NPA, suite et fin ?

mercredi 11 avril 2012.
 

Le NPA ne tient plus qu’à un fil et ses militants ne peuvent guère le cacher. La publication, la semaine dernière dans Libération, d’une première tribune puis d’une nouvelle, ce jour dans Mediapart, de plusieurs cadres appelant à voter Mélenchon, a cristallisé une situation déjà délétère. A un mois de la présidentielle, Philippe Poutou est toujours en campagne, son prédécesseur Olivier Besancenot a pris des congés pour lui prêter main forte, ses partisans espèrent toujours que l’égalité du temps de parole va permettre à « l’ouvrier-candidat » de transgresser les codes médiatiques et d’imposer un discours de rupture. Mais à l’ombre des caméras et des réunions publiques, les militants se déchirent ; le NPA est au bord d’une scission qui signerait définitivement l’échec de ce « pari fou » lancé en 2009 par la défunte Ligue communiste révolutionnaire (LCR).

La cassure a eu lieu il y a bientôt un an, après l’annonce du retrait volontaire d’Olivier Besancenot : lors d’une conférence nationale, où la majorité d’alors avait explosé en deux pour désigner son candidat à la présidentielle. Ce n’est qu’à une très courte majorité que Philippe Poutou avait été choisi. Depuis, les désaccords n’ont fait que s’approfondir. Après l’université d’été d’août dernier, la minorité inquiète d’une « dérive isolationniste » du NPA, notamment aux dépens du Front de gauche, s’est constituée en « fraction publique », avec son propre site internet, ses porte-parole, ses réunions nationales.

Il y a dix jours, « la Gauche anticapitaliste » (GA), comme elle s’est appelée, a choisi de ne pas donner de consigne de vote pour le premier tour. Certains de ses militants font campagne pour Poutou, d’autres veulent voter Mélenchon, mais tous sont très critiques sur l’évolution du NPA. « Nous devons acter le fait que le NPA, fondé il y a trois ans dans l’objectif de rassembler tous les anticapitalistes dans un parti de masse implanté dans la société, prend le chemin de la marginalité », écrivent-ils dans leur dernier texte. A l’inverse, dit la « GA », « la campagne que mène Jean-Luc Mélenchon énonce un large spectre de propositions politiques communes à toute la gauche radicale ».

« La gauche anticapitaliste est sur une trajectoire de sortie. La sortie du NPA est une question qui se pose à brève échéance », explique une de ses porte-parole, Ingrid Hayes. Traduction : la majorité de la GA pourrait quitter le NPA d’ici l’été si la direction actuelle n’opère pas un virage stratégique. Des discussions sont déjà en cours avec le Front de gauche pour constituer un pôle « anticapitaliste », avec Clémentine Autain et les Alternatifs, aux côtés du Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon et du PCF. Elles sont encore loin d’aboutir et pourraient capoter si le Front de gauche décide de participer à un gouvernement dominé par le PS.

Mais, y compris parmi les figures historiques de la LCR, plusieurs songent désormais à la scission ou au départ. C’est par exemple le cas de Samy Johsua, rallié à la « GA ». « Dans cinq semaines, il faudra décider si le NPA reste dans son isolationnisme ou s’il s’allie avec les forces, y compris au Front de gauche, qui n’iront pas dans un gouvernement PS. C’est un choix capital… Les discussions sur la forme seront peut-être longues mais il faut en acter le principe », explique-t-il. Avant d’ajouter : « Pour moi, c’est 15 ans de bataille. Si on ne le met pas en pratique, ce n’est plus mon parti. »

« On est à l’heure des choix », dit aussi Myriam Martin, qui a démissionné de son porte-parolat en même temps qu’elle appelait à voter Mélenchon. Elle va encore plus loin : « Aujourd’hui, on doit accepter que la dynamique est autour du Front de gauche. Et pas dans cette campagne isolationniste et sectaire (celle de Poutou)… Moi je vois mal aujourd’hui comment on peut encore réorienter le NPA. » Puis : « Mais c’est une déchirure. »

Même dans la majorité actuelle, on l’admet. « La situation est difficile. Il faut se battre pour maintenir tout le monde ensemble… J’espère qu’on y arrivera », lâche François Sabado, autre dirigeant historique de la LCR. Lui veut encore y croire, persuadé que les divergences sont moins profondes qu’il n’y paraît, à condition de ne pas envisager une participation au Front de gauche : « Après la campagne, ce ne sera pas le repli sectaire. Certains pensent qu’on a fait la faute du siècle. On a fait ce qu’on a pu. Mais après la présidentielle, les conditions seront réunies pour redéployer une orientation anticapitaliste de rassemblement. Le NPA aura une politique d’unité et de dialogue avec le Front de gauche s’il ne participe pas au gouvernement et ne soutient pas une majorité parlementaire. Mais dans un pôle anticapitaliste indépendant. »

C’est aussi l’espoir de Sandra Demarcq, membre du comité exécutif (CE) du NPA : « Déjà le fait d’avoir obtenu les 500 signatures montre qu’il y a encore des militants dans ce parti ! La crise du NPA existe, mais la base croit encore en cette campagne, même plus ou moins, et veut la porter jusqu’au bout. Et si le NPA est au bord de la scission, je me battrai pour dire que nos désaccords peuvent cohabiter dans le même parti. » Un avis partagé par Antoine, lui aussi élu au CE sur une position très hostile au Front de gauche : « Rien n’est joué. Mais si les membres de la GA qui sont à la direction sont quasiment déjà dehors, ils sont en décalage avec les préoccupations des militants locaux. Et les désaccords sont parfois surestimés. Certains pensent qu’on veut faire la même politique que LO mais c’est une erreur ! »

Il n’empêche : même si le NPA parvient par miracle à se rabibocher d’ici l’été, ses effectifs ont déjà fondu. Ils étaient 9.000 lors du congrès de fondation à l’hiver 2009 : en juin, ils n’étaient plus que 3.100 lors du vote sur le nom du candidat, sur environ 4.500 militants estimés. Ils sont encore moins aujourd’hui. Cela fait plusieurs mois que l’ambiance en interne est détestable, du moins au sein de la direction, aggravée par des imbroglios financiers tels qu’ils ont bien failli être arbitrés par un juge et qui achèvent de pourrir les discussions.

Il y a trois ans, Olivier Besancenot jouissait d’une popularité rare au sein de la gauche radicale, son parti était crédité de scores à deux chiffres. C’est Mélenchon qui a pris le relais, reléguant Poutou dans un relatif anonymat. De ce point de vue, le NPA qui se voulait un parti anticapitaliste de masse est un échec. « C’était un pari assez insensé. On n’a pas été à la hauteur », tranche Sabado.

Les raisons en sont multiples et toutes ne sont pas partagées par les sensibilités du NPA. Mais tous objectent d’abord un contexte social défavorable. Le parti anticapitaliste, dont le projet avait été lancé au lendemain de l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007, s’est constitué en pleine crise, quand les luttes sociales ont enchaîné les échecs, jusqu’au grand mouvement contre la réforme des retraites de l’automne 2010. « On a créé le NPA quand tout le monde en a pris plein la gueule », lâche un militant. Dans le reste de l’Europe, en Allemagne, en Italie ou au Portugal, la gauche radicale n’est guère plus en forme, se rassure le NPA. « Le Front de gauche est l’exception, explique Sabado. Parce qu’il y a une conjonction très particulière du PCF et du républicanisme mélenchonien qui fonctionne en France. »

S’ajoute à cela le timing électoral : à peine né, le « parti d’Olivier Besancenot » est aussitôt confronté à sa première échéance, les européennes, et à son premier débat sur l’unité. Dans la gauche radicale, il se vit alors en dominateur. Il claque la porte des discussions avec le Parti de gauche de Mélenchon, créé un an plus tôt, et le PCF. « Quand on vient de se créer, il y a une logique à se présenter seul. Mais les européennes, c’est l’erreur fondatrice. On a sous-estimé le Front de gauche », explique Ingrid Hayes, alors opposée à toute alliance. « On dira plus tard qu’il s’agissait là d’une arrogance juvénile. On peut surtout estimer que c’est une erreur d’analyse sur la capacité si rapide de cette partie de la gauche à retrouver une fonctionnalité », témoigne aussi Samy Johsua.

Sandra Demarcq, de l’actuelle direction : « On a mal analysé la droitisation du PS et du candidat Hollande qui ne laisse une place qu’au réformisme de gauche de Mélenchon. Et on a mal analysé le Front de gauche parce qu’on pensait être les rois ! » Dès les européennes, le Front de gauche est passé devant le NPA (6% contre 5% des voix). Depuis, l’écart n’a cessé de se creuser.

Autre blessure de jeunesse : un an après sa création, le NPA doit affronter en janvier 2010 la mort de Daniel Bensaïd, cofondateur et théoricien de la LCR. « C’est grâce à lui qu’on pouvait dire dans les réunions de la IVe Internationale que le marxisme philosophique était allemand, le marxisme économique était anglais et le marxisme politique était français », jugeait alors François Sabado. Deux ans après, il dit : « Daniel avait une jolie formule. Il disait qu’avec le NPA, on allait perdre en substance mais pour mieux gagner en surface. En réalité, on a trop perdu en substance. Et cela a coïncidé avec son décès. Il était un point d’ancrage fort. » D’autant plus fort qu’il était de ses intellectuels très attachés à la vie du parti – « un des derniers intellectuels organiques » – et qu’il faisait le lien avec la jeune génération au sein de la revue Contretemps ou de la société Louise-Michel.

Et voilà le NPA, quelques mois plus tard, confronté à un débat qui va profondément le diviser : celui sur le voile, provoqué par la candidature aux régionales d’une jeune militante portant le foulard. Depuis, le parti n’a toujours pas réussi à se mettre d’accord et la militante Ilham Moussaïd a pris la tangente avec ses camarades des quartiers populaires d’Avignon.

D’aucuns y voient le signe d’une autre faiblesse structurelle du NPA : les militants qui avaient afflué à sa création étaient en réalité très hétérogènes, avec comme principal point d’ancrage la figure médiatique d’Olivier Besancenot, ciment d’une organisation que la direction n’a jamais réussi à réellement maîtriser. « Avec la défection d’Olivier, le NPA venait d’inventer le suicide involontaire », écrit brutalement Samy Johsua. Sévère, mais avec un autre angle, Sabado l’est aussi pour ses successeurs à la direction : « Le NPA, c’est avant tout une crise de direction. Les divergences étaient compatibles dans un même parti. A condition qu’il y ait un centre fort qui arrive à faire vivre le parti et dans lequel tout le monde se retrouve. »

D’autres jugent que ces différences étaient en réalité insurmontables dès le départ. C’est l’analyse qu’en fait Myriam Martin, battue pour la candidature à la présidentielle en juin dernier et qui pourrait être candidate à Toulouse aux législatives avec le Front de gauche. « Dès le congrès de fondation, le ver était dans le fruit, dit-elle. Il y avait deux projets antagonistes, entre un parti révolutionnaire et un parti anticapitaliste. On n’a pas voulu le voir assez tôt. »

Sa camarade de la « GA », Ingrid Hayes, acquiesce : « On aurait dû mener les batailles et on ne l’a pas fait. Pourtant, le débat sur le nom du parti au congrès fondateur aurait dû nous alerter. » A l’époque, c’est à une très courte majorité que le « Nouveau parti anticapitaliste » s’était imposé devant le « Parti anticapitaliste révolutionnaire ». Un signe des profondes divergences qui structurent la gauche radicale et ses alliances depuis… 2005 et la campagne du « non » au référendum européen.

Alors fini le NPA ? Pas encore, veulent croire ses militants. « Il peut y avoir un sursaut », dit Sandra Demarcq. Et puis, dit Samy Johsua, si « la famille est divisée, il ne faut jamais insulter l’avenir ». Dans un sourire, il ajoute : « Trotsky et Lénine se sont insultés pendant des années. Finalement, ils ont fait la révolution ensemble. »

Lénaig Bredoux

BREDOUX Lénaïq


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