœur de ce processus n’est pas celle que défend le FN  : c’est une bourgeoisie mondiale, qui s’organise en dehors des États-nations et entend les affaiblir, et qui présente, modernité oblige, le visage d’un libéralisme acceptant le changement et l’évolution des mœurs. C’est Hayek, ici, idéologue du néolibéralisme, qui en a été l’inspirateur, et même les théoriciens d’un social-libéralisme indifférent à la question ouvrière.

Sarkozy comptait bien conserver le pouvoir dans ce cadre et sur cette ligne politiques. Le problème est que, la crise économique aidant, sa fuite en avant néolibérale a débouché sur un bilan social catastrophique qui a fait fuir une fraction, populaire de son électorat, qu’il avait séduite par des promesses mensongères. Il a donc décidé de reconquérir celle-ci et de concurrencer le FN sur son terrain idéologique, quitte à reprendre des thèmes qu’il n’avait cessé de combattre :

- comme le repli sur la nation dont il a cyniquement défait le pouvoir à travers la nouvelle constitution européenne, ou à insister plus fortement sur des idées qu’il partage en réalité avec l’extrême droite, avec toutes les mystifications qu’elles impliquent.

- l’exaltation du mérite individuel, abstraction faite de toute influence du milieu, ou la négation des classes sociales et de leurs conflits d’intérêts au profit d’une entité organique qu’on appellera le peuple, qu’on opposera à des élites largement imaginaires.

- De même, il remet en avant le goût de l’effort et d’un travail conçu comme simple source de gains et débarrassé des contraintes juridiques qui, pourtant, permettent de l’humaniser, d’en faire un moyen essentiel de l’épanouissement individuel et, quand il demeure ingrat, permettent d’en limiter la durée fastidieuse.

Cette dérive insupportable n’est pas seulement électoraliste et révélatrice d’un homme sans foi ni loi, tenant désormais un discours à la Pétain. Elle nous montre que les frontières entre les deux droites sont poreuses et peuvent s’effacer quand l’intérêt de classe l’exige. N’ont-elles pas toutes deux proclamé autrefois  : « Plutôt Hitler que le Front populaire »  ?

(1) Voir Penser à droite, 
d’Emmanuel Terray, Galilée.

Yvon Quiniou Tribune dans L’Humanité des débats


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