Oui, les sondages influencent l’attitude des électeurs ! Ils favorisent le vote utile

mardi 1er mai 2012.
 

Par Alain Garrigou, professeur de sociologie politique et directeur de l’Observatoire des sondages

Depuis 1936 aux Etats Unis et 1965 en France, l’élection présidentielle est l’étalon de fiabilité des sondages. Les succès sont comptabilisés et les échecs oubliés. En apparence, l’élection présidentielle de 2012 n’échappe pas à la règle. On se demande donc si les sondages se sont trompés.

En une sorte de prouesse originelle, les sondages avaient annoncé l’élection de Franklin D. Roosevelt avec une approximation énorme au regard de nos normes actuelles, comme les pronostics de 1965 en France. Les sondeurs sont donc condamnés à la reproduire. Le crédit de ces pronostics n’a pas été entamé parce que les autres méthodes étaient encore moins fiables. Et puis surtout, il faut entretenir le suspense médiatique. S’il n’y avait pas de sondages, on ne saurait pas l’ordre d’arrivée et il ne pourrait donc y avoir de surprise. En somme, la surprise, c’est avant tout l’erreur des pronostics.

Les sondages se sont-ils trompés à l’occasion de l’élection présidentielle française de 2012 ? En matière de sondages, le premier critère est celui de l’ordre d’arrivée. Il n’y a pas eu d’erreur majeure sur ce point, l’ordre d’arrivée est conforme aux pronostics. Ne faisons pas semblant de croire que cet ordre d’arrivée soit si simple. Sans sondages, qu’en saurions-nous ? Et, au regard de quelques erreurs majeures (en 1995) et peut-être graves (en 2002), il serait de mauvaise grâce de critiquer. On peut toujours se demander à quoi cela sert-il de savoir avant les résultats.

Un instrument banal

Sur les scores des candidats, la réussite est moins assurée. Il faut même être bienveillant pour considérer comme une réussite les scores annoncés. Passons sur les deux qualifiés pour le second tour.

Même si l’avance de François Hollande n’était pas si facile à pronostiquer étant donné le biais légitimiste des sondages avantageant le candidat sortant. Le problème était essentiellement celui des candidats pour lesquels il n’y avait pas d’offre complètement équivalente en 2007, ce qui, au regard des clés de redressement des intentions de vote, introduisait une importante incertitude sur les résultats de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon. Fallait-il "redresser" le résultat de Marine Le Pen autant que celui de son père alors que le FN était censé être "banalisé". Bien entendu non.

Quant aux chiffres accordés à Jean-Luc Mélenchon, outre la progression inédite accordée par les sondages, elle s’est avérée à la fois juste et excessive, faisant passer le candidat de moins de 5 % à plus de 15 % à son maximum. Et ce candidat, demandant à la commission des sondages quelles étaient les clés de son "redressement", n’a pas obtenu de réponse.

Faut-il donc croire les sondages ? Sans doute comme on croit à quelque chose qui change les faits. Il est bien clair que le public - électeurs ou citoyens -, n’est pas passivement exposé aux sondages depuis tant de décennies sans effets. Les questions sur les intentions de vote posées six mois avant ou plus aux sondés, selon cet énoncé qui devrait prêter à sourire - "si l’élection présidentielle avait lieu dimanche prochain..." -, sont-elles toujours les mêmes quand l’élection a bien lieu "dimanche prochain" ? Mais peut-on alors en vouloir aux sondages de s’être trompés ou d’avoir bien pronostiqué ? Car en devenant un instrument de plus en plus banal du choix électoral, il est fatal qu’ils interviennent de plus en plus dans le choix. Les électeurs conçoivent d’autant moins un choix de conviction qu’ils sont systématiquement conditionnés par les chiffres qui leur annoncent un ordre d’arrivée et les incitent à devenir calculateurs, c’est-à-dire à moins ajuster leur vote en fonction de leur préférence qu’en fonction de la probabilité de la victoire. C’est le ressort du vote utile.

On ne peut reprocher à personne d’en prendre acte. On a vu dans cette campagne électorale tout le monde prendre acte de ce que la représentation de la réalité déterminait la réalité, ou encore de ce que les sondages servaient moins à dépeindre un moment précis de la réalité, que de moyen pour imposer un rapport de forces. La façon la plus positive de percevoir le changement est alors de s’en servir comme d’un vote indicatif que certains groupes utilisent pour évaluer avant le scrutin l’état du rapport des forces et ainsi ajuster leur vote. Non sans risques. Simplement, il ne faut alors pas demander aux sondages d’êtres exacts puisqu’ils contribuent à changer les scores.

Alain Garrigou a publié "Les Secrets de l’isoloir", (Le Bord de l’eau, 75 pages, 8 euros).


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