MÉLENCHON : LE PITBULL AMATEUR DE POÉSIE QUI GALVANISE LES ÉLECTIONS FRANÇAISES

mardi 17 avril 2012.
 

Angelique Chrisafis a suivi pour le Guardian (quotidien britannique), la tournée électorale de Jean-Luc Mélenchon.

Un hangar agricole bondé, dans une ville rurale du centre de la France. Une foule captivée lève le poing et scande : « Résistance ! Résistance ! » Sur scène, le geste ample, la sueur dégoulinant de son visage, se tient le trublion charismatique de la gauche radicale, celui qui est salué comme le meilleur orateur de la campagne présidentielle. « La Révolution française de 1789 brûle encore ! » a rugi Jean-Luc Mélenchon, le pitbull poète de l’anticapitalisme. « Si l’Europe est un volcan, la France est le cratère de toutes les révolutions ! »

Mêlant colère rageuse et bons mots au sujet de la classe politique française, Mélenchon aiguillonne le public avec la promesse d’une insurrection civique qui doit anéantir l’aristocratie et les privilèges. Faute de place, des centaines de gens sont restés dehors sur le parking, dans un froid piquant. Ils suivent le discours sur un écran géant en brandissant des banderoles rouges et des drapeaux tricolores. « C’est la Mélenchon-mania », crie une étudiante ravie, dont c’est le tout premier meeting.

Mélenchon, un ancien ministre socialiste, apparaît comme le leader philosophe et démagogue de la gauche radicale. Ses progrès spectaculaires dans les sondages sont considérés comme la « grande révélation » de la campagne présidentielle française. Il a dépassé Marine Le Pen, la candidate d’extrême droite, pour devenir le « troisième homme » de la course présidentielle derrière Nicolas Sarkozy et François Hollande.

Parmi ses idées, une tranche d’impôt à 100 % pour les plus riches, dont l’État confisquera tous les revenus au-delà de 300 000 livres. Il veut revenir à la retraite à taux plein à 60 ans, augmenter de 20 % le salaire minimum, plafonner les salaires maximums et nationaliser les grandes compagnies énergétiques. Selon lui, les États-Unis sont la plus grande menace pour le monde.

Pour ses partisans, il porte l’espoir d’une révolution qui materait les banques et transformerait le visage de l’Europe en réinventant la politique de gauche. Ses détracteurs disent que ses promesses ruineraient la France. Laurence Parisot, la présidente du syndicat des grands patrons de France, a comparé Mélenchon aux révolutionnaires adeptes de la guillotine à l’époque sanglante de la Terreur. Certains disent que l’enthousiasme qu’il suscite est bon pour la gauche dont il gonfle le score global. D’autres, souhaitant que Hollande, le socialiste modéré, garde son avance sur le candidat de la droite, avertissent que ses promesses risquent de diviser le vote de gauche, crucial lors du premier tour, le 22 avril prochain. Sillonnant la France de rassemblements en plein air en meetings politiques, Mélenchon, qui vient de contracter un prêt afin de payer d’autres écrans géants pour les foules nombreuses attirées par ses meetings, a accepté que le « Guardian » voyage avec lui. « Je suis dangereux ! gronde-t-il en manière d’introduction, dangereux pour les intérêts financiers, et dangereux pour l’oligarchie de France et d’Europe. »

Plafonner les salaires des plus riches est très simple, explique-t-il. « Au-dessus de 360 000 euros, on prend tout. La dernière tranche des impôts sera de 100 %. Les gens me disent : C’est idéologique. Je réponds bien sûr. C’est une certaine conception de la société. De la même manière que nous n’admettrons pas la pauvreté dans notre société, nous n’autoriserons pas l’hyper-accumulation des richesses. L’argent ne devrait pas être accumulé. Il est fait pour circuler, pour être investi et dépensé pour le bien commun. »

Les riches vont-ils fuir la France, comme menacent ses détracteurs ? « S’ils le font, pas de problème. Au revoir. » sourit-il. Il soutient que si les plus riches des grands patrons quittent la France, leurs seconds prendront le relais. Une autre de ses propositions a été reprise par Sarkozy lui-même : tout exilé fiscal devra payer la différence à l’État français. « Il n’y a donc aucune raison de partir, parce que nous vous rattraperons. S’ils ne paient pas, nous saisirons leurs biens. » « Écoutez, il faut détruire le préjugé selon lequel les riches sont utiles du seul fait de leur richesse. » dit-il.

« La propagande capitaliste a toujours réussi à faire croire aux gens que l’intérêt des marchés était celui de l’humanité. Pendant trop longtemps, on a donné aux gens le sentiment qu’il était vain, voire irresponsable, de désirer que l’éducation et la santé soient gratuites ou qu’on puisse cesser de travailler quand on était vieux et usé », ajoute-t-il.

Mélenchon, 60 ans, ancien trotskiste, ancien professeur, a passé 30 ans au parti socialiste. Il a été ministre et plus jeune sénateur de l’histoire. Il a quitté le parti en 2008, arguant du fait qu’il n’était pas assez à gauche. Il a fondé son propre parti à la gauche de la gauche, le Parti de Gauche et est aujourd’hui le candidat d’une coalition, le Front de Gauche. Cette coalition inclut le parti Communiste, jadis puissant, qui n’avait recueilli que 2 % des voix lors des dernières présidentielles, et qui espère renaître dans le sillage de Mélenchon.

Le succès de sa campagne – il a récemment réuni à la Bastille plusieurs dizaines de milliers de sympathisants – il le doit en partie à ses diatribes contre la crise financière, mais aussi au charme de ses attaques enragées contre l’élite politique française, c’est-à-dire celle des médias et du pouvoir. Avec son éternelle cravate rouge au cou, ses interventions explosives dans les débats télévisés et ses moqueries virulentes contre son ennemie jurée, Le Pen, sont entrées dans la légende. Disputant à Le Pen les voix de la classe ouvrière et du vote protestataire, il l’a traitée de « chauve-souris », de « semi-démente », et de « sombre présence », la comparant ainsi à Dracula. L’automne dernier, il a aussi accusé Hollande d’être un « capitaine de pédalo », le gag récurrent le plus repris de la campagne jusqu’à aujourd’hui. Sarkozy a utilisé le charisme de Mélenchon comme un bâton pour frapper la « fadeur » de Hollande.

Mélenchon, l’homme qui défend le prolétariat, est assis en première classe dans le train, mâchant des bonbons à la fraise. Il ne voit pas de contradiction à voyager confortablement. Il explique qu’il gagne bien sa vie en tant que député européen, ne possède pas de voiture et évite de prendre l’avion. Il possède un appartement à Paris et une maison de campagne, mais dit avoir des goûts simples. « Je n’ai pas beaucoup d’imagination pour dépenser de l’argent. » « Ce n’est pas parce qu’un politicien gagne confortablement sa vie qu’il doit fermer les yeux sur l’océan de misère dans le monde », dit-il. « Je ne veux pas me faire passer pour autre chose que ce que je suis : un intellectuel avec un bon revenu. Mais j’ai choisi mon camp. »

Il raille le parti socialiste qui ne veut pas rompre avec le capitalisme, tombant dans « l’illusion qu’il existerait un bon capitalisme ». Il dit que la sociale démocratie s’est effondrée de la même façon que le communisme d’État. Elle a reçu le coup de grâce lorsque George Papandreou, premier ministre de Grèce et président de l’Internationale socialiste, « a été attaqué par la finance et n’a pas résisté une heure. »

Mélenchon explique que la naissance du Parti de Gauche correspond à « une phase de renaissance et de réorganisation du camp progressiste sur les ruines de la sociale démocratie et du communisme d’État. »

Il dit qu’il aime une « bonne bagarre ». Il a été au cœur de la plus sanglante guerre intestine qu’a connue la gauche, lors du référendum de 2005 sur la constitution européenne. Alors membre du parti Socialiste, Mélenchon s’est fait le champion du Non, contre Hollande et les caciques du parti. La France a dit non et Mélenchon regrette que la classe politique ait balayé du revers de la main un vote qu’elle n’acceptait pas. « C’est une cicatrice qui ne s’est jamais refermée. En démocratie, il est très dangereux de prendre les gens pour des imbéciles. Ils ne le sont pas. »

Ses détracteurs disent qu’il est franco-français et anti-européen. Le député européen n’est pas d’accord. Il se dit pro-Europe et pro-euro, « On ne peut établir de salaire minimum européen sans l’euro », mais contre une Europe dominée par le libéralisme économique et l’économie de marché. Il raille le traité fiscal de l’UE sur l’austérité budgétaire, qu’il mettrait pour sa part au rencart et qui « entraînera une catastrophe économique, car toute l’Europe entrera en récession, y compris l’Allemagne. »

Mais à l’heure actuelle, le principal danger dans le monde, ce sont les États-Unis. « Les Américains n’ont pas bonne presse dans notre pays et je reprends à mon compte le scepticisme que leur comportement suscite. » Il explique que les États-Unis sont en « pleine crise d’hégémonie », que leur « monnaie est malade et qu’ils tentent de la défendre par tous les moyens, pour faire en sorte qu’elle reste la monnaie de réserve mondiale, ce qui leur permet de vivre aux crochets du crédit international. »

Il ajoute : « Le seul avantage comparatif des États unis aujourd’hui, c’est leur puissance militaire. C’est dangereux, parce qu’ils sont comme une bête blessée. » Il souhaite que la France quitte l’OTAN.

Les détracteurs de Mélenchon l’ont surnommé « le petit Chavez à la française », disant qu’il voit d’un bon œil le Cuba de Castro ou qu’il prend le parti de la Chine dans le conflit du Tibet. Il écarte ces allégations, expliquant que le Tibet « est utilisé pour mettre une pression permanente sur Pékin, qui réagit comme le gouvernement autoritaire qu’il est. » Du Dalaï-Lama, il dit : « Je suis contre la théocratie. La religion ne doit pas se mêler de politique. » Mais il ajoute : « Je n’ai jamais été partisan de la violence, contre qui que ce soit. »

On pense que les partisans de Mélenchon se reporteront en masse sur Hollande au second tour de la présidentielle, car la gauche française dans son ensemble veut avant tout se débarrasser de Sarkozy. Mélenchon affirme qu’il ne cherche pas à obtenir de place dans un gouvernement de gauche en échange de négociations pour son soutien. Mais Sarkozy aime agiter le spectre d’un Hollande « pris en otage » par les idées radicales de Mélenchon.

En attendant, Mélenchon n’a pas l’intention d’adoucir le ton de sa campagne ou sa colère. « On ne peut pas présenter un programme comme le mien avec le visage d’un bon petit communiant », dit-il. Le train arrive sur les lieux de son prochain meeting. « En avant, les amis ! » crie-t-il à son équipe en descendant sur le quai.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message