TSCG Un texte indéfendable à gauche (par Francis Wurtz)

vendredi 19 octobre 2012.
 

En lisant la tribune du président des députés socialistes, on comprend pourquoi les plus hautes autorités du pays ont tout fait pour éviter l’émergence d’un grand débat public national sur le traité budgétaire, qui aurait permis aux citoyennes et aux citoyens de se prononcer en connaissance de cause pour ou contre sa ratification. En effet, ce traité est indéfendable devant le «  peuple de gauche  ». Bruno Le Roux en apporte involontairement la confirmation  : sa présentation du contenu du texte en question, son insistance sur la «  réorientation  » de la construction européenne qui serait en cours, enfin ses non-dits significatifs n’auraient résisté à aucune confrontation d’idées sérieuse, à gauche.

Le contenu du traité, tout d’abord. Il n’y aurait, selon le leader des députés socialistes, nulle «  règle d’or  », nulle contrainte, nul transfert de souveraineté dans ce texte  ! Vraiment  ? Dès ses premiers considérants, le traité exige «  le respect de l’obligation des parties contractantes de transposer la “règle d’équilibre budgétaire” (la fameuse règle d’or) dans leurs systèmes juridiques nationaux, au moyen de dispositions contraignantes, permanentes et de préférence constitutionnelles  » ou «  dont le plein respect et la stricte observance tout au long des processus budgétaires nationaux soient garantis de quelque autre façon  », précise l’article 3, alinéa 2. Et tout cela sous le contrôle de la Cour de justice de l’UE, dont «  l’arrêt est contraignant  ». Rappelons que c’est l’application préventive de cette «  règle d’or  » qui justifie les 30 milliards d’économies budgétaires dès 2013 (jugées «  intenables  » par le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, en personne, qui dit attendre un geste… de Bruxelles  !), puis des mesures encore plus restrictives par la suite, afin d’arriver au fameux «  équilibre  » à la fin du quinquennat, et ce malgré le risque de récession dans toute la zone euro  ! Et comment ne pas citer le dangereux «  mécanisme de correction déclenché automatiquement si des écarts importants sont constatés par rapport à l’objectif à moyen terme  » (article 3, alinéa 1), ou encore l’injonction faite à tout pays pris en défaut («  déficits excessifs  ») de «  mettre en place un programme (…) comportant une description détaillée des réformes structurelles à établir  »  ! (article 5, alinéa 1)… Le reste à l’avenant.

La thèse de la «  réorientation  » de l’UE chère aux défenseurs honteux du traité ne tiendrait pas davantage devant un public de gauche averti. Notons que Bruno Le Roux reconnaît déjà, au détour d’une phrase, que «  le texte est le même  » que celui négocié par Sarkozy  : exit la «  renégociation  ». Reste la glorification du «  pacte de croissance  » décidé au Conseil européen fin juin. Quoi qu’on puisse penser des mesures envisagées (certaines sont limitées mais positives, d’autres sont sujettes à caution, mais là n’est pas l’essentiel), une chose est de mobiliser des fonds structurels restants et des prêts pour des infrastructures (c’est toujours bon à prendre), tout autre chose est de graver dans le marbre une logique «  austéritaire  » durable et une centralisation des instances de décision majeures pour les mettre à l’abri du suffrage universel  !

Enfin, les silences sont révélateurs. Ainsi, pas un mot sur l’origine de «  l’explosion de la dette  », à savoir les centaines de milliards dépensés par les États pour sauver le système bancaire et éviter l’effondrement de l’économie après la crise du capitalisme financiarisé de 2008 – ce qui justifie l’exigence de faire supporter aux plus gros créanciers la part de la dette qui leur revient. «  Oubliée  », aussi, la contrepartie monstrueuse exigée des pays «  aidés  » par les «  mécanismes de solidarité  » de l’UE et de la troïka  ! Ignorées encore les propositions alternatives portées depuis longtemps par le Parti communiste et désormais le Front de gauche et même le Parti de la gauche européenne dans son ensemble sur la transformation des missions de la Banque centrale européenne  : user de son pouvoir de créer de la monnaie (dont profitent aujourd’hui les seules banques privées) pour libérer les États du chantage mortifère des marchés financiers et orienter les fonds nécessaires vers les vraies priorités que doivent être le développement social et la transition écologique. D’une façon générale, avant de se prononcer sur ce texte, il était indispensable de faire apparaître au grand jour l’enjeu de civilisation que représente la vision de l’Europe dans laquelle il s’inscrit. Celui-ci a été résumé dès février dernier par Mario Draghi, le président de la BCE, dans une interview au Wall Street Journal, dans laquelle il précisait que «  le traité budgétaire est un début  »  ; que le temps où certains pouvaient dire que «  les Européens pouvaient se permettre de payer tout le monde pour ne pas travailler est révolu  » et que «  le modèle social européen est mort  ». D’ailleurs, le fait que la Confédération européenne des syndicats, qui n’avait encore jamais combattu un traité européen, récuse vigoureusement celui-ci, devrait interpeller toute force politique de gauche. De tout cela, il n’a pas été question. Qui peut nier que cela entache la portée politique du vote des parlementaires consentants  ?

Oui, décidément, faire passer en force ce traité est une mauvaise action contre la gauche, contre la démocratie, et contre l’idée européenne elle-même. Les femmes et les hommes de gauche ont tout à gagner à ne pas cautionner cette faute. En délégitimant cette ratification, nous préservons l’avenir.

Francis Wurtz, député honoraire du Parlement européen, dirigeant du PCF.


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